S’il y a bien un pays en Europe qui se démarque par son multiculturalisme, c’est le Luxembourg ! Le Grand-Duché rassemble à ce jour une population de plus de 626 000 habitants, dont pas moins de 47 % sont étrangers ! Terre d'immigration, plus de 170 nationalités s’y côtoient, les communautés portugaise, française et italienne étant les plus larges. Oui, le pays est bien un melting pot ! Mais une étude récente vient semer le trouble : près d'une discrimination sur deux observées sur le territoire concerne la nationalité. Quel est donc ce paradoxe luxembourgeois ?
Parmi les résidents luxembourgeois, 20 % des répondants disent avoir été victimes de discrimination au moins une fois au cours des 3 dernières années. Quels sont les motifs les plus récurrents ? Contre toute attente, au vu du syncrétisme multiculturel luxembourgeois, la nationalité arrive en tête, représentant 46 % des discriminations, suivie du sexe et du genre (28 %), des compétences linguistiques (22 %) et de l'apparence physique (22 %).
Les conséquences de ces événements sont multiples : en tête de liste, un sentiment de rejet vécu par 44 % des personnes, mais aussi une perte de confiance, de la rancœur ou encore un repli sur soi. En effet, 79 % des personnes interrogées disent souffrir encore de la situation. Et pourtant, 90 % des victimes sondées décident de ne pas porter plainte.
Un cercle vicieux ?
Seules 10 % des victimes interrogées admettent ainsi avoir contacté les autorités suite à une discrimination. Les raisons ici sont multiples. Il y a tout d’abord un certain sentiment d’inutilité. En effet, 39 % admettent que cela représente une perte de temps et que les risques que leur requête n’aboutisse à rien sont élevés. Aussi, 16 % jugent leur cas comme n’étant pas assez grave pour faire l’objet d’une plainte.
Le Grand-Duché est souvent comparé à un village, où le réseau occupe une place très importante dans le milieu professionnel. Savoir le développer et l’entretenir est un facteur essentiel de réussite dans le pays. En effet, l’adage « tout le monde connait tout le monde » est ici tout à fait adapté. Une réalité qui, comme vous l’aurez compris, décourage de nombreuses victimes de parler, de dénoncer la discrimination dont elles ont fait l’expérience. Que cela soit en effet par peur des représailles ou de l’impact futur que cela pourrait avoir sur leur carrière, il n’est pas bien compliqué de comprendre le dilemme auquel elles font face. « Le regard des autres. La peur des représailles directes ou indirectes. Quelles suites ont eu les plaintes déposées ? Souvent les victimes craignent que ce ne soit qu’un coup d’épée dans l’eau, que cela leur coûte financièrement et moralement pour pas grand-chose au final et donc préfèrent tourner la page », partage Martine Mirkes, conseillère de direction de la Chambre des Salariés.
Une lutte qui s'inscrit dans la durée
Plusieurs organisations, représentant les salariés ou la société civile au Luxembourg, s’accordent sur les diverses raisons pour lesquelles les personnes ne parlent pas. Mais qui est responsable ? Les avis divergent. La société ? Les entreprises ? Il s’agit vraisemblablement d’une responsabilité partagée. Alors à quel niveau agir ? Quelles sont les solutions possibles au sein du monde professionnel ? « Les entreprises ont besoin d’avoir des réseaux, des plateformes, des délégations du personnel, qui travaillent sur ces thématiques. Il faut aussi que tous, les employeurs comme les employés, connaissent leurs droits et devoirs et qu'ils sachent comment déceler une discrimination éventuelle et entreprendre les démarches nécessaires lorsqu’il y a des suspicions », affirme Nathalie Morgenthaler, directrice du CET.
Voici quelques recommandations, déjà testées et mises en place par les signataires de la Charte de la Diversité Lëtzebuerg :
1. Tolérance zéro
Instaurer une politique stricte face aux discriminations et aux cas de harcèlement, quelle que soit leur nature.
2. Procédures sécurisantes, accessibles et transparentes
Mettre en place et faire connaître de tous, les démarches à suivre pour dénoncer les faits (de manière anonyme) en cas de discrimination ou harcèlement. La procédure inclut des pénalités et sanctions pour la personne discriminante.
3. Formations et outils
Prévoir des formations sur les différents types de discrimination afin de sensibiliser toutes les parties prenantes (collaborateurs, partenaires, etc.). Mettre à disposition de tous des outils permanents, tels que des guides, des feuilles de procédures, les coordonnées de la ou des personnes à contacter en cas de discrimination au sein de la structure.
4. Environnement de travail sécuritaire et sain
Veiller à la création et au maintien d’un cadre de travail sûr, en garantissant que les personnes souhaitant faire part de discrimination puisse le faire en tout anonymat et sans aucun risque. La victime doit se sentir entendue, protégée et soutenue durant toute sa démarche.
5. Communication claire
Partager, au moment de l’accueil d'un nouveau salarié, les valeurs de la diversité et les règlements en vigueur au sein de la structure.
Pour plus d’inspiration, consultez les publications de la Charte de la Diversité Lëtzebuerg sur www.chartediversite.lu.
Que dit la loi ?
Selon l'article 454 du Code pénal :
« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur couleur de peau, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur situation de famille, de leur âge, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs mœurs, de leurs opinions politiques ou philosophiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vrai ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
Quel que soit leur motif, les discriminations apparaissent à plusieurs niveaux de la société, des plus hautes institutions publiques à la vie de tous les jours. Les combattre requiert de les rendre visibles.
Le rapport du CET est un premier pas vers une meilleure compréhension du phénomène au Grand-Duché. Les données chiffrées nationales sur la diversité et les discriminations sont encore rares aujourd’hui. « Nous avons, au Luxembourg, des statistiques qui sont plutôt éparses, qui sont disparates et qui ne nous permettent pas d’avoir une vision globale, précise et exacte sur ce phénomène », confirme Sérgio Ferreira, porte-parole de l’Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés (ASTI). Un manque que cette organisation souhaite pallier à travers une collaboration étroite avec les différents acteurs luxembourgeois.
Le débat sur les discriminations systémiques est sans fin. L’idée est d'agir dans le moment présent et de susciter une première réflexion sur les méthodes de lutte contre les discriminations et le harcèlement. C’est un combat qui ne doit pas être perçu comme une action isolée mais plutôt comme une initiative s'inscrivant sur la durée ; tout comme cela n’est pas l’affaire d’une personne mais de chacun. Toutes les organisations et leurs employés ont leur rôle à jouer. Et vous, quel est le vôtre ?