Photo : Maxime Riché / Carlo Hein, Fondateur - Ramborn Après cinq ans d'existence, Ramborn emploie huit personnes, applique un programme scientifique de réduction des émissions de gaz à effet de serre afin d'atteindre un niveau net zéro en 2022 et a déjà évité plus de 1 000 000 kg de déchets alimentaires. L'entreprise s'associe également à des projets de recherche européens afin d'accroître le potentiel de l'agriculture régénérative au-delà des frontières.

À travers son objectif, le photographe Max Riché saisit depuis plus de dix ans les visages et récits de « héros du climat », autant de figures inspirantes résolues à oeuvrer concrètement face au bouleversement climatique. Son dernier cliché en date a été pris au Grand-Duché, où une aventure entrepreneuriale a capté son regard. Dans la campagne luxembourgeoise, cette petite cidrerie agit pour régénérer plus d'un million de mètres carrés d'anciens vergers. Une vision pour sauvegarder les écosystèmes, et utiliser l'entreprise comme une force positive. Portrait.



Aussi loin que chacun s'en souvienne, les habitants du Born ont toujours vécu entourés de pommes et de poires. Carlo a grandi ici. Déambulant dans les vergers, il raconte des histoires : "tout le monde a toujours connu ce poirier, il est là depuis au moins 200 ans", "cet arbre a un énorme trou dans son tronc, personne ne comprend comment il survit"... Il suffit de quelques minutes pour voir à quel point il est attaché à la nature qui l'entoure. Et puis, l'histoire devient une aventure entrepreneuriale ambitieuse et vibrante. 

Tout commence lors d'un voyage en Angleterre autour d'un verre. Carlo et ses amis se souviennent des cidres que les générations précédentes avaient l'habitude de brasser chez eux. Les vergers sont à l'abandon depuis de nombreuses années. L'état des arbres se détériore, tout comme les services écosystémiques qu'ils fournissent. Pendant ce temps, l'agriculture régénératrice commence à se répandre. Et si ses principes pouvaient être utilisés à Born ? 

Ayant grandi dans une famille d'entrepreneurs, Carlo n’a pas besoin de beaucoup plus pour se lancer. Ce Luxembourgeois a toujours cru au pouvoir de l'esprit des affaires comme moteur du changement. Après avoir exploré et promu avec succès les énergies renouvelables, il imagine une entreprise visant à rétablir la demande du marché pour les pommes et les poires cultivées localement et traditionnellement. Les ventes de produits fourniront les moyens nécessaires pour restaurer et entretenir les arbres des vergers. Un véritable élan pour les écosystèmes environnants et une contribution à l'économie locale. 

Photo : Maxime Riché

Les fonds nécessaires au lancement du projet sont réunis, et c'est ainsi que tout commence. "Il faut trouver des personnes qui partagent les mêmes valeurs pour investir dans un tel projet", explique Carlo. Heureusement pour lui, ces personnes sont sa famille. Il explique : "Il est difficile de partir de zéro et de convaincre les actionnaires. Cependant, il y a un énorme avantage par rapport aux concurrents à proposer d'investir à long terme sur le plan social, environnemental et de la rentabilité en même temps." Il décrit une approche de type "triple bottom line", qui consiste à élever les gens, la planète et le profit au même niveau, pour le bénéfice de tous. 

La prochaine étape consiste à rénover l'ancienne ferme du petit village de 300 habitants pour en faire une cidrerie. En outre, il est désormais crucial d'approcher les propriétaires de vergers afin d'obtenir les matières premières. Certains d'entre eux sont des agriculteurs qui utilisent le terrain pour leurs vaches. D'autres sont des habitants qui ont hérité du terrain sans l'exploiter. La grande majorité d'entre eux sont ravis de l'initiative. La restauration des arbres peut commencer. Le premier et principal objectif est de partir de ce qui existe déjà. Autrement dit, régénérer les éléments de la terre qui sont là, et par là même les espèces qui en dépendent. "Tout est là. Il faut juste le préserver", résume Carlo. 

« Tout est là. Il faut juste le préserver »

Soigner un arbre qui a été abandonné pendant des années peut demander plusieurs heures de travail. Il faut s'équiper pour grimper et enlever la végétation indésirable, principalement du gui. Après une période de récupération d'environ 2 ans, l'arbre retrouve sa force et recommence à produire des fruits, s'il n'est pas déjà trop tard. Chantal est chargée de ce travail de restauration. Monter dans les branches n'a plus de secret pour elle aujourd'hui. "S'occuper des arbres m'apporte un grand sentiment de quiétude. Parfois, je me sens stressée ou énervée, et travailler dans la nature me calme vraiment. C'est aussi très gratifiant de retourner à l'endroit où l'on a soigné un arbre et de le voir se régénérer", raconte-t-elle. Depuis le début de l'initiative, près d'un million de mètres carrés de terre ont été restaurés et des centaines de tonnes de fruits ont été sauvées du gaspillage. Ces méthodes peuvent être appliquées à d'autres cultures dans le monde, comme celle des oliviers, par exemple. 

Photo : Maxime Riché

Chantal en charge des travaux de restauration.

