Le Luxembourg est-il susceptible d’atteindre les Objectifs de Développement Durable ? Considérant les entreprises comme des acteurs majeurs de transformation sociétale, une enquête a été récemment menée auprès des membres IMS Luxembourg pour évaluer leur niveau d’engagement dans le domaine de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) et plus spécifiquement leur potentielle contribution à l’Agenda 2030 luxembourgeois.
Quoique jugée stratégique par les CEO…
90% des CEO considèrent la RSE comme une opportunité de développement pour l’entreprise. Quasiment un sur deux (47%) y voit une opportunité de répondre à des nouveaux besoins du marché.
... la RSE souffre d’un manque de ressources pourtant essentielles à sa gestion efficiente.
Seulement 60% des entreprises ont nommé une personne chargée de la gestion de la RSE. Qui plus est, dans seulement 13% des cas, cette personne est totalement consacrée à ce service. Sur le plan financier, seulement 46% des entreprises allouent un budget à la RSE. Au regard du suivi et contrôle, les entreprises ne sont que 46% à déclarer avoir mis en place un plan d’action à court et moyen terme pour la RSE et uniquement 52% mettent en place des indicateurs spécifiques.
Le collaborateur est au cœur du dispositif RSE des entreprises…
Les parties prenantes avec lesquelles les entreprises travaillent le plus dans leur démarche RSE sont leurs collaborateurs. En effet, on constate que les trois principales parties prenantes citées sont les salariés (pour 71%), le senior leadership (60%) et le middle management (58%). Les collaborateurs sont informés de l’actualité RSE via des réunions (76%), par des e-mails internes (68%), via l’intranet (65%) ou encore des formations (41%).
…et son bien-être est primordial.
Force est de constater que le bien-être du collaborateur est une des préoccupations principales des répondants. Ainsi, 89% des entreprises ont mis en place des mesures pour accroître le bien-être au travail. Celles-ci se focalisent sur l’amélioration de la santé et de la sécurité (98%), l’équipement des locaux (93%), l’équilibre vie privée / professionnelle (90%), la gestion du stress (68%) et le trajet travail-domicile (65%). Lorsque l’on examine le lien existant entre les Objectifs de Développement Durable (ODD) et la démarche RSE des entreprises, il ressort que les cinq sous-objectifs les plus cités concernent exclusivement le bien-être du collaborateur (Figure 1). Plus précisément, 93% des répondants mentionnent les conditions de travail saines, 91% mettent en avant l’importance de se former dans l’entreprise, 89% les conditions de travail équitable, 87% un emploi et salaire équitable et enfin 75% un emploi décent et égalité entre les travailleurs. Afin d’accroître encore le bien-être des collaborateurs, 76% des entreprises sont prêtes à mutualiser leurs moyens avec d’autres organisations présentes sur le même territoire.
Figure 1 - Top 5 des priorités : Les collaborateurs au centre des politiques RSE.
Chaque ODD se caractérise par plusieurs sous-objectifs plus spécifiques. Cette figure illustre ainsi les cinq sous-objectifs les plus récurrents dans la démarche RSE des répondants.
Figure 2 - Les CEO s’expriment sur les 17 Objectifs de Développement Durable
Axe vertical - % de répondants selon l’importance stratégique des ODDs pour leur entreprise. / Axe horizontal - % de répondants selon l’urgence des ODDs dans l’agenda luxembourgeois.
Comment lire la matrice ?
Les répondants ont dû répondre à deux questions.
1. D’une part, ils ont dû évaluer sur une échelle de Likert à 5 points allant de « Pas du tout urgent » à « Très urgent », quels ODDs devaient être traités prioritairement par le Grand-Duché du Luxembourg.
2. D’autre part, les dirigeants ont dû indiquer l’importance stratégique des ODDs pour leur entreprise.
La matrice a été construite afin de mettre en relation ces deux dimensions. Les points sur la matrice rendent compte du pourcentage de répondant qui a indiqué « urgent » ou « très urgent » à la première question et du pourcentage de répondant qui a coché « important » ou « très important » à la deuxième question. Les numéros associés à chaque point représentent l’ODD concerné.
