Crédit : Solar Impulse, Bertrand Piccard

INTERVIEW


Sustainability MAG : En vous posant sur le sol d’Abu Dhabi, vous venez de relever un défi incroyable et de capter l’attention générale du public. Quel est votre message au monde_?

Bertrand Piccard : J’aimerais démontrer que les technologies propres et les énergies renouvelables peuvent accomplir des choses considérées comme impossibles. Si un avion peut voler jour et nuit sans aucun carburant, vous pouvez vous imaginer aussi tout ce que ces technologies peuvent accomplir sur terre ferme, dans notre vie de tous les jours, là où c’est encore plus facile que dans le ciel, en termes d’efficience énergétique, d’économie d’énergie et de protection des ressources naturelles de notre planète.

Cet exploit est l’aboutissement d’un projet mené depuis déjà de nombreuses années. Comment cette idée a-t-elle un jour germé ?

Lorsque j’ai fait le premier tour du monde en ballon sans escale en 1999, le vol a duré 20 jours et j’avais à chaque instant l’angoisse de tomber en panne de gaz. Il fallait brûler du propane tous les jours de manière à réchauffer l’enveloppe du ballon et quand j’ai atterri, avec Brian Jones, il nous restait 40 kg de réserve sur les 3 700 kg du départ. Avec cette prise de conscience que nous avions failli échouer pour une raison de carburant, je me suis fait la promesse de refaire un tour du monde, mais cette fois-ci sans aucun carburant. C’est ainsi que Solar Impulse est né. 

Crédit : Solar Impulse

Cette aventure, c’est aussi l’histoire d’une équipe de taille qui vous accompagne à chaque instant. Vous êtes très encadrés mais, avec votre associé André Borschberg, vous êtes prêts à vous mettre en danger pour faire avancer Solar Impulse et vos idées… Comment ces risques ont-ils été gérés ?

Je pense que le plus grand risque dans la vie n’est pas de voler avec un avion solaire mais de vivre dans un monde qui brûle un million de tonnes de pétrole par heure, sans compter le gaz et le charbon, qui épuise les ressources de la planète, pollue la nature et change le climat. Tout le reste, en comparaison, est beaucoup moins dangereux ! Ceci étant dit, pour Solar Impulse, nous nous sommes entraînés, André et moi, à sauter en parachute, à survivre en mer sur un canot pneumatique, et bien entendu à connaître tous les systèmes de sécurité de notre avion.

Même surentraîné, votre esprit explorateur incarne la lutte contre la peur de l’inconnu et le confort des certitudes. Votre aventure est une invitation à interroger nos a priori et à explorer le champ des possibles…

Tout à fait. Dans la vie de tous les jours, nous sommes prisonniers de vieilles manières de penser et d’agir, prisonniers de nos croyances, de nos paradigmes, de notre peur de l’inconnu, de tout ce que nous avons appris. L’aventure consiste à acquérir  l’état d’esprit nécessaire pour utiliser l’imprédictibilité de la vie, les doutes et les points d’interrogation pour stimuler notre performance et notre créativité. En d’autres termes, il faut avoir le courage d’observer notre façon de fonctionner et essayer complètement autre chose. Nous devons apprendre à nous remettre en question, à changer, à mettre la barre beaucoup plus haut, à oser rêver et surtout à prendre le risque de travailler pour accomplir nos rêves. Dans ce sens, il faut arrêter d’avoir peur d’échouer, d’avoir peur du qu’en dira-t-on. Le pionnier n’est pas toujours celui qui réussit mais celui qui ose essayer et n’a pas peur de rater !

« Il n’y a donc plus besoin d’être “écologiques”, si nous arrivons à devenir simplement “logiques” »

Vous avez osé et incroyablement bien réussi. Votre succès porte en lui l’immense potentiel du solaire. Quelle est votre vision sur l’avenir de cette énergie et plus globalement des énergies renouvelables ?

Les sources renouvelables ne pourront suffire à notre approvisionnement qu’à l’unique condition que notre monde devienne plus efficient en énergie, en d’autres termes que nous arrivions à fonctionner mieux avec moins d’énergies. Pour cela il s’agit le plus rapidement possible de remplacer les vieux systèmes polluants et démodés comme les moteurs à combustion, les maisons mal isolées, les ampoules à incandescence, les chauffages et les réseaux de distribution archaïques par une mobilité électrique, des maisons bien isolées, des ampoules LED, des pompes à chaleur et des smart grids.

Crédit : Solar Impulse

Efficacité énergétique au cœur de l'innovation. Premier avion zero-carburant à autonomie perpétuelle. Quinzième vol du périple, de New York à Séville. Le Solar Impulse prend de l’altitude la journée, tout en rechargeant ses batteries. La nuit, il utilise ses réserves et perd doucement de l’altitude.

Vous vous êtes attaqués à un défi de taille, l’aviation comptant parmi les secteurs énergivores et moins prédisposés à une transition vers les renouvelables. Après cette expérience probante, à quand les avions de ligne solaires ?

Je serais fou pour y croire et idiot pour ne pas y croire ! Aujourd’hui Solar Impulse n’a pas les technologies pour transporter 200 passagers mais Charles Lindbergh non plus, quand il a traversé l’Atlantique en solitaire en 1927. Malgré cela, nous voyons bien le développement extraordinaire qu’a eu l’aviation commerciale. Il s’agit aujourd’hui dans un premier temps, non pas de rendre tous les avions solaires, mais de les rendre le plus rapidement possible électriques, en rechargeant leurs batteries au sol, au moins pour les court-courriers. Je pense que cela pourra arriver avant 10 ans. Et pour corriger une erreur assez fréquente, rappelons que l’aviation ne consomme que 3% de l’énergie mondiale, et que la priorité devrait être mise sur les 97% d’énergies qui sont consommées au sol, dans la mobilité, l’habitat et l’industrie.