L'entreprise plante également de nouveaux arbres. Déjà plus de 1 000 à ce jour. Il s'agit d'espèces anciennes et locales, certaines uniques à la région. Leur grande diversité est le secret de la qualité de leur cidre et de leur jus. "Nous mélangeons toutes les variétés. C'est ce qui donne à nos produits leur goût unique", révèle Chantal. En plus de donner des produits uniques, ces arbres constituent également des puits de carbone au sein même de la région. Ils améliorent la qualité de l'air, de l'eau et du sol. Ils sont également un sanctuaire pour de nombreux insectes, oiseaux et plantes. "La santé de nos arbres dans les vergers est aujourd'hui un véritable enjeu pour le Luxembourg. J'ai été stupéfait d'apprendre l'état des vergers dans le pays. Nous avons perdu 90% des un million d'arbres fruitiers recensés depuis 1900. C'est tout simplement ahurissant", déclare Carlo.  

Avec des cultures ne nécessitant pas d'irrigation externe ni de pesticides et récoltées selon des méthodes traditionnelles, les nouveaux et anciens vergers de Born se sont (re)transformés en havres de biodiversité. Cette année, des chercheurs ont même commencé à étudier les zones utilisées par la cidrerie pour suivre l'évolution de la biodiversité avec la conversion des agriculteurs aux méthodes biologiques et régénératives. "Nous travaillons pour et avec la nature au fil des saisons et des cycles de rendement naturels de deux ans. Je ne pourrais pas imaginer vivre autrement. Souvent, les gens sont dans les villes et perdent leur lien avec la nature. Ils ne comprennent plus pourquoi il est si important de la préserver", explique Stefan, qui travaille à la récolte des fruits et à l'entretien des espaces verts. Pour contrer ce phénomène, des visites et des cueillettes sont organisées avec la communauté locale et les écoles. 

« J'ai été stupéfait d'apprendre l'état des vergers dans le pays. Nous avons perdu 90% des un million d'arbres fruitiers recensés depuis 1900. C'est tout simplement ahurissant. »

En ce qui concerne les entreprises, lorsqu'il parle de son rêve et de la poursuite de ses projets, Carlo explique qu'il veut donner envie au plus grand nombre d’entre elles à se remettre en question, à s'engager et à évoluer. C'est cette approche qui a permis à la jeune entreprise d'obtenir l'une des trois premières certifications BCorp au Luxembourg. "L'obtention de la certification nous a aidé à envisager de nouveaux aspects de notre modèle économique et à aller plus loin dans le développement de notre démarche durable. Nous apprenons tous les jours, et c'est merveilleux". Il poursuit en disant : "Aujourd'hui, la durabilité est encore trop souvent absente des agendas des chefs d'entreprise. J'aime avoir des faits et pas seulement des idées. Avec Ramborn, nous pouvons démontrer de manière très concrète que si une petite entreprise peut faire la différence, les grandes aussi. Le jour où une grande banque ou une entreprise industrielle sera certifiée B Corp grâce à notre histoire, je serai réellement convaincu d'avoir contribué à faire la différence." 

Le saviez-vous ?

L'association de cultures maraîchères ou arboricoles avec l'élevage, l'agriculture biologique, la permaculture, l'agroforesterie, l'aquaculture... une grande variété de méthodes se retrouvent sous le nom d'agriculture régénérative. Bien que certains la qualifient de forme radicalement différente d'agriculture, l'agriculture régénérative est en fait le résultat de l'actualisation et de l'amélioration de méthodes préindustrielles, grâce à de nombreuses expérimentations et au partage de pratiques et de connaissances sur le sol, l'eau, la biodiversité et les nombreuses interactions, souvent ignorées, qui existent dans la nature. Petits et grands producteurs peuvent faire partie de la dynamique, car ce concept peut être adapté aux différentes pratiques et aux contextes géographiques et sociaux des terres cultivées. Et comme la créativité est sans limite, les précurseurs du mouvement, tels que Ramborn, sont présents aux quatre coins du globe avec des approches toutes plus passionnantes les unes que les autres.

MAXIME RICHÉ

Maxime Riché, photographe français né en 1982, vit et travaille à Paris. Dans ses travaux documentaires au long cours, il étudie la notion de limite dans nos sociétés modernes et plus particulièrement le refus de celle-ci pour satisfaire notre volonté de produire ou même atteindre la vie éternelle tout en étant toujours plus déconnectés du monde naturel. Son travail « Climate Heroes » a débuté en 2010 et a connu un important retentissement. Il y documente une série de solutions citoyennes permettant de maîtriser nos émissions carbone. Il étudie à présent notre capacité d’adaptation face aux défis environnementaux et l’évolution de nos lieux de vie imposée par ces nouvelles conditions naturelles. Son dernier projet,« Paradise » (2020), a été sélectionné par le Prix Nouvelles Écritures Freelens/SAIF, nominÉ aux prestigieux Leica Oskar Barnack Awards et Prix Pictet en 2021, et récompensé par la bourse de soutien à la photographie documentaire du CNAP – Centre national des arts plastiques.


« La rencontre avec Chantal, Stephan, Carlo, et toute l’équipe de Ramborn m’a permis de comprendre comment, même dans nos pays très axés sur la technologie, la finance, ou le service,il était possible de contribuer à l’une des actions les plus importantes à ce jour : la préservation de la biodiversité et la revitalisation des savoir-faire traditionnels. Leur sagesse est vitale pour permettre la compréhension des richesses d’écosystèmes que nous avons souvent perdues en voulant standardiser et planifier nos productions. L’équipe de Ramborn a cette passion pour recréer cette diversité et préserver les qualités de variétés anciennes. Ils sont passionnés par la transmission. J’espère que leurs apprentissages inspireront le plus grand nombre ! »