Par exemple, le nombre « 13 » correspond à l’ODD « Climate Action » et est caractérisé d’une part par 95% des CEO le considérant comme urgent à traiter par le Luxembourg et d’autre part 33% des CEO le considérant comme important pour la stratégie de leur entreprise.
Vers de nouveaux enjeux stratégiques ?
IMS a voulu connaître l’avis des CEO sur les 17 ODDs adoptés par l’ONU. À cet égard, une matrice a été construite (voir Figure 2). Celle-ci permet tout d’abord de mettre en lumière le classement des principaux ODDs selon que l’on se place dans une optique stratégie d’entreprise ou bien d’urgence étatique (voir Figure 3).
Ensuite, elle permet d’identifier les enjeux stratégiques de demain, les ODDs qui sont perçus par les CEO comme les plus stratégiques pour l’entreprise et les plus urgents à traiter par le Grand-Duché (cf. encadré noir sur la matrice). Les entreprises sont ici considérées comme des acteurs clés pour la réalisation de ces objectifs. Plus la collaboration entre les entreprises et le gouvernement sera étroite, plus la probabilité d’atteindre ces objectifs sera élevée.
Figure 3 - Importance stratégique et urgence étatique : deux classements différents
Ligne du dessus : les 5 ODDs qui doivent être traités prioritairement par le Luxembourg. Ligne du dessous : les 5 ODDs les plus stratégiques pour les entreprises.
L’ODD 8 promeut une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein-emploi productif et un travail décent pour tous. Cet objectif s’inscrit dans la dynamique de la Troisième Révolution Industrielle qui vise à atteindre une croissance durable, post-carbone et inclusive. L’innovation est un vecteur majeur à la réussite de cet ODD.
L’ODD 12 vise à établir des modes de consommation et de production durables. Les ressources s’épuisent, l’environnement se dégrade et de nouveaux risques émergent ; pénurie, volatilité des coûts, contraintes de compensation de l’environnement. Dans une optique de minimisation des risques, il est dès lors cohérent de constater que cet ODD est considéré comme un enjeu stratégique important. Il semblerait que la force centripète de l’économie circulaire soit parvenue à faire bon écho chez nos répondants.
L’ODD 7 garantit l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable. La contribution des entreprises à cet objectif permettrait d’accroître la production d’énergie renouvelable, ce qui, dans un contexte de diminution des ressources fossiles, permettrait aux entreprises de gagner en résilience et de se protéger contre la volatilité du coût de l’énergie. L’ODD vise également à multiplier par deux le taux d’efficacité énergétique, soit un gain d’économie pour les entreprises. Nos répondants semblent avoir bien mesuré l’enjeu stratégique de cet ODD.
L’ODD 9 vise à bâtir une infrastructure résiliente, à promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et à encourager l’innovation. Selon Global Compact France, cet objectif « peut espérer voir le jour via le développement d’infrastructures propres, écoresponsables, fiables et accessibles, qui seront à la base du développement économique futur, du bien-être humain et de la promotion d’une industrialisation durable, qui profiteront à tous et favoriseront l’accès aux technologies de l’information et de la communication. » En encourageant l’innovation et en accélérant leur recherche et développement en lien avec ces infrastructures, les entreprises ouvriront leurs portes à un ensemble d’opportunités stratégiques : une position de leader de la transition vers une industrie durable, un accès à de nouveaux marchés ou encore une anticipation des réglementations et coûts futurs.
Les CEO ne perçoivent cependant pas totalement l’importance stratégique des ODDs.
À une exception près, le pourcentage de CEO considérant comme urgent l’intervention du Luxembourg dans la réalisation des ODDs est toujours supérieure au pourcentage de CEO considérant comme important les différents ODDs pour l’activité de leur entreprise (voir Figure 2). Cela atteste d’un certain retard dans la prise de conscience des opportunités stratégiques que peuvent apporter les Objectifs de Développement Durable.
