Direction la capitale la plus septentrionale au monde, à 250 km au sud du Cercle Polaire : un exemple de ville durable !


Reykjavík parade en tête des classements des villes durables. Fait remarquable, elle affiche une électricité 100% renouvelable. Son secret est à chercher dans ses étendues de glace et dans les entrailles de sa terre. Un nouvel eldorado durable ? Pas si sûr, car la ville, comme l’ensemble de l’île, doit faire face à un nouveau paradoxe énergétique…



Le pari réussi de l’électricité et du chauffage 100 % renouvelables

Dans la catégorie écologie, la ville aux toits colorés aligne les trophées. Lauréate du prix environnement et nature des pays nordiques dès 2014, elle a récemment été classée 3ème au Global Destination Sustainability index 2018. Aussi, forte de ses 410 md’espaces verts par habitant, elle s’est tout simplement vue décernée le titre de la « ville la plus verte du monde ». Mais c’est surtout un autre sujet qui attire tant de louanges pour cette capitale abritant les deux tiers de la population de l’île. Celui de l’énergie.

Crédit : Sigrg

Située sur le volcan Hengill, la centrale géothermique de Hellisheidi alimente la ville de Reykjavík.

Plongée dans un climat subpolaire océanique, force est de constater qu’elle parvient tout de même à se chauffer et s’éclairer en toute autonomie et en ne recourant qu’aux énergies renouvelables. Une clef de cette particularité se lit dans son nom, Reykjavík - littéralement « baie des fumées » - qui évoque les vapeurs émanant des sources d'eau chaude environnantes. L’Islande, se situant sur la dorsale médio-atlantique séparant les plaques tectoniques nord-américaine et eurasienne, a en effet largement misé sur le trésor qui gisait sous ses pieds et est devenue un pays champion de la géothermie. À quelques encablures de la capitale, la centrale de Hellisheidi affiche d’ailleurs une des plus importantes capacités de production au monde. Résultat : 97% des foyers de la ville sont chauffés grâce à la chaleur de la Terre. Cette énergie y satisfait aussi 25% des besoins en électricité. Le reste ? C’est l’autre trésor de l’île qui s’en charge : les glaciers. Ils recouvrent 10% du pays et alimentent les grandes rivières glaciaires ponctuées par les barrages hydroélectriques qui en captent l’énergie. Un bémol s’inscrit toutefois à la partition énergétique islandaise, car les étendues de glace fondent à grande vitesse : 750 km depuis le début du siècle. À ce rythme, les glaciers pourraient bien être rayés de la carte d'ici 300 ans.

Un cas d’école

L’Islande est un bel exemple de transition énergétique basée sur les atouts propres d’un pays. Et comme le relèvent les Nations-Unies dans leur rapport, son approche ne s’applique pas en tout contexte certes, mais peut être source d’inspiration pour d’autres régions, bien au-delà de ce que l’on imagine. En effet, une activité volcanique récente n’est pas un pré-réquis pour avoir recours à la géothermie. « Rien qu'en Europe, on estime qu'environ 25% de la population vit dans des zones propices au chauffage urbain géothermique. Le savoir-faire et l'expérience de l'Islande sont inestimables pour étudier la faisabilité et la mise en oeuvre de ces possibilités et d'autres dans le monde entier » conclut le rapport.

Une question de résilience

Ce n’est pas vraiment drapée d’une préoccupation vertueuse de respect pour l’environnement que l’Islande a entamé sa transition vers les énergies renouvelables. Non, la bascule a été économique avant tout et l’histoire remonte aux années 70 lorsque les chocs pétroliers ont sérieusement affaibli le pays. Se détournant des importations fossiles massives, l’île a décidé de généraliser la géothermie et l’hydroélectricité. Bref de ne puiser que dans ses propres ressources naturelles pour produire son énergie en toute autonomie. Une stratégie lui permettant de se mettre à l’abri des fluctuations des cours du pétrole certes, mais lui offrant plus largement une grande résilience. Les bénéfices de la géothermie et d’une électricité à bas coût sont en effet parfois insoupçonnés. Sous les rues de Reykjavík, le large réseau de tuyaux d’eau chaude permet de dégeler les chaussées. La chaleur géothermale est également utilisée en pisciculture, pour la production d’algues sèches ou de sel. Aussi les serres se sont multipliées ces dernières années pour produire tomates, salades, basilic… des fruits et légumes, somme toute, très exotiques au pays des Vikings. On y trouve même l’une des plus vastes plantations de bananes en Europe ! Autre avantage, ces cultures sont développées en vase clos, ce qui les protège totalement des maladies de plantes qui circulent d’un pays à l’autre.

