À la tête du développement durable d'AccorHotels, Arnaud Herrmann entend profiter de la présence d'un des tout premiers groupes hôteliers mondiaux dans plus de 1 700 villes pour semer les graines d'une transition écologique et servir une conception d'hospitalité positive.
Sustainability MAG : Vous êtes en charge du développement durable du 1er groupe hôtelier européen, figurant également au top 10 mondial. Le périmètre de votre action est tout à fait considérable et présente l’opportunité d’une transition à grande échelle. Quels sont les impacts principaux sur lesquels vous travaillez ?
Arnaud Herrmann : AccorHotels accueille chaque jour des centaines de milliers de clients dans ses 4 300 hôtels à travers le monde. Ce sont 140 millions de serviettes lavées, 56 millions de petits déjeuners servis. Notre impact sur l’environnement pourrait être celui d’une ville de 500 000 habitants y vivant jour et nuit.
L’empreinte environnementale de AccorHotels mesurée en 2011, et mise à jour en 2016, a révélé que la consommation d’aliments et de boissons dans les hôtels et leurs restaurants représente une part majeure de l’empreinte du Groupe sur l’eau (40 %) et sur la biodiversité (88 %). Cet impact est en grande partie lié à l’amont agricole. De plus 77 % de notre empreinte carbone globale sont dus à la consommation d’énergie de nos hôtels. C’est pourquoi l’alimentation et les bâtiments ressortent comme deux priorités dans notre stratégie RSE « Planet 21 ActingHere ».
En contrepartie de notre impact environnemental, les activités de nos hôtels ont une forte portée sur l'économie locale et mondiale. Pour quantifier et analyser les retombées de ses activités, AccorHotels a publié, début 2016, son empreinte socio-économique, une première pour un groupe hôtelier international ! Cette étude a révélé par exemple que le Groupe soutient de manière directe, indirecte et induite, 880 000 emplois dans le monde. Nous savons également, grâce à cet important travail d’analyse réalisé par le cabinet Utopies et audité par Ernst & Young, que sur les 22 milliards d’euros apportés par AccorHotels au PIB mondial, 83% sont générés sur les territoires où nos hôtels sont implantés. Cette empreinte met en lumière les interconnections profondes entre le Groupe, ses parties prenantes et les communautés qui accueillent nos hôtels, et souligne la nécessité de renforcer continuellement notre niveau de responsabilité économique, sociale et sociétale dans nos pays d’implantation.
Votre politique durable est-elle un élément différenciant ? En quoi, votre approche est-elle innovante et inspirante vis-à-vis des autres grands groupes hôteliers ?
Notre ambition, avec Planet 21 ActingHere, est d’ouvrir de nouvelles voies vers une hospitalité positive, partout où nos hôtels sont implantés. Nous agissons à l’échelle locale en prenant en considération les besoins et les particularités de chaque communauté.
Depuis bientôt 10 ans, à travers notre programme d’agroforesterie Plant For the Planet, nous soutenons les producteurs locaux en plantant des arbres en bordure ou au cœur de surfaces cultivées ou de pâturages. Ce projet est possible grâce aux économies réalisées sur les coûts de blanchisserie, lorsque les clients séjournant plusieurs nuits à l’hôtel font le geste de réutiliser leurs serviettes. De plus, nous encourageons nos hôtels à se fournir en produits alimentaires chez les mêmes producteurs. Cette façon vertueuse d’optimiser l’empreinte environnementale de l’hôtel, tout en proposant aux clients des produits locaux s’appelle insetting. Grâce à Plant For the Planet, nous avons déjà planté près de 6 millions d’arbres et notre objectif est d’atteindre 10 millions d’ici 2021. Cette démarche, comme d’autres projets que nous poursuivons chez AccorHotels, deviennent de plus en plus stratégiques pour un groupe hôtelier. Pour une raison simple : nos clients, – mais aussi nos collaborateurs, – sont de plus en plus soucieux d’agir pour protéger la Planète et construire une société plus inclusive. Mener des projets RSE ambitieux, c’est protéger et consolider nos marques !
Le Chef du Mercure de Paris Boulogne dans la ferme aéroponique verticale installée sur le toit de l’hôtel.
Vous êtes l’artisan d’une ambitieuse campagne dans laquelle le groupe AccorHotels s’est engagé il y a 2 ans. Concrètement, quels sont les résultats de cette mobilisation ?
En avril 2016, nous avons en effet lancé Planet 21 ActingHere, notre feuille de route en matière de développement durable qui affiche des engagements forts à l’horizon 2020 auprès de nos collaborateurs, clients, partenaires et communautés locales.
