Dans une explosion de couleurs, l’artiste peintre nous emmène découvrir les parts insondées des forêts, celles trop souvent oubliées d’une société toujours plus urbaine. Elle met au jour les vibrations d’un univers qui recèle encore bien des mystères à ses yeux, un monde avant tout synonyme d’harmonie et de puissante vitalité. Cette artiste américaine installée au Grand-Duché puise son inspiration notamment des bois qu’elle arpente au Luxembourg. Prêt pour un bain de forêt ?
Sustainability MAG : Vos œuvres nous plongent dans l'univers mystérieux des forêts, qu'est-ce qui vous pousse à transcrire cet environnement ?
Anita Dore : Au départ, j'ai été attirée par les couleurs et les textures, la lumière et les compositions de l'espace. Puis, au fur et à mesure que j'en apprenais davantage sur les forêts, j'ai été fascinée par leur complexité. Cela explique le lien émotionnel que j’ai avec elles. Je suis réellement subjuguée par ce qui se passe dans les forêts. Il s'agit d'un ensemble incroyablement complexe et dynamique de relations, de systèmes et de processus qui ne sont pas facilement perceptibles de premier abord. Malgré cette activité intense, tout y fonctionne en harmonie. Je recherche ce même type d'équilibre dans mes tableaux. Je veux qu'ils soient intéressants et intellectuellement stimulants, mais aussi équilibrés et tout simplement une belle expérience.
Est-ce une quête de bien-être ?
Quand je suis dans la forêt, je me sens enchantée et dynamisée, mais aussi sereine. À mon avis, c'est dans notre ADN d'avoir besoin d'être dans des espaces vierges à certains moments, pour nous relier à notre essence, et nous sentir en harmonie. Je vous avoue que j'ai enlacé quelques arbres, et j'ai souvent l'impression de recevoir de l'énergie positive en retour. Je ne sais pas vraiment ce qui cause ce sentiment, mais je crois que les arbres et les forêts sont bien plus que ce que l'on peut en voir. Cependant, je pense que nous pouvons le sentir intuitivement, si nous nous y autorisons. C'est peut-être la raison pour laquelle les bains de forêt deviennent populaires.
« Symphony »
Quelles forêts vous ont le plus inspirée ?
La forêt Mariposa de séquoias géants dans le parc national de Yosemite en Californie. J'y suis allée plusieurs fois et à chaque fois, j'ai la sensation d'une expérience spirituelle. Au Luxembourg aussi, je visite les forêts qui se trouvent à une courte distance en voiture de chez moi. J'essaie d'y aller au moins deux fois par semaine.
Vous nous montrez les forêts plein cadre. Sont-elles selon vous trop négligées dans l'attention de notre société ? Est-ce une invitation à renouer avec les arbres et la nature ?
Ce n'était pas une décision consciente de peindre de cette façon. Je pense que cela vient de mon sentiment d'intimité avec les forêts, et de la façon dont j'aime me rapprocher pour mieux observer tous les détails. Je suis également conceptrice de surfaces, donc au départ, mon étude approfondie des arbres et des plantes m'est venue de la recherche de formes inspirantes pour créer des motifs. Malheureusement, je ne pense pas que la société valorise suffisamment les forêts. Et je crains que la plupart des gens ne sachent pas à quel point elles sont complexes ; pourtant elles le sont bel et bien - j'en apprends encore moi-même toujours.
« White Pine »
Une forêt est comme une communauté qui a grandi et évolué au fil des ans, elle ne peut pas être remplacée rapidement, si tant est qu'elle puisse l'être du tout. J'aimerais que les gens considèrent les forêts différemment, qu'ils y soient attentifs, qu'ils voient la magie mystérieuse qu'elles recèlent et qu'ils se sentent liés à elles. Les arbres nous ressemblent beaucoup, surtout ceux des forêts vierges. Ils communiquent entre eux, se protègent les uns les autres, ils ont même le sens du goût et de l'odorat. Certains scientifiques estiment qu'ils sont intelligents et qu'ils peuvent apprendre. C'est quelque chose qu'on ne peut pas percevoir de prime abord. En définitive, je peins les forêts pour qu’on les aime et, je l’espère, les protège.
« Bambësch »
Couleurs vives, larges touches, il y a une partie invisible que vous cherchez à exprimer avec vigueur. Comment qualifieriez-vous votre style ?
Il y a dans mes peintures des coups de pinceau spontanés mais aussi des coups de pinceau plus prudents et délibérés. Je travaille aussi de manière itérative - la plupart de mes tableaux comportent plusieurs couches de peintures construites les unes sur les autres. Involontairement, ou peut-être inconsciemment, je reproduis ainsi les multiples strates de la forêt.
« Symphony »
Je trouve beaucoup d'inspiration chez Henri Matisse, Ferdinand Hodler, Hilma af Klint, David Hockney, Milton Avery, Irmgard Weber et Per Kirkaby. J'utilise des couleurs audacieuses, des coups de pinceau plus amples et des formes abstraites pour transmettre une certaine émotion et énergie. Mais il est aussi important pour moi de transmettre un sens d'appartenance à un lieu. Et même si les peintures ne semblent pas réalistes, elles capturent en fait une réalité différente - celle de la complexité de l'écosystème forestier - une réalité que nos sens ne peuvent percevoir à première vue.
Anita Dore est née et a grandi dans la campagne du nord de l'État de New York. Elle est diplômée en design de l'Université de Cornell. La peinture est pour elle une expression de ses émotions et une façon de sensibiliser à l'enjeu qui lui tient le plus à cœur : la protection de notre environnement. Son travail fait partie de collections privées aux États-Unis et en Europe. Elle est aujourd’hui établie à Luxembourg Ville.