À titre d’illustration, le treizième ODD qui vise à prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions est celui qui est le plus marquant. En effet, 95% des CEO le considèrent comme urgent à traiter au Grand-Duché alors que seulement 33% le perçoivent comme important pour la stratégie de l’entreprise. Autrement dit, 67% ne sont pas encore parvenus à s’approprier les enjeux stratégiques et les conséquences majeures sur la pérennité de leur modèle économique qui se cachent derrière la protection du climat. Global Compact France affirme que le coût de l’inaction, qui serait responsable d’une grande instabilité économique, sociale et environnementale, est beaucoup plus élevé que les investissements nécessaires pour décarboner l’économie et s’adapter dès maintenant.
Comme l’a démontré le rapport de Nicolas Stern en 2006, l’inaction face au réchauffement climatique équivaut à une perte annuelle d’environ 5% à 20% du PIB mondial selon l’éventail de risque et de conséquences pris en compte. En revanche, le coût de l’action, à savoir réduire les émissions de gaz à effet de serre pour éviter les pires conséquences du changement climatique, peuvent se limiter à environ 1% du PIB mondial chaque année.
Homme = Femme ?
Le cinquième Objectif de Développement Durable des Nations Unies est de parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles. Cet objectif est le seul qui se caractérise par une proportion de CEO le considérant comme plus important stratégiquement (57%) que urgent à traiter par le Luxembourg (41%) (voir Figure 2). Ce résultat permettrai-t-il d’affirmer que le Luxembourg est parvenu, au cours des dernières années, à sensibiliser les entreprises à l’égalité homme-femme ? Le programme d’Actions Positives mis en place dans le cadre du plan d’égalité des femmes et des hommes du Grand-Duché a certainement dû aider. À en croire le rapport 2016 sur l’écart économique entre les genres publié par « The World Economic Forum », le Luxembourg se classe 34e sur 144 pays analysés, soit un gain de 22 places en dix ans.
L’Économie Sociale et Solidaire, une nouvelle approche de collaboration ?
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 12 décembre 2016 portant sur la création des sociétés d’impact sociétal (SIS), l’économie sociale et solidaire (ESS) est reconnue officiellement au Grand-Duché en tant que secteur de l’économie regroupant les organisations privées (entreprises coopératives, associations, mutuelles ou fondations) qui cherchent à concilier l’activité économique et équité sociale. Ce nouveau type d’entreprise retient toute l’attention des membres d’IMS puisque 76% d’entre eux sont disposées à co-créer des solutions innovantes avec des organisations de cette nouvelle économie.
Les thématiques qui intéressent le plus sont l’éducation et la jeunesse (51%), l’emploi et l’insertion (37%), l’économie circulaire (34%), l’énergie durable (26%), la santé et la nutrition (23%), les circuits courts (17%) ainsi que la silver economy (9%).
Selon ces résultats, on observe que les entreprises travaillent prioritairement sur le volet social. Qu’en pensez-vous ?
Ces résultats ne m’étonnent pas et je dirais même que je trouve cela très encourageant. En effet, en adoptant en priorité des pratiques relevant du volet social, les entreprises ont compris qu’elles peuvent accroître leur compétitivité et leur attractivité en cherchant à satisfaire les attentes de leurs collaborateurs.
Une telle démarche se compose généralement de plusieurs étapes. L’entreprise doit tout d’abord dialoguer avec ses collaborateurs pour identifier leurs attentes. Puis elle doit investir dans des pratiques visant à satisfaire ces attentes. Ces dernières vont modifier le comportement des salariés comme par exemple faire baisser le taux d’absentéisme, augmenter leur engagement, diminuer le nombre de départ. Par voie de conséquence, tout cela va augmenter la performance de l’entreprise. En s’engageant dans le domaine social, l’entreprise adopte des pratiques qui ont un impact positif sur ses salariés et ses performances.
Au regard d’autres enquêtes menées par TNS IIres, comment expliqueriez-vous cette préoccupation des entreprises pour le bien-être de leurs collaborateurs ?
