Illustration : Mathilde Manka, extrait de l'ouvrage « Les lésions dangereuses » de Camille Grange.
« Comment puis-je me concentrer et sourire pendant ma présentation alors que les crampes me rongent de l'intérieur ? », « Comment annoncer ma grossesse à mon employeur ? », « La vérité est que le confinement m’a permis de gérer les symptômes de ma ménopause en travaillant de la maison »... Ces pensées et d'autres sont présentes dans le quotidien des personnes sous influence des hormones féminines. Comment intégrer cette problématique dans le monde professionnel afin garantir une égalité de chances et un environnement inclusif ? Un sujet qui, s’il concerne pourtant la moitié de la population, est resté majoritairement tabou.
La vie au travail sous l’influence des hormones féminines
Le ressenti de chaque personne menstruée est différent et elles ne vivent pas les étapes successives de la vie hormonale de la même manière. Les réalités auxquelles ces personnes sont confrontées ne se limitent pas toujours à la menstruation. On peut citer également les maladies chroniques gynécologiques non reconnues telles que l’endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques, l'interruption involontaire d’une grossesse ou l'anxiété. La ménopause est bien connue pour engendrer des symptômes physiques et cognitifs plus ou moins prononcés, tels que le manque de concentration, l’anxiété et une baisse d’énergie. Autre phase de grands changements pour les hormones, la grossesse provoque une transformation de la personnalité et du corps.
L’adaptation nécessaire à ces variations dans le contexte professionnel est ce que Katherine Sang nomme le « travail du sang » (blood work). Dans son article médical éponyme, elle en donne la définition : « la somme de travail individualisé entrepris par les personnes qui ont des menstruations et des problèmes de santé gynécologiques afin de gérer leur corps pour qu'il corresponde aux normes professionnelles établies par des personnes qui n'ont pas de menstruations. » Son constat : « Les menstruations et la santé gynécologique, en tant que réalités matérielles du corps des femmes et des personnes trans/non-binaires, restent absentes des discours sur le corps au travail. ».
Son article compile des exemples à travers le monde sur la corrélation entre les règles et le travail. Aux États-Unis, un flux menstruel plus important est associé à une perte de travail et des conséquences financières négatives. Au Danemark, l'endométriose a été associée à une augmentation de l'absentéisme pour cause de maladie et en Corée, les menstruations irrégulières sont associées à un plus grand nombre d'emplois à temps partiel et au chômage. Il ressort que la population concernée consacre beaucoup de temps et d'efforts à la gestion des symptômes au travail. Ces personnes subissent également une charge mentale supplémentaire, celle d'être étiquetées comme faibles ou non professionnelles.
Le pouvoir d’action des employeurs
Les avis experts sont unanimes, il faut combattre les stéréotypes et déconstruire la stigmatisation. La réalisation de campagnes de sensibilisation et de formations pour toutes les parties prenantes permet de prendre conscience des réalités et des défis variés permettant d'atténuer les préjugés.
Réduire la charge mentale est une autre piste. Des études montrent que le fait de cacher quelque chose d'aussi important dans la vie d'une personne a un impact négatif sur la productivité, un phénomène iIllustré par l'expression « le coût de la double réflexion ». Instaurer un environnement professionnel ouvert et inclusif prônant une culture du respect et de l'appartenance, créer un règlement de travail avec une clause de non-tolérance au sexisme, à la discrimination ou au harcèlement sont des bases à poser.
Certaines organisations mettent à disposition des produits menstruels hygiéniques. D’autres mettent en place des aménagements d’espaces de repos, des horaires de travail flexibles, l’ajout de congés bien-être ou menstruels. Autant de mesures qui permettent de sortir du tabou et de prendre en compte cette réalité.
Une courte enquête réalisée par IMS Luxembourg au sujet des menstruations sur le lieu de travail confirme une attente de mesures concrètes prises par les entreprises. Les personnes menstruées qui ont répondu souhaitent ainsi la mise en place de jours de congés dédiés (pour 47% d’entre elles), la flexibilité des horaires de travail (43%), la fourniture de produits hygiéniques (40%), l'attribution d'un bureau ou d'un lieu de repos (40%), des sessions d'information et de sensibilisation sur le sujet (29%) et un soutien financier pour la santé mentale et physique (24%). Il faut rappeler qu’elles sont 47 % à considérer que leur cycle hormonal, leurs menstruations, leur grossesse ou leurs problèmes gynécologiques chroniques ont eu un impact négatif sur leur développement professionnel.
Des avancées politiques ?
Certains pays ont déjà légiféré en adoptant le « congé menstruel ». Le Japon, la Corée du Sud, Taiwan, l’Indonésie, la Zambie offrent un cadre légal pour le congé menstruel au travail. En février 2023, l’Espagne est le premier pays européen à avancer sur ce terrain, en adoptant une loi qui permet aux médecins de mettre en arrêt de travail une personne pour cause de « règles incapacitantes ». Les défenseurs de la santé menstruelle ont salué cette mesure. D'autres craignent qu'elle ne soit contre-productive pour les femmes sur le lieu de travail, car elle renforcerait les stigmates d'une femme faible ou handicapée.
La loi étant en vigueur depuis peu, il est trop tôt pour en connaître l'impact réel. À plus petite échelle, depuis mars de cette année, la mairie française de Saint-Ouen expérimente pour ses employées un congé menstruel. Les 1 200 agentes de la ville peuvent désormais demander deux jours de congés payés, facultatifs, par mois.
Et au Luxembourg ? En 2021, le ministre luxembourgeois du travail Dan Kersch, a exclu d'accorder aux femmes deux jours de congés payés par mois lors d'un débat parlementaire, à la suite d'une pétition demandant que les femmes bénéficient de congés lorsqu'elles ont leurs règles. En 2022, une nouvelle pétition a été lancée pour que l'endométriose soit reconnue comme une maladie invalidante et une affection de longue durée. Elle n'a cependant pas atteint le seuil des 4 500 signatures ; elle a donc été classée sans suite.
Encore un long chemin à parcourir...
Jusqu’ici largement ignorées, ces préoccupations sont un vrai sujet de société. Comment la situation actuelle doit-elle évoluer ? Les organisations doivent-elles prendre l’initiative et combler les manquements d’un cadre légal vieillissant, en retard sur les nouvelles facettes de notre société ?
Il est certain qu’il convient de sortir du tabou et qu’il est grand temps d’inclure les hommes dans ces réflexions. Ils ne peuvent pas rester à l’écart de ces sujets et au contraire doivent les comprendre et les maîtriser afin de faciliter le vivre-ensemble.
Cycles menstruels et performances sportives : l'exemple des footballeuses américaines
Georgie Bruinvels, chercheuse américaine, titulaire d'un doctorat sur l'impact des carences en fer et des cycles menstruels sur la performance sportive, a travaillé en 2019 avec les footballeuses de l'équipe nationale américaine qui ont adapté leurs entraînements et leur alimentation en fonction de leur cycle. Depuis d'autres équipes, comme celle de Chelsea utilise une application dans cette optique et d'autres sports leur emboîtent le pas.
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à lire et à voir
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Déréglée - Journal d'une ménopause
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on.suzanne.com
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Ed. La Cité Graphique, 2023
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Média dédiée à l'éveil des consciences, à la reconstruction des stéréotypes toxiques, à la libération du potentiel des femmes.