Les transports à la traîne

C’est au sujet de la mobilité en particulier que s’attaque désormais Reykjavík, engagée à devenir climatiquement neutre à horizon 2040. Des efforts ont déjà été entrepris, notamment le remplacement progressif de la flotte de bus par des véhicules à hydrogène ou des mesures incitatives afin de favoriser les achats de véhicules électriques. De nombreux points de recharge sont aujourd’hui prévus, pour les voitures mais aussi pour les bateaux ! Cependant, le mix modal est encore très peu performant et les Islandais ont difficilement recours aux transports en commun ou à la mobilité active. En effet, selon le Iceland Monitor, le pays affiche le taux de possession de véhicules par habitant le 2ème plus élevé en Europe. Reykjavík en fait sa priorité et son plan prévoit que d’ici 2030, ses habitants marchent ou utilisent le vélo pour 30 % de leurs trajets et les transports en commun pour 12% - contre seulement 4% actuellement -. Mais le rythme des mesures se fait parfois attendre et cette politique volontariste s’avère parfois difficile à mettre en place.

Crédit : Ville de Reykjavík

L’Islande, victime de son succès ?

Paradoxalement, le pays n’est pas en passe de satisfaire aux engagements qu’il a pris lors de la COP21 et risque même de figurer parmi les mauvais élèves ne tenant pas leurs objectifs. Ce malgré une clause dérogatoire liée à la particularité de son mix énergétique. En cause, les transports carbonés certes, mais également les émissions issues des activités industrielles croissantes et d’un tourisme galopant. Ironiquement, les touristes, attirés par une nature grand angle et un pays réputé respectueux de l’environnement, sont de plus en plus nombreux à sillonner dans leurs 4x4 les routes islandaises. Ce sont 2,3 millions de visiteurs qui ont déferlé en 2018 sur l’île, pour une population, rappelons-le, de 360 000 âmes. À l’exception de l’année 2019 marquée par la faillite de la compagnie low-cost WOW et de la flambée des billets qui s’est ensuivie, cet engouement croît chaque année. Si ce boom contribue fortement à l’économie du pays (42% des revenus des exports en 2017), la population y voit de plus en plus une menace pour ses écosystèmes et non une manne. Ainsi, selon une enquête du Icelandic Tourist Board (2018), 75% des Islandais considèrent que l’incidence du tourisme est trop grande sur la nature et le gouvernement a annoncé des mesures restrictives en la matière afin de limiter cet afflux.

Au-delà des touristes, la carte verte du pays a séduit de nombreuses entreprises et s’est transformée en atout économique majeur. Avec une énergie à très bas coût et au bilan carbone favorable, les industries très énergivores ont également compris l’intérêt de venir s’implanter en Islande. Le pays a notamment accueilli les géants de la production d’aluminium et de silice très gourmands en électricité. Cet afflux généralisé exerce une pression inédite sur la demande énergétique, l’industrie représentant 87% de la production d’électricité locale (OCDE, 2015). Le recours au 100% renouvelable est certes un élément de réponse majeur, mais les procédés même de production de l’industrie de l’aluminium restent émetteurs de GES (CO2 et perfluorocarbones). Au niveau mondial, on assiste donc bel et bien à une réduction drastique des émissions émises par ces industries, mais de facto, c’est l'Islande qui hérite du reliquat non négligeable de ces émissions délocalisées. Selon l’OCDE en effet, les procédés industriels représentent 35% des GES nationaux, à savoir la première source d’émissions devant les transports.

Aujourd’hui encore, une nouvelle génération d’entreprises s’installe sur l’île. Celle-ci ouvre désormais ses portes aux acteurs informatiques et data centers, de plus en plus nombreux à vouloir héberger leurs données au frais et à moindre frais, économiques et écologiques. Résultat de cet afflux : les grands chantiers de barrages hydroélectriques et de géothermie y compris des tests de géothermie, très profonde, se multiplient au grand dam des associations écologistes qui pointent du doigt les dégâts de ce gigantisme causés sur l’environnement. Émissions de sulfure d’hydrogène, rejets de substances nocives dans les eaux superficielles, légers affaissements de terrain liés aux centrales, destruction des écosystèmes aux abords des barrages sont autant de préoccupations grandissantes dans le pays. 

L’Islande fait aujourd'hui ainsi face au paradoxe de sa transition verte. Face à la grogne de nombre de ses habitants et des émissions qui vont crescendo, l’Islande doit donc adapter ses politiques publiques et industrielles et envisager de nouvelles solutions.

Non loin de Reykjavík, le carbone est pétrifié

Dans cette course contre les émissions, les chercheurs s’activent tout près de la capitale, dans les hauteurs du volcan Hengill. L’idée ? Accélérer la minéralisation du dioxyde de carbone. En le piégeant et l’injectant à plus de 1 000 mètres de profondeur dans le basalte où il se solidifie lui-même en roche. En l’espace de deux ans, les scientifiques parviennent ainsi à reproduire un phénomène naturel qui s’étend normalement sur des millénaires. Certes, cette nouvelle technique de séquestration, actuellement au stade de pilote, présente encore des défis notamment au regard de l’excessive consommation en eau douce qu’elle requiert. Elle s’avère cependant une potentielle solution suivie de près par les scientifiques du GIEC. Ceux-ci incluent en effet désormais les solutions de géo-ingénierie dans leurs scénarios. Une nécessité, nous expliquent-ils, afin de rester en-dessous des 1,5°C de réchauffement climatique. Des expérimentations à suivre...



