Il se définit lui-même comme un éco-artiste. À travers ses œuvres : installations, photographies et vidéos, Alejandro Durán s’intéresse à la relation entre l’Homme et la nature, en révélant l’impact de notre société de consommation sur le monde. Dans son viseur : les débris plastiques. Il est venu de New-York où il vit, pour présenter son travail lors du Luxembourg Sustainability Forum 2019. Rencontre avec cet artiste mexicain engagé...
Sustainability MAG : Votre oeuvre est largement associée à la question des plastiques jetables. Comment est née votre volonté de travailler sur ce sujet ?
Alejandro Durán : En 2010, j’ai visité la réserve naturelle mexicaine de biosphère et j’ai été saisi par la quantité de déchets qui couvraient la plage de ce paradis répertorié comme site du patrimoine mondial de l’UNESCO. Rapidement, je me suis rendu compte que ces détritus venaient se déverser sur le rivage depuis le monde entier. Après avoir surmonté mon dégoût initial, j’ai entrepris de collecter les objets colorés pour construire des installations éphémères sur fond de jungle et de plage. Neuf ans plus tard, j’y travaille toujours.
Vous mettez en lumière notre culture actuelle, celle de l'ultra-jetable… Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Ce que je trouve échoué sur la côte mexicaine sont des objets que chacun utilise dans son quotidien… bouteilles, brosses à dents, briquets, peignes, déodorants, cordes, jouets, et la liste se poursuit encore et encore. Ces produits ne servent que pour une très courte période, parfois quelques minutes, et quand on s’en sépare, ils peuvent potentiellement subsister pendant des siècles et détruire les écosystèmes dont nous sommes dépendants. Il est temps de repenser nos relations vis-à-vis de ces produits à usage unique.
« Brotes » (Bourgeons)
Un aspect saisissant de l’exposition est le mur des différentes provenances des déchets que vous avez retrouvés sur les plages. On y retrouve presque tous les pays ! C’est votre façon d’appeler à la responsabilisation de chacun en tant que consommateur face à ce problème global ?
Afin de trouver une solution au problème de la pollution plastique, je pense qu’il est très important de comprendre d’où viennent les déchets. J’ai trouvé fascinant de voir que les détritus échouant sur le littoral mexicain des Caraïbes proviennent du monde entier. Je ne peux jamais savoir où un produit a été jeté mais parfois, je suis capable de retracer son lieu de fabrication. Jusqu’à présent, j’ai trouvé des déchets provenant de 58 pays et territoires différents sur 6 continents. Ce sont les déchets du monde, nos déchets à tous. Et oui, nous allons avoir besoin de l’aide de chacun pour arrêter la maladie que représente la pollution plastique.
Comment le public luxembourgeois a-t-il réagi à votre travail ?
J’ai été très bien reçu au Luxembourg. J’ai eu de nombreux échanges intéressants suite à l’évènement et j’ai été invité à faire un discours à Bruxelles quelques semaines plus tard. J’ai été honoré que le Premier Ministre soit présent et très heureux de lui faire découvrir l’exposition. J’espère revenir au Luxembourg bientôt !
Xavier Bettel and Alejandro Durán à côté de « Vena »
Pouvez-vous nous parler de Vena, cette installation qui a surpris les visiteurs dès l’entrée du forum ?
Vena est une nouvelle direction dans mon travail où les déchets que j’ai récoltés semblent se déverser hors de la photo, nous rappelant que lorsque l’on jette quelque chose, il n’est jamais vraiment jeté puisqu’il revient nous hanter. Il y a quelques années, quelqu’un avait vu une première version de Vena sur la plage et m’avait dit que le message de mon travail était clair… La Terre saignait. Cette interprétation me touche encore aujourd’hui.
« Algae » (Algues) / « L'alchimie de Washed Up ne réside pas seulement dans la transformation d'un paysage saccagé, mais aussi dans le potentiel du projet à sensibiliser et à changer notre rapport à la consommation et aux déchets »
Il y a, dites-vous, tellement de débris plastiques sur les rives que vous n’avez aucune difficulté à trouver des objets de l’ensemble de la palette chromatique en quantités…
Après ma première impression de dégoût à la vue de tant de déchets du monde entier échoués sur le littoral d’un paradis au Mexique, j’ai commencé à voir les couleurs de certains matériaux et j’ai décidé de les rassembler et d’en faire de l’art. Il y a évidemment beaucoup de déchets ternes et laids aussi mais je me suis consacré à la collecte des pièces de couleurs les plus saturées. Beaucoup de personnes pensent que je peins les déchets mais ce n’est pas le cas. Je chasse et je regroupe les couleurs.
Si vous ne deviez garder qu’une photographie, laquelle choisiriez-vous ?
C’est une question difficile ! Le processus de création de Amanecer (Aube) était un moment particulier, juste après une intense tempête. La nature domine dans cette photo et l’idée que nous pouvons traverser la tempête et que la nature triomphe me donne de l’espoir. Mar (Mer) de 2013 est moins porteuse d’espoir mais très puissante. J’ai aussi d’autres œuvres favorites qui changent selon mon humeur. Désolé, je ne peux pas trancher !
« Mar » (Mer)
Ce qui est intéressant dans votre engagement, c’est qu’au-delà de la prise de conscience permise grâce à l’exposition de vos œuvres, vous agissez très concrètement auprès des communautés locales. Comment votre message porte-t-il sur place ?
Le travail avec les communautés est une part essentielle de mon projet. Jusqu’à présent, le projet a été reçu chaleureusement par les communautés avec lesquelles j’ai travaillé, au Mexique comme à New-York. J’ai aussi reçu des messages de plusieurs écoles et d’étudiants du monde entier disant qu’ils avaient été touchés par mon travail. Cela me pousse toujours à continuer de travailler sur le projet.
Né à Mexico en 1974, Alejandro Durán est un artiste multimedia basé à Brooklyn, New York. À travers la photographie, diverses installations et la vidéo, son travail éco-artistique examine les croisements entre l'Homme et la nature, révélant particulièrement l'impact omniprésent de la culture de consommation sur le monde naturel. Il a reçu le prix En Foco's New Works 2011 et le prix Art With Me Tulum's Social Impact 2018. Sur la scène internationale, son travail a été présenté au Fotografie Forum Frankfurt en Allemagne et au festival Mt. Rokko International Photography au Japon.