Le Luxembourg s’engage dans la Troisième Révolution Industrielle, notamment axée sur les énergies renouvelables et les nouvelles technologies. Sommes-nous selon vous à l’aube d’une véritable révolution ?

Ce qui doit changer est la perception que nous avons des technologies propres et de la protection de l’environnement, qui doivent être envisagées maintenant sous l’angle de la rentabilité. Remplacer les vieilles technologies par des technologies modernes et propres représente un chantier industriel colossal, une révolution qui permettra une reprise de la croissance.

Le saviez-vous ?

Après avoir effectué la partie la plus périlleuse de son aventure, le Solar Impulse a atterri sans encombre le dimanche 24 avril 2016, après plus de 60 heures de vol et 4 000 km parcourus entre l’archipel américain d’Hawaï et San Francisco. Cette traversée du Pacifique était sans nul doute la plus dangereuse des étapes !

Avec un esprit pionnier comme le vôtre, vous n’allez pas vous arrêter là… Quel est votre prochain défi à relever ?

Je travaille aujourd’hui sur un défi terrestre et non aérien : la création du Comité International des Technologies Propres. Il s’agit de réunir les acteurs de ce domaine, qui sont le plus souvent isolés et inconnus, pour créer une plateforme commune de communication, leur donner une voix forte et permettre de conseiller les gouvernements pour la mise en œuvre des technologies modernes et propres qui permettent un développement économique harmonieux de notre planète.

Dans un avenir plus immédiat, vous serez présent lors de la COP22 à Marrakech en novembre prochain. Face à l’urgence d’agir et au risque d’essoufflement de la dynamique créée lors des Accords de Paris, quel sera votre message aux États ?

Le message est qu’aujourd’hui les technologies propres permettent d’assurer une réduction de moitié des émissions de CO2 tout en créant des emplois et en faisant du profit. Il n’y a donc plus besoin d’être « écologiques », si nous arrivons à devenir simplement « logiques ».

Crédit : Solar Impulse

Bertrand Piccard et André Borschberg sont entrés dans la légende de l'aviation en atterrissant le 26 juillet 2016 à Abu Dhabi.

LE SOLAR IMPULSE EN CHIFFRES
+ de 17 000

cellules photovoltaïques

72 m

d’envergure

2,3 tonnes

soit le poids d’une voiture

17 étapes

à travers le monde

43 000 km

parcourus

560 heures de vol

soit 23 jours au total

Un rêve devenu réalité

Bertrand Piccard vient de remporter son pari : voler autour de la Terre à la force du soleil. Le premier homme à accomplir le tour du monde en ballon sans escale en 1999 a souhaité, 17 ans plus tard, réaliser cette grande boucle en avion solaire. Ce psychiatre et aéronaute suisse, auteur de l’ouvrage « Changer d’altitude » a été désigné ambassadeur de bonne volonté du Programme des Nations Unies pour l’environnement.

À bord du Solar Impulse qu’il a imaginé, premier avion zéro-carburant à autonomie perpétuelle et véritable laboratoire volant solaire, Bertrand Piccard fait la démonstration qu’un autre monde est possible. Un monde où technologies propres, énergies renouvelables et efficience énergétique améliorent notre qualité de vie. Rejoint par André Borschberg dans cette aventure décisive, il a survolé continents et océans pour écrire une page prometteuse de l’Histoire.

Une lignée d’explorateurs

Repousser les limites du possible est devenu une tradition familiale et les Piccard, loin de la terre ferme, collectionnent les records. En mer, Jacques Piccard, le père de Bertrand, a battu le record du monde de plongée en 1960 à 11 000 mètres de profondeur alors que son grand-père, Auguste Piccard, vulgarisé par Hergé sous les traits du célèbre professeur Tournesol, a effectué en 1931 le premier vol stratosphérique en ballon à 15 700 mètres de haut. Un héritage très inspirant !


Un rêve devenu réalité

Bertrand Piccard vient de remporter son pari : voler autour de la Terre à la force du soleil. Le premier homme à accomplir le tour du monde en ballon sans escale en 1999 a souhaité, 17 ans plus tard, réaliser cette grande boucle en avion solaire. Ce psychiatre et aéronaute suisse, auteur de l’ouvrage « Changer d’altitude » a été désigné ambassadeur de bonne volonté du Programme des Nations Unies pour l’environnement.

À bord du Solar Impulse qu’il a imaginé, premier avion zéro-carburant à autonomie perpétuelle et véritable laboratoire volant solaire, Bertrand Piccard fait la démonstration qu’un autre monde est possible. Un monde où technologies propres, énergies renouvelables et efficience énergétique améliorent notre qualité de vie. Rejoint par André Borschberg dans cette aventure décisive, il a survolé continents et océans pour écrire une page prometteuse de l’Histoire.

Une lignée d’explorateurs

Repousser les limites du possible est devenu une tradition familiale et les Piccard, loin de la terre ferme, collectionnent les records. En mer, Jacques Piccard, le père de Bertrand, a battu le record du monde de plongée en 1960 à 11 000 mètres de profondeur alors que son grand-père, Auguste Piccard, vulgarisé par Hergé sous les traits du célèbre professeur Tournesol, a effectué en 1931 le premier vol stratosphérique en ballon à 15 700 mètres de haut. Un héritage très inspirant !