Nous nous sommes par exemple engagés à mettre en place, chaque année, une innovation majeure pour interagir avec nos clients autour du développement durable. La dernière en date est le lancement d’une plateforme web qui permet à nos clients, et à toutes les personnes sensibles à la cause, de financer des projets d’agroforesterie dans les pays où nos hôtels sont implantés.
L’élan donné par le Groupe à travers Planet 21 ActingHere a été immédiatement repris par nos hôtels qui se sont mobilisés de manière exceptionnelle. Nos équipes sont convaincues de pouvoir faire avancer les choses et portent des initiatives locales à forte valeur ajoutée impliquant toutes les parties prenantes. 64 % des hôtels ont déjà mis en place les 16 actions obligatoires de Planet 21 ActingHere. Parmi ces actions, la participation au programme d’agroforesterie Plant For the Planet, le déploiement du dispositif WATCH pour la protection de l’enfance, ou encore le bannissement des espèces de poissons menacés.
Avec 150 millions de repas servis par an, le sujet de l’alimentaire pèse logiquement fortement dans votre stratégie RSE : quels sont vos champs d’actions en la matière ?
8 000 points de restauration dans nos hôtels : voici un chiffre qui parle de lui-même. Notre credo est simple : « Nourrir nos clients de façon responsable, comme nous nourrissons nos propres enfants ». Le Groupe s’engage, à travers sa Charte de l’Alimentation, à proposer des aliments sains et de qualité pour lutter contre les problèmes de santé publique et d’accompagner la transition du modèle agricole, pour une production alimentaire plus qualitative, plus proche des lieux de consommation et moins impactante pour l’environnement.
Notre deuxième grand enjeu en matière d’alimentation est la lutte contre le gaspillage. Chaque année un tiers de la production alimentaire destinée à la consommation humaine dans le monde, – près de 1,3 milliard de tonnes, – est perdue ou gaspillée. Nous avons donc, de manière très pragmatique, pris l’engagement de réduire de 30 % nos déchets alimentaires à l’horizon 2020.
Enfin, nous souhaitons soutenir l’agriculture urbaine en installant des potagers dans nos hôtels à travers le monde.
Vous annoncez la création d’ici 2020 de 1000 jardins. Quelle visée derrière cette ambition ?
Chez AccorHotels, nous sommes convaincus que le développement de l’agriculture urbaine et périurbaine pourrait apporter une réponse à l’urbanisation croissante et au fossé qui se creuse entre les zones agricoles rurales, productrices de denrées alimentaires et les villes, aujourd’hui simples consommatrices. En plus de notre engagement sur les potagers, nous encourageons et accompagnons nos hôtels dans l’installation de ruches et de poulaillers. Le miel est le plus souvent proposé au petit-déjeuner ou utilisé dans les desserts du restaurant. Certains hôtels en font cadeau à leurs clients fidèles ou encore aux associations. Quant aux poules, ce sont de formidables recycleuses. Une poule peut consommer jusqu’à 100 kilos de déchets alimentaires par an. En développant des projets d’agriculture urbaine dans nos hôtels, nous apportons des réponses concrètes aux préoccupations majeures des villes liées à la qualité de l’air que les citadins respirent et à la qualité des aliments qu’ils consomment. Nous sommes aujourd’hui présents dans plus de 1 700 villes et souhaitons jouer un rôle de pionnier, en accompagnant cette transition à notre échelle.
Hôtel Molitor Paris, McGallery Collection
Quelles sont les méthodes que vous expérimentez ?
Les méthodes utilisées dépendent de plusieurs critères, tels que le climat, l’espace disponible (jardin, balcon, toiture, façade, etc.), l’usage souhaité des produits (utilisation au bar, en cuisine, partage avec les clients, etc.). En fonction de ces critères, nous testons plusieurs techniques, comme la végétalisation des toitures ou des terrasses, les bacs en bois ou cimentés qui permettent d’assurer une belle visibilité même sur des petites surfaces, ou encore des techniques plus innovantes comme l’aéroponie. Nous sommes particulièrement fiers d’une récente réalisation au sein de l’hôtel Mercure Paris Boulogne qui a installé sur son toit une ferme aéroponique verticale de 350 m2. La première saison test a été un grand succès. Elle a permis non seulement d’alimenter le restaurant de l’hôtel mais aussi de distribuer des paniers de fruits et légumes aux habitants du quartier. Les potagers aéroponiques ont l’avantage de pouvoir être installés sur des toits plats ordinaires de faible portance.
