Depuis 10 ans déjà, Lewis Pugh tutoie les eaux glacées. Nageur de l’extrême, il se fait l’avocat des régions polaires et des océans. C’est avec force qu’il nous interpelle sur l’évolution du climat et la dégradation des écosystèmes marins. Plus que tout, son énergie nous invite à la réflexion et nous pousse à agir. Rencontre avec l’Ambassadeur des Nations-Unies pour les océans, un grand témoin venu du froid.
Sustainability MAG : Vous avez relevé de nombreux défis en nageant dans les océans du monde entier et dans les sept mers. En 2007, vous avez particulièrement risqué votre vie lors d’une nage d’1 km à travers le pôle Nord. Quel message espériez-vous alors transmettre ?
Lewis Pugh : Un message assez simple : aujourd’hui, à cause du changement climatique, n’importe qui peut nager au Pôle Nord. On ne devrait pas pouvoir le faire. Cet endroit du monde était gelé pendant des milliers d’années, et en 2007, de grandes étendues de mer devenaient visibles pour la première fois. Mon message aux dirigeants du monde était alors de leur faire visualiser à quelle rapidité l’Arctique était en train de changer.
Vos nages suscitent une prise de conscience quant à la vulnérabilité de nos écosystèmes. Mais pas seulement, nous comprenons que vous repoussez les limites, montrant ainsi votre propre vulnérabilité... pourquoi avez-vous entrepris une nage aussi dangereuse ?
En effet, ces nages sont particulièrement périlleuses. Je mets ma vie en jeu et les gens veulent savoir pourquoi quelqu’un est prêt à tout risquer. Je considère que c’est une question de justice. À deux titres. La justice entre nous et le règne animal d’une part, et entre nous et les générations futures d’autre part.
Je pense qu’il y a quelque chose de profondément injuste dans notre façon de fonctionner. Nous détruisons le monde de l’ours et du renard polaires, du morse, de tous ces animaux magnifiques qui vivent en tranquillité depuis des milliers d’années en Arctique. De quel droit détruisons-nous leur habitat ? De même, concernant les générations futures. Nous devons laisser un monde où nos enfants et petits-enfants peuvent vivre dans de bonnes conditions et cela suppose que nous changions la façon dont nous vivons et consommons aujourd’hui. C’est le sens de cette nage à travers le pôle Nord, une lutte pour la justice.
Les dix dernières années ont vu de grandes transformations de notre environnement. Quels sont les changements les plus importants que vous avez observés au cours de cette période et à quelle vitesse ces changements se sont-ils produits?
Il y a dans l’Arctique une île qui s’appelle Spitzberg, à mi-chemin entre la Norvège et le Pôle Nord. Lors de mes entraînements de natation en 2005, la température moyenne de l’eau y était de 3°C. J’y étais en juin cette année, 12 ans après, et elle avait grimpé à 10 degrés. Lorsque la température de l’eau change de 3 à 10 degrés en seulement 12 ans, nous constatons un changement complet de l’océan. Si vous prenez de la glace et que vous la mettez dans de l’eau à 10 degrés, vous n’avez pas besoin d’être un scientifique pour comprendre qu’elle va fondre. Les glaciers de l’île du Spitzberg sont en train de fondre, la glace de mer aussi, ce qui a un impact énorme sur l’environnement. Les conséquences sont multiples. Nous serons confrontés à des parties du monde qui seront trop chaudes pour y vivre, elles deviendront simplement inhabitables. Comme l’Inde et le Pakistan par exemple. D’autres régions du monde connaîtront de grandes inondations ou des sécheresses extrêmes et, évidemment, parce que les glaciers fondent, le niveau de la mer s’élèvera dans certaines régions, comme à Londres ou en Floride. Des pays comme les Maldives ou le Bangladesh seront très vulnérables face aux inondations. Autre conséquence logique, nous assisterons aux migrations massives de personnes, fuyant les zones très chaudes. Je crains que nous soyons témoins également de davantage de xénophobie et de conflits. Ces changements survenus dans un laps de temps très court auront un impact significatif sur le monde.
