Traverser les immensités sans quitter son lit, se laisser bercer par le balancement indolent des wagons, compter les moutons à travers la vitre… Oui, le train de nuit est de retour !
Zurich-Rome, Vienne-Paris ou encore Berlin-Bruxelles, il sera de nouveau bientôt possible de se déplacer d’un bout à l’autre de l’Europe, allongé sur sa couchette. Pourquoi un tel retour en grâce ? Éloge d’un mode de transport plus respectueux de l’environnement et qui nous offre le luxe de prendre notre temps.
Voyager loin, polluer moins ?
Année 2021, « année européenne du rail ». C’est l’engagement pris par l’Union européenne pour encourager les citoyens et les entreprises à utiliser le train. Qu’il s’agisse de voyages personnels ou de déplacements professionnels, cette initiative met en avant les avantages et raisons de privilégier ce mode transport, tout en surfant sur une tendance : l’inflexion de l’opinion publique quant aux questions du climat et des choix de transport. Une récente étude menée pour la Banque européenne d’investissement montre ainsi que 72 % des européens interrogés sont favorables à la taxation du transport aérien pour lutter contre le changement climatique. Pourcentage qui ne va pas sans rappeler le flygskam suédois, parfois francisé en « avihonte », mouvement social anti-aérien ayant vu le jour en 2018, qui invite à tourner les yeux… du côté du rail. Les chiffres ne démentent pas la réputation verte du chemin de fer. En 2018, sur la totalité des transports utilisés en Europe, ceux en train ont représenté seulement 0,4 % des gaz à effet de serre contre 71,8 % pour les voyages en voitures, camions et autres véhicules empruntant les réseaux routiers. Un résultat largement imputable à l’électrification à 75 % des chemins de fer européens. Le vieux continent, dans sa transition post-carbone, peut se prévaloir d’avoir le deuxième réseau le plus étendu du monde, devant la Chine et tout juste derrière les États-Unis. Avec plus de 200 000 kilomètres de potentiel vert, « l’année européenne du rail » prend tout son sens… et cela s’entend bien sûr avec, pour les voyages longues distances, le grand retour des trains de nuit !
Luxembourg-Londres en train-couchette ? Ce n’est pas encore à l’ordre du jour, mais privilégier le train pour un tel déplacement de jour permet d’ores et déjà une forte réduction des émissions. Les futurs trains couchettes reliant Zurich à Rome ou encore Bruxelles à Berlin sont très prometteurs !
Nous n’osions même plus y croire. Depuis la démocratisation de l’avion, de nombreuses lignes longues distances avaient été supprimées des cartes ferroviaires. Délaissés, pas assez rentables ou trop lents… les trains de nuit ne faisaient plus autant rêver. Les quelques rames nocturnes qui subsistaient, paraissaient des vestiges d’une époque révolue. Seulement, prise de conscience écologique oblige, cette solution mi-transport mi-hébergement rencontre désormais un franc succès aux quatre coins de l’Europe.
Rien d’étonnant penserez-vous peut-être, au pays de Greta Thundberg, si les trains de nuit Stockholm-Abisko ont affiché complet pendant presque tout l’été 2020. Une tendance qui s’esquisse depuis les toutes dernières années. En 2019, un bond de 11 % de la fréquentation des réseaux de la plus grande compagnie ferroviaire suédoise SJ était observé. La tendance est générale : en Suisse, l’opérateur CFF a signalé la même année une augmentation de 25 % du trafic de trains de nuit pour faire face à la demande. Même constat du côté de la compagnie ferroviaire autrichienne ÖBB, dont le nombre de passagers en trains- couchettes en 2017 a doublé de 700 000 à 1,4 million. Pour répondre à cette tendance, les compagnies ferroviaires allemande (Deutsche Bahn), française (SNCF), autrichienne (ÖBB) et suisse (CFF) ont signé un protocole d’accord le 8 décembre dernier afin de relancer l’activité des trains de nuit et créer de nouvelles lignes. C’est officiel, les wagons-lits reprennent du service !
Les prochaines lignes de nuit à parcourir dès 2021
Une nouvelle philosophie de voyage
Et si voyager en train sur de longues distances était aussi l’occasion de contempler de plus près ce monde que l’on cherche à préserver ? Et si le voyage lent se transformait en art de prendre son temps ?
Qui ne s’est jamais laissé prendre à rêver, le regard perdu à contempler le paysage qui défile par la fenêtre d’un train ? Le chemin de fer offre à ses voyageurs ce qu’un avion ne pourra jamais leur faire voir : une prise de conscience des paysages traversés, de leur richesse et diversité. Prendre le temps de voyager, c’est aussi s’ouvrir plus facilement aux rencontres, aux imprévus, à la rêverie, oublier les cadences effrénées de la ville pour apprécier un rythme plus apaisé...
Rêver d'insolite?
Fermer les yeux, se laisser bercer par les vibrations du wagon… Rendez-vous à la métropole londonienne où vous embarquerez à bord du Caledonian Sleeper. Réveillez-vous au milieu des montagnes écossaises. Ouvrez grand les yeux, vous apercevrez sûrement de ravissantes rivières, de vieux châteaux et peut-être même des cerfs et biches ravis de profiter de ces infinies étendues d’herbe verte. Fan de Harry Potter ? Offrez-vous un trajet supplémentaire entre le Fort William et Mallaig où vous partirez à la trace du célèbre sorcier en traversant le légendaire viaduc Glenfinnan, survolé en voiture volante par Harry et Ron dans le deuxième épisode de la saga. Une fois arrivé, vous pouvez décider de rester. La nuit vous paraît d’autant plus magique à bord d’un train ? Vous pouvez opter pour une région plus nordique, direction le Nord de la Suède. Le train de nuit Stockholm- Kiruna de la compagnie SJ vous emmène pour un voyage de 15 heures à travers des étendues fascinantes et désertiques. Vous êtes désormais près du cercle polaire arctique. Le soleil ne cesse d'y briller en été, avant de disparaître pendant presque un mois en hiver. La fabuleuse occasion de voir des aurores boréales !
Si les -30 degrés de la période hivernale vous ont donné un peu froid, pourquoi ne pas retourner dans le Sud ? Le pass Interrail vous permet de voyager à moindre coût et de manière illimitée entre de très nombreuses villes européennes. La plupart des trains de nuits européens y sont inclus. Du château de Prague au Palais de Budavár à Budapest, du jardin anglais de Munich au musée des illusions à Zagreb... Profitez de vos nombreuses escales pour faire des visites culturelles passionnantes. Êtes-vous également passé par l’Italie ? Réveillez- vous ! Oui, vous êtes au milieu de la mer, toujours dans un train. Vous vous trouvez à bord du Rome-Palerme. Arrivé à Villa San Giovanni, à la pointe de la botte italienne, le train embarque sur un bateau afin de rejoindre le port de Messine, à l’autre bout du détroit, en Sicile. Ce trajet ne fait pas partie du pass Interrail, on vous l’accorde, mais il en mérite largement le détour. Fin du voyage ou début de vos aventures ? Prêts à embarquer les yeux fermés ?