Photo : Maître Gianluca LAERA - DSM Avocats à la Cour

Tribune du Maître Gianluca LAERA


Que dit la loi au Luxembourg ? Maître Gianluca LAERA, avocat au sein de l'étude DSM Avocats à la Cour, fait le point.



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Si le port du tatouage fait en principe partie des libertés individuelles, certains tatouages expriment des idées extrêmes qui peuvent être considérées comme problématiques voire inacceptables en entreprise. Que peut faire un employeur si le tatouage est visible, à l'embauche mais aussi en cours de contrat ? Où est la frontière entre libertés individuelles et affirmation non acceptable ?

Le principe de la liberté d’expression confronté au principe de non-discrimination

La législation luxembourgeoise applicable aux relations de travail ne prévoit actuellement pas de disposition relative aux tatouages en général. L’article L. 251-1 du Code du travail impose le principe de non-discrimination auquel l’employeur est lié dans l’exercice de l’ensemble de ses prérogatives patronales. Comme le tatouage est en principe assimilé à un élément de l’apparence physique, il est intéressant de relever qu’actuellement une différenciation fondée sur le critère de l’apparence physique ne constitue pas une discrimination au Luxembourg. Aussi, dans un arrêt de principe, la Cour de cassation française a également tranché que la liberté de se vêtir n’est pas une liberté fondamentale et qu’à ce titre, il peut lui être apporté des restrictions.

Un aperçu de mesures parfois mises en place par les employeurs

Tout au long de la relation de travail, l’employeur est tenu de fonder ses décisions vis-à-vis des salariés sur des critères non-discriminatoires. Toutefois, l’employeur ne saurait tolérer que ses employés propagent à travers des tatouages visibles des idées incompatibles avec l’image ou contraires à la politique de l’entreprise, ou encore aux idées que l’entreprise soutient ou entend transmettre à travers ses services ou ses produits. L’employeur est autorisé à prévoir dans sa politique interne une disposition imposant aux salariés de couvrir leurs tatouages. Ainsi, les employeurs disposent de la faculté d’édicter des normes vestimentaires sans pour autant entraver de manière déraisonnable la liberté d’expression des salariés. Pareil raisonnement semble envisageable lorsque le salarié porte des tatouages visibles, notamment à travers une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail. Pourtant il faut s’assurer que la politique soit précise, justifiée ainsi que proportionnée par rapport à l’objet et la mission de l’entreprise. En aucun cas des considérations générales liées à l’image de l’entreprise privée ou à l’obligation de dignité des fonctionnaires et agents publics ne permettent, à elles seules, de justifier des restrictions générales et absolues en matière de tatouage. Néanmoins, dans la pratique les tribunaux luxembourgeois semblent peu sollicités par rapport à ces questions ; il ne semble actuellement exister aucune jurisprudence publiée en la matière.

La frontière délicate entre liberté individuelle et affirmation non acceptable

Dans le cadre du port de tatouage sur le lieu de travail, l’employeur doit donc veiller au respect des libertés individuelles de chaque employé. Il est pourtant évident que la liberté d’exprimer ses opinions, que ce soit au sein de l’entreprise ou en public, connaît des limites. Ainsi, l’employeur ne saurait être tenu de tolérer qu’une expression personnelle dégénère en une affirmation politique propagée par le biais de l’activité de l’entreprise. La Cour d’appel de Luxembourg dans un arrêt du 30 novembre 2017 (n°44563), qui ne concerne cependant pas spécifiquement un tatouage, avait précisé à ce titre que l’employé ne peut pas sous prétexte de la liberté d’expression tenir des propos de nature à porter atteinte à la paix sociale ou à créer un trouble caractérisé au sein de l’entreprise.

Si le tatouage peut donc être un élément de mode, tout comme un élément d’affirmation ou de provocation, et l’employeur, et le salarié, devront faire preuve de bon sens et de respect mutuel pour éviter tout conflit sur le lieu de travail.

 DSM Avocats à la Cour  

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