Une visite guidée pas comme les autres avec ouverture des poubelles au programme !


Longtemps célèbre pour ses mythes cinématographiques, musicaux, littéraires, ses luttes sociales et la beat génération, San Francisco, est désormais une ville écologique reconnue pour sa politique de gestion des poubelles. L’objectif affiché est de réussir l’élimination et le recyclage de tous ses déchets d’ici 2020, le Zero Waste. À ce jour, l’agglomération a déjà atteint le taux extraordinaire de 80% de déchets recyclés, taux incluant les ordures ménagères et celles générées par les travaux publics et les entreprises.



San Francisco, pionnière du Zéro Déchet 

L’idée du « Zero Waste » germe en 2003, lorsque la ville constate que 90% du contenu de la poubelle d’un Américain est recyclable. Pari ambitieux pour une ville de 880 000 habitants qui produit alors des centaines de tonnes de déchets chaque jour. Au programme, des mesures drastiques et inédites pour changer les mentalités et mobiliser les citoyens. 

Le secteur du bâtiment 

Dès février 2006, la ville vote l’obligation de porter au centre de recyclage au moins 65% des débris de construction (béton, métal, bois…). La simple violation de cette règle peut conduire à une amende et à la suspension de l’entreprise ou du professionnel pendant six mois. Par ailleurs, la ville s’engage à n’utiliser que des matériaux recyclés pour des travaux publics tels l’asphalte, les trottoirs, les gouttières ou les fondations des bâtiments.


PUREMENT ET SIMPLEMENT INTERDITS 

  • Les sacs plastique sont bannis dans tous les commerces de détail et à tous les restaurants 
  • L’usage de polystyrène est prohibé pour toute boîte contenant de la nourriture 
  • La ville interdit la vente et la distribution de bouteilles d'eau en plastique dans l'espace public et met à disposition des fontaines à eau

Recycler pour économiser  

La pression est très forte sur les restaurants, hôtels, épiceries, nombreux à San Francisco et qui génèrent des masses importantes de déchets organiques. Le système est simple : une poubelle verte pour les déchets organiques, une bleue pour les déchets recyclables (papier, carton, plastique) et une noire pour le reste non recyclable. Des taxes sont appliquées et sont proportionnelles à la taille des poubelles sachant que la noire est surtaxée. Plus vous recyclez, plus vous économisez d’argent. Le concept est un succès. En un an, le Hilton, premier hôtel à adopter le principe et servant 7 500 repas quotidiens, a économisé 200 000 dollars. L’initiative s’étend aux particuliers dès 2009. Résultat : voulant faire baisser la facture de sa poubelle, chacun commence par réduire ce qu’il y jette.

Crédit : Sven Eberlein

La police des poubelles 

Il incombe aux éboueurs de vérifier que les déchets soient disposés dans les poubelles prévues à cet effet. Dans le cas contraire, ils sont habilités à délivrer des amendes de 100 à 1_000 dollars… même si dans les faits on en reste encore surtout aux avertissements. 

Le parcours des déchets 

Les poubelles vertes de déchets organiques sont embarquées dans les rues par camions entiers puis déversées près de Vacaville, à 40 kilomètres au nord de San Francisco, afin de produire 650 tonnes d'un riche compost, vendu aux agriculteurs de la région. Le reste, le solide et le réutilisable, est trié au Pier 96. Ce hangar maritime de 20 000 mètres carrés alimenté en partie par des panneaux solaires sur le toit, abrite le plus grand centre de recyclage de la planète. Dans un bruit de tam-tam géant, des nuages de papiers multicolores flottent sur les chaînes de tri en direction des compacteurs. 650 tonnes par jour y sont déversées et triées en pas moins de seize matériaux (plastiques, métal, verre, papier…). Des tapis high-tech munis d'yeux laser trient les plastiques, propulsés par des jets d’air pulsés vers des bennes. Des courroies aimantées escamotent les métaux. Chaque matière est ensuite empaquetée et stockée avant exportation vers des usines de fabrication, en Californie, vers le Canada et l’ Asie. Le métal est redirigé vers des fonderies. Ce système rendrait crédible, aux yeux du monde, l'espoir d'un recyclage systématique et massif des déchets, clef d'une réduction sensible des émissions de gaz à effet de serre. 

Crédit : Sven Eberlein

Pier 96. Chaque jour, 650 tonnes de déchets sont triées dans le centre de recyclage de San Francisco.