Vous avez déclaré : « Ce sont les situations qui nous mettent le plus à l’épreuve qui nous caractérisent ». Cette phrase est particulièrement inspirante…
Je me souviens de mon arrivée au Pôle Nord. Aucun humain n’a jamais nagé dans une eau de moins 1.7°C, qui gèle à moins 1.8°C. Du fait du changement climatique, on trouve désormais la mer au Pôle Nord et l’eau y est complètement noire. On dirait un énorme pot d’encre avec des morceaux de glace qui y flottent. Je me rappelle m’être préparé, avoir enfilé mon maillot de bain, prêt à plonger. Et là une pensée très stressante m’est venue : si les choses ne se déroulaient pas comme prévues, combien de temps faudrait-t-il pour que mon corps gelé coule au fond de l’océan ? Ce qui est la pire des réflexions qu’on peut avoir quand on veut nager au Pôle Nord pour la première fois… Mais c’est un sentiment naturel étant donné le danger et j’ai dû puiser au plus profond de mes ressources, utiliser tout ce que j’avais en moi pour pouvoir me jeter à l’eau. Parce que j’aurais pu ne pas plonger bien sûr mais j’ai décidé que non, l’enjeu était trop important.
C’est ce que je veux dire par cette phrase et le message que je veux faire passer. Nous connaissons l’impact du changement climatique et de nos modes de consommation sur notre environnement et sur l’avenir de nos enfants. Cela va nous obliger à puiser en nous et réfléchir en profondeur afin de trouver les solutions. Nous sommes mis au défi.
Qu’est-ce qui vous a le plus inspiré et déçu s’agissant des efforts mondiaux contre le changement climatique ?
J’étais très enthousiaste à Paris quand 195 pays ont accepté de se réunir. C’était une réussite incroyable. Je suis déçu maintenant que les Etats-Unis aient décidé de se retirer. Ils sont pourtant responsables de 16% des émissions de carbone au niveau mondial. Je pense que c’est une mauvaise décision pour la planète et c’est certainement une mauvaise décision pour le peuple américain. Il suffit de se rappeler les derniers ouragans pour se rendre compte de la vulnérabilité du peuple américain envers le changement climatique.
Quel monde imaginez-vous dans 10 ans et qu’est-ce qui vous parait le plus important de garder à l’esprit à l’avenir ?
En ce moment, j’essaie de créer de grandes zones de protection marines en Antarctique. L’année dernière, nous avons contribué à la création de la plus grande zone marine protégée au monde, dans un endroit appelé la Mer de Ross. Cela représente une surface aussi grande que la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et l’Italie réunies. C’est remarquable car l’écosystème le mieux préservé autour de l’Antarctique est maintenant protégé. Au cours des prochaines années, je vais essayer d’en créer six autres autour de l’Antarctique. En tout, on l’espère, ce sera une surface aussi vaste que l’Australie et le plus grand plan de conservation de l’Histoire : un projet très passionnant.
En pensant aux 10 années à venir, les possibilités de protéger la partie la plus merveilleuse et la plus riche en biodiversité de l’Antarctique sont très prometteuses. C’est le monde du manchot empereur, du phoque léopard et de la baleine à bosse. C’est un endroit incroyable et nous devons le protéger. Non seulement pour nos enfants mais aussi pour les scientifiques car ce qu’ils peuvent apprendre de l’Antarctique est inestimable. Ceci est mon rêve pour ces dix années à venir.
Première nage à travers le pôle Nord pour souligner l’impact de la fonte des glaces. 1 km, 18 minutes et 50 secondes, température de l’eau : -1.7°C.
Première nage sur l’Everest, dans un lac glacier, pour alerter sur la fonte des glaces dans l’Himalaya. 1km, 22 minutes et 51 secondes, altitude: 5,200m Lewis Pugh est désigné Jeune Leader Mondial par le Forum économique mondial.
Lewis Pugh est nommé Ambassadeur des Océans par le Programme des Nations Unies pour l’environnement.
Sept nages dans les 7 anciennes mers du monde : Méditerranée, Adriatique, Egée, Noire, Rouge, Arabe et Nord. L’objectif est d’encourager les nations alentour à créer plus de zones de protection marine.
Série de nages en Antarctique pour faire campagne pour une zone de protection marine dans la mer de Ross. Nage dans la baie des baleines en Antarctique, point le plus austral du monde. 330m, 5 minutes, température de l’eau : -1°C, air : -37°C.