MEET WITH

Sigurborg Ósk Haraldsdóttir

Conseillère municipale de Reykjavík, et Présidente du Comité de l'urbanisme et des transports





La responsable du Comité des transports plaide avec vigueur pour une mobilité verte et partagée. Sa visée est d’investir massivement dans de nouveaux réseaux de pistes cyclables et de systèmes rapides de transports en commun. Une ambition aujourd’hui teintée de frustration…


INTERVIEW

Sustainability MAG : Reykjavík climatiquement neutre, c’est pour 2040. Quelles sont les priorités de votre politique de transition énergétique ?

Sigurborg Ósk Haraldsdóttir : Actuellement, le plan d'action climatique de Reykjavík est en cours de révision afin que nous puissions continuer à adapter et à affiner les priorités climatiques de la ville. Cependant, pour Reykjavík, l'échange d'énergie en matière de transport est un point important. Le gouvernement a annoncé des plans visant à faire passer la flotte de transport islandaise des combustibles fossiles à l'électricité. Le cabinet n'a pas ménagé ses efforts pour annoncer ses ambitions, allant même jusqu'à affirmer que d'ici 2030, l'Islande aura cessé toute importation de moyens de transport alimentés par des combustibles fossiles. Toutefois, les communiqués de presse ambitieux ne sont pas synonymes d'action. Les résultats restent à voir. L'automne dernier, j'ai demandé un calcul d'impact sur les plans de conversion de tout le parc automobile à l'électricité. Le résultat est simple : changer de source d'énergie sans réduire l'utilisation de la voiture ne sera pas suffisant. Plus, ce sera certainement coûteux car on ne s'attaque pas au « graal sacrilège » de la politique : la réduction de la dépendance aux véhicules privés. Par conséquent, nous prévoyons une augmentation de 24% des voitures malgré les ambitions affichées par les gouvernements. Or, les calculs montrent que nous devons réduire l'utilisation de la voiture de 15% pour nous aligner sur les promesses déjà faites par l'accord de Paris. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous emballer avec de grandes annonces et des relations publiques tout en planifiant et en construisant des projets de transport à grande échelle qui augmentent l'utilisation de la voiture.

Crédit : Ville de Reykjavík
« Nous préconisons également une augmentation des dépenses pour les pistes cyclables : vertes, efficaces, bonnes pour la santé et d'un bon rapport qualité-prix. Ce devrait être l'objectif de chaque ville qui prend au sérieux l'action climatique »

Comment pensez-vous convaincre les habitants de Reykjavík qui ont quand même un des taux de possession de voiture par habitant les plus élevés au monde ?

Le public n'a pas besoin d'être convaincu. Les sondages, les recherches et les rencontres avec les membres du public montrent constamment que les gens sont plus ambitieux et plus déterminés que les institutions publiques et la plupart des responsables politiques. Les gens veulent des villes plus accessibles à pied, des transports publics plus nombreux et plus efficaces et une grande partie de la population se rend au travail à vélo. Mon parti et nos partenaires de coalition ont fait campagne sur un programme visant à finaliser un investissement dans un système de transport rapide par bus. Un investissement de cinquante milliards de couronnes islandaises. Dans le même temps, la minorité a constamment bloqué pour saper toute tentative d'investir dans des modes de transport public plus écologiques. Donc, une fois encore, ce n'est pas le public qu'il faut convaincre.

Nous préconisons également une augmentation des dépenses pour les pistes cyclables : vertes, efficaces, bonnes pour la santé et d'un bon rapport qualité-prix. Ce devrait être l'objectif de chaque ville qui prend au sérieux l'action climatique. Depuis environ 60 ans, la voiture est reine. Elle a été choyée, subventionnée et même saluée comme le signe de la liberté, alors que d'autres modes de transport ont été minés et rejetés... Ainsi, pour citer Wayne's World, la fantastique parodie du film Jusqu'au bout du rêve : « si vous construisez, ils viendront ».

Les transports polluants sont aussi le fait des touristes… Les habitants de Reykjavík sont parfois préoccupés face au succès touristique de l’Islande et son impact négatif sur l’environnement. Quelles sont les mesures particulières que vous avez prises à cette attention ?

L'objectif final est de créer un environnement où les touristes peuvent facilement se déplacer dans la ville sans avoir à louer une voiture. Cela peut se révéler délicat dans une ville qui dépend autant de l'automobile que Reykjavík. La contribution la plus significative sera le nouveau système de transport public principalement axé sur la fréquentation plutôt que sur la desserte. Nous sommes également en train de construire le premier pôle de transport de la ville avec une connexion directe à l'aéroport. Il est situé à 1 kilomètre du centre-ville. Comme nous l'avons toujours fait, nous nous concentrons sur l'infrastructure pour tous.