À San Francisco, les déchets valent de l’or 

Il est d’usage d’opposer l’économie à l’environnement or «  Zero waste » montre que les deux vont de pair. Le site de recyclage Pier 96 a ainsi créé 178 emplois, rémunérés de 40 000 à 80_000 dollars par an, tous réservés aux habitants des quartiers défavorisés proches. En effet pour chaque tonne de déchets, le recyclage crée 20 fois plus d’emplois que l’incinération. Grâce aux taxes de collecte des poubelles, le programme collecte 300 millions de dollars par an qui financent l’intégralité du dispositif. Aujourd’hui, San Francisco peut afficher de solides résultats avec ce chiffre impressionnant : 80%. C’est la part de déchets qui échappe à l’enfouissement en décharge alors que ce taux s’élève seulement à 21% à New York et 10% à Chicago. Si le chemin parcouru est considérable, son objectif de 100% de déchets recyclés ou compostés reste bien sûr un défi. Il est notamment rendu compliqué par le nombre important de commandes en ligne réalisées par ses habitants, commandes dont les packagings font enfler les poubelles franciscanaises. Il incombe ici aux entreprises d’agir en amont, d’intégrer l’écoconception, de revoir leurs modes de production, de réduire leurs emballages. Limiter la production de déchets reste logiquement la meilleure solution, car le recyclage reste somme toute énergivore. Ainsi, il apparaît clairement que l’objectif Zero Waste ne pourra être atteint qu’avec l’implication de l’ensemble de l’écosystème d’acteurs.

MEET WITH

Alex Dmitriew

Coordinateur Zéro Déchet pour le secteur privé au Département Environnement de San Francisco. 




INTERVIEW


Sustainability MAG : San Francisco a une cellule dédiée au programme Zero Waste. En tant que coordinateur commercial pourriez-vous nous expliquer un peu plus quel est votre rôle au sein de ce programme? 

Alex Dmitriew : Je m’occupe principalement des comptes commerciaux du programme Zéro Waste. En plus de cette cellule, nous avons également une équipe gouvernementale dédiée à la ville et aux résidents composée de 10 employés à temps plein. Je suis tenu de mettre en œuvre les différents décrets et politiques en matière d’élimination de déchets dans le secteur privé y compris les interdictions concernant les sacs en plastique et la mousse de polystyrène.

Ce nouveau système implique un changement de mentalités, comment les entreprises et habitants ont-ils réagi à l’annonce de ce système de taxes? 

Les résidents et les entreprises paient pour les services de collecte sur un système de «payez ce que vous jetez». Autrement dit : plus ils recyclent et compostent, plus ils économisent. À l'inverse, plus ils produisent de déchets, plus la facture est importante. Ils reçoivent une facture de Recology, notre fournisseur de services pour la collecte des poubelles, et la paient directement. Les gens en sont satisfaits, c’est une dépense perçue comme « juste » puisqu’elle rémunère un service rendu et ne s’apparente nullement à une taxe.


« Les fonds de la ville ou l'argent des contribuables ne sont aucunement utilisés pour financer nos politiques "zéro déchet" »

Ce programme est-il rentable ? 

Recology collecte environ 300 millions de dollars par an auprès des résidents, des entreprises et des immeubles collectifs. Ce revenu couvre tous nos programmes, y compris le budget de ce département (environ 11 millions de dollars par an). Les fonds de la ville ou l'argent des contribuables ne sont aucunement utilisés pour financer nos politiques «zéro déchet». 

Avez-vous réussi à atteindre l'objectif Zero Waste ? Si non, quels efforts restent-ils à réaliser ? 

Notre objectif initial était zéro déchet d’ici 2020. Cet objectif a été établi en 2003 comme un cap ambitieux à suivre. Aujourd’hui nous avons atteint 80% de taux de collecte. Cela nous a pris 13 ans de passer de 33 à 80%. À l’avenir, la ville s’engage à réduire la production de déchets d’encore 15% et à réduire de 50% l’enfouissement d’ici à 2030. 

Pensez-vous que ce modèle puisse être transposé à d’autres villes ? 

Oui, dans la mesure où les autres villes ont vraiment la volonté politique d’adopter des mesures significatives pour améliorer la qualité de la vie et de prendre des mesures importantes pour lutter contre le changement climatique. 

En quelques mots, si vous pouviez donner un conseil à un maire qui souhaite mettre en œuvre cette mesure, quel serait-il ? 

Préservez les matières organiques des flux de déchets en les destinant à un usage bénéfique comme le compost. Rendez obligatoire la séparation des déchets à la source pour tous les secteurs pouvant l’implémenter.