Je ne suis pas dans le secret des décideurs. Je vois quatre pistes d’explication. Avant tout, une contrainte réglementaire croissante en matière de santé et sécurité au travail. Ensuite, l’humanisme de certains dirigeants d’entreprise qui s’exprime par le respect des collaborateurs comme un fondement du bon fonctionnement de l’entreprise. La RSE est fondée alors dans une culture d’entreprise vécue au quotidien et favorisée par les responsables à tous les niveaux. En troisième lieu, on peut imaginer que certains résultats d’études ont joué : ils montrent qu’à terme au moins le bien-être des collaborateurs, leur motivation et la productivité économique sont fortement liés. C’est donc l’intérêt direct des décideurs, même s’ils sont nombreux à ne pas avoir encore relevé le défi. Enfin, la pénurie de main d’œuvre qualifiée et les attentes des millenniaux n’ont pas laissé d’autres choix aux entreprises que de répondre positivement à cette question-clé du bien-être.
Quel est votre point de vue sur les 4 ODDs identifiés comme stratégiques et urgents qui sont repris dans le cercle de la matrice ?
Les progrès sont notables pour ces 4 ODDs mais il convient de s’interroger sur la nature même de ces améliorations. Comment notre société peut-elle transformer nos modes de vie, repenser nos produits et services et mode de production tout en assurant des flux de matières et d’énergies respectueux de la capacité biologique de notre région ? Une technologie plus intelligente est certes une condition nécessaire mais n’est pas suffisante. Ce sont de nouveaux partenariats (ODD 17) dont nous avons besoin et non d’une référence à cette notion désuète de croissance. Nous devons collaborer autrement afin d’appréhender différemment le capital naturel, social et financier, la co-création de valeur et notre définition des parties prenantes. Une innovation radicale à même de relever les défis futurs nécessitera non seulement de repenser l’ensemble de notre chaine de valeur mais aussi les modèles économiques en dépassant l’ancien clivage production / consommation. Les citoyens devront être mobilisés afin d’être vecteurs d’influence et non simples consommateurs passifs à travers des méthodes d’ « open innovation » et d’ingéniosité collective pour une co-création de valeur et de nouveaux modèles de gestion. Au-delà du simple sujet de la consommation responsable, cette approche invite les dirigeants à s’emparer plus activement du sujet de la fracture sociale (ODD 10).
Les chiffres montrent que les entreprises sont plus que prêtes à être actives dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Les défis majeurs auxquels nous faisons face aujourd’hui, que ce soit le défi climatique, le défi numérique ou encore le défi social, nous amènent à une prise de conscience renforcée des enjeux sociétaux. Nous devons mieux anticiper les besoins économiques, sociaux, culturels et écologiques futurs. Dans la recherche de solutions adaptées et innovantes, les entreprises sont ainsi amenées à se tourner vers les entreprises de l’économie sociale car c’est grâce à l’innovation sociale que ces dernières ont depuis toujours trouvé des solutions innovantes à des problèmes sociaux ou sociétaux naissants. En travaillant ensemble et en mutualisant les efforts et les expériences, elles peuvent réussir à construire une économie qui intègre l’innovation sociale et qui place de nouveau l’humain au cœur de ces préoccupations.
Méthodologie de l’enquête
Mode de collecte des données : Les personnes de contact habituellement référentes et / ou les CEO des 110 entreprises membres d’IMS ont reçu un questionnaire à compléter en ligne.
Taux de réponse : 38 %
Période de collecte : entre le 29 juin et le 4 septembre 2017.
Une enquête IMS, TNS IIres, LISER et Ministère du Travail, de l'Emploi et de l'Économie sociale et solidaire
Méthodologie de l’enquête
Mode de collecte des données : Les personnes de contact habituellement référentes et / ou les CEO des 110 entreprises membres d’IMS ont reçu un questionnaire à compléter en ligne.
Taux de réponse : 38 %
Période de collecte : entre le 29 juin et le 4 septembre 2017.
Une enquête IMS, TNS IIres, LISER et Ministère du Travail, de l'Emploi et de l'Économie sociale et solidaire