Vous en êtes où aujourd’hui ? Combien de jardins ont vu le jour ?
Dès l’annonce de l’objectif 1 000 potagers dans nos hôtels à l’horizon 2020, les hôtels nous ont fait part de leur enthousiasme et de leur volonté de nous suivre dans cette ambition. Deux ans plus tard, nous comptons plus de 750 hôtels ayant leur potager. Si les hôtels continuent comme ça, l’objectif sera rapidement atteint, voire dépassé ! Et vous pouvez être certains que nous n’allons pas nous arrêter là.
Quels sont les résultats tangibles de cette expérience ? Sont-ils à date à hauteur de vos espérances ?
Nos hôtels n’ont bien évidemment pas l’ambition de devenir autosuffisants en produits alimentaires. Leur métier est celui de l’hospitalité et leur mission est d’accueillir les gens, en leur faisant vivre une expérience exceptionnelle et authentique. Si le restaurant de l’hôtel peut proposer sur sa carte une salade végétale composée entièrement, ou même en partie, de produits cultivés sur le toit, si la menthe utilisée pour le mojito servi par le barman vient du petit bac installé sur la terrasse, si le miel du petit déjeuner vient des ruches à proximité de l’hôtel, le client sera plus que content.
Un autre grand avantage des potagers est le bien que cela procure à la cohésion des équipes. Même si la plupart des hôtels font appel à des entreprises spécialisées pour l’installation du site, l’entretien et la récolte sont assurés par les collaborateurs. Cela permet également d’engager les équipes dans une réflexion plus globale sur les approvisionnements. Nous avons même le cas où les équipes d’un Novotel à Rueil-Malmaison sont allées plus loin, en mettant en place des animations pédagogiques autour de son potager avec les élèves de l’école primaire voisine. Enfin, la mise en place des potagers peuvent parfois donner lieu à des découvertes surprenantes. En novembre dernier, pendant les travaux d’aménagement du potager sur la terrasse d’un hôtel parisien, une truffe comestible a été trouvée au pied d’un charme. Une première à Paris !
Ces potagers combinent également deux tendances fortes de l’hôtellerie : la recherche d’expérience et le recours au local écolo…
Je suis entièrement d’accord avec vous. Aujourd’hui, le client ne vient pas à l’hôtel uniquement pour louer une chambre à la nuit et prendre son petit déjeuner buffet le lendemain au matin. Il vient pour y vivre un moment, une expérience et attend qu’on lui apporte une attention personnalisée, que l’on prévienne ses envies, qu’on le surprenne. Et puisque les consommateurs font de plus en plus attention à la qualité des produits dans leur assiette quand ils sont chez eux, ils le font aussi quand ils viennent dans nos hôtels et restaurants. Ils ne seront pas déçus, car ils vont y trouver des produits frais, issus d’un circuit court et cultivés avec des nutriments bio.
Plus globalement, diriez-vous que l’on est ici au démarrage d’une tendance pérenne dans l’industrie hôtelière ? Les eco-lodges poussent à vive allure, les produits sont de plus en plus écologiques ou faits maison… Est-ce un tournant clair que l’on observe dans l’hôtellerie ?
Il y a à peine deux ans, nous avons mené une étude auprès de nos clients pour comprendre leur attitude envers le développement durable dans leur vie quotidienne et pendant leur voyage, et pour connaître leur sensibilité au regard des différents dispositifs responsables envisagés dans nos hôtels. Nous en avons tiré de nombreuses conclusions, notamment sur la question de l’alimentation. Seulement 6 % des clients ne sont pas sensibles à une nourriture saine et plus d’un client sur trois est séduit par des produits issus du commerce équitable ou récoltés dans le jardin de l’hôtel. Alors oui, le secteur de l’hospitalité est en train de vivre une véritable transformation qui nous emmènera vers un modèle responsable et respectueux de l’homme et de la planète. Et nos équipes sont là pour opérer cette transformation aux côtés de nos clients et de nos partenaires.
Arnaud Herrmann
En 2013, il rejoint AccorHotels en tant que Directeur Développement Durable Monde. C’est à ce poste qu’il conçoit et met en place la stratégie RSE du groupe intitulée « Planet 21 – Acting Here ». Sous sa coordination, ce programme a été lancé dans 4 200 hôtels, impliquant plus de 250 000 employés à travers près de 100 pays. Il est également membre du comité d’éthique et de RSE, dont le rôle est d’établir et de promouvoir les engagements du groupe en matière de développement durable et de conformité. Il est diplômé d’un master de l’école de commerce HEC Paris.
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