L'eau au Luxembourg : état des lieux
Photo : LMIH Focalize, Esch-sur-Sûre - Luxembourg
Pour bénéficier d'une eau potable au Luxembourg, il suffit d'ouvrir le robinet. Vous n'avez même pas à vous demander d'où elle vient et vers où elle s'écoute. Mais y'a-t-il assez d'eau pour réponde à la demande croissante du Grand-Duché ? Qu'en est-il de la qualité de l'eau ? Comment ce sujet est-il traité dans le pays ?
Une demande croissante et plurielle
Selon le gouvernement, la consommation courante d'eau a doublé au Luxembourg au cours des 15 dernières années. En moyenne, 130 000 mètres cubes d'eau sont prélevés chaque jour, soit environ 180 litres par habitant. Selon une étude menée par l'Administration de la gestion de l'eau (AGE), les ménages comptent pour environ 60 % des prélèvements nationaux. Bien que la consommation d'eau du robinet à des fins d’hydratation ne constitue qu'une infime partie du volume total utilisé par les ménages, cette habitude gagne du terrain au sein de la population luxembourgeoise. Une enquête sur la perception générale de la consommation d'eau du robinet au Luxembourg a été réalisée par TNS Ilres en août 2020 : 82 % des résidents déclarent boire de l'eau du robinet, dont 58 % tous les jours (contre 40 % et 28 % en 2006). Les raisons évoquées sont le caractère plus écologique (78 %), moins cher (59 %), plus pratique (51 %) et de bonne qualité de cette eau (47 %). 94 % des personnes interrogées estiment qu’il s’agit d’une ressource précieuse et finie qui doit être protégée.
Outre les ménages, 23 % des volumes d'eau sont utilisés par le secteur industriel et 8 % par le secteur agricole. Les 9 % restants concernent l'eau qui n'est pas comptabilisée, par exemple à cause de fuites. Il convient de mentionner que le secteur de la construction (secteur industriel) a également un taux de consommation élevé, en atteste chaque année le « congé collectif », pendant lequel les prélèvements quotidiens diminuent de 10 000 m3. Par chance, cette baisse se produit en été, lorsque le Luxembourg est confronté à un pic de pénurie d'eau.
La tendance générale est à l'augmentation de la demande en eau dans le pays, notamment en raison de l'accroissement de la population et des besoins qui en découlent. Une étude menée par l'Université du Luxembourg sous la direction de la chercheuse Ariane König, établit trois scénarios différents pour 2045. L'un des aspects de l'étude inclut la modélisation quantitative de l'offre et la demande en eau à venir, en fonction de plusieurs conditions. Avec les taux de croissance actuels (soit une augmentation de 12 500 personnes par an) et sans mesures d'économie d'eau, la disponibilité de la ressource sera probablement un facteur limitant la croissance de la population après 2023-2029. En outre, le rapport estime que le changement climatique peut perturber l'approvisionnement en eau, en particulier pendant les périodes de pic de la demande en été.
Comment le pays peut-il répondre à cette demande croissante en eau ? À l'heure actuelle, environ 45 % de l'eau provient des sources municipales (eaux souterraines) et 55 % du réservoir d'Esch-sur-Sûre (eaux de surface). Comme les eaux de surface contiennent des germes et des micro-organismes, elles doivent subir des traitements complexes avant d'être propres à la consommation. Au Luxembourg, ce traitement est assuré par le Syndicat des eaux du barrage d'Esch-sur-Sûre (SEBES), qui dispose actuellement d'une capacité de 70 000 à 110 000 m3 par jour. Lorsque la demande en eau potable dépasse cette capacité, le SEBES complète sa production avec des eaux souterraines. Toutefois, celles-ci doivent être exploitées de manière à ne pas entrer en contact avec les eaux de surface. Elles doivent donc être pompées à partir de forages ou de puits de captage. Le Luxembourg dispose d'un total de 250 réserves d'eau souterraine. Mais si le pays est en mesure de couvrir les besoins actuels, il doit se préparer aux différents défis que présente l'eau au Luxembourg.
Perturbations du cycle naturel de l'eau
En raison du changement climatique, les événements météorologiques extrêmes se multiplient au Luxembourg. Les inondations exceptionnelles de 2016 et 2021, s’étalant entre mai et juillet, témoignent de cette évolution. Le 14 juillet 2021, 105,8 millimètres de pluie son tombés, un record national depuis les premiers relevés de mesures en 1854, provoquant des inondations dévastatrices dans tout le pays. Le niveau de la rivière Sauer a atteint 975 centimètres le 15 juillet 2021, alors que le niveau critique actuel est établi à 300 centimètres.Des précipitations extrêmes sur une période courte ne s'infiltrent pas dans le sol de la même manière que si elles sont réparties sur une plus longue période, explique Ariane König. Le ruissellement qui en résulte peut provoquer des inondations et des glissements de terrain. Un ruissellement plus rapide vers les rivières signifie également que les réservoirs d'eau souterraine sont moins alimentés et, dans les zones habitées, des quantités additionnelles d'eau de ruissellement peuvent poser des problèmes de gestion de l'eau et d'assainissement. Mettre en place des infrastructures urbaines et des espaces verts révisés (avec des bassins de collecte de l'eau pour optimiser le stockage au niveau local et l'infiltration) est important. Il en va de même pour les projets de renaturation des cours d'eau et la plantation de lignes d'arbres comme zones tampons le long des rivières et des ruisseaux.
De manière surprenante, le mois de juillet peut s'avérer être un mois très pluvieux ou très sec. Le manque d'eau est en effet un autre problème auquel le Luxembourg est et sera de plus en plus confronté. En particulier pendant la période critique de juillet, qui est généralement le mois le plus chaud et le plus sec au Luxembourg, les sécheresses et l'utilisation excessive de l'eau par les habitants conduisent souvent à une pénurie. De plus, alors que les sécheresses sont généralement associées à des températures élevées pendant les mois d'été, une grande partie de l'Europe, y compris le Luxembourg, a connu une sécheresse hivernale. Ce phénomène n'est pas très connu dans le pays, mais il pose des problèmes importants pour les réserves d'eau.
Source : map.geoportail.lu
Cours d'eau avec risques d'inondation significatifs au Grand-Duché.
Le défi de la pollution
Les ressources en eau du Luxembourg sont soumises à une pollution anthropique. Les polluants les plus répandus sont les nitrates et les pesticides, utilisés dans les pratiques agricoles et pour l'entretien des espaces publics et privés. Ils entraînent la pollution des nappes phréatiques, exerçant par là-même une pression sur nos réserves d'eau ainsi que sur la biodiversité et la qualité des sols. Sur les 250 réserves d'eau souterraine que compte le Luxembourg, une centaine ne peut actuellement pas être utilisée en raison de problèmes de pollution.
En vertu de la directive-cadre sur l'eau de l'UE, les États membres doivent parvenir à une bonne qualité de leurs eaux naturelles d'ici à 2027. Au Luxembourg, seulement 2 % des masses d'eau de surface et 50 % des masses d'eau souterraines atteignent cet objectif, principalement en raison de la pollution due à l'agriculture et aux effets de l'urbanisation.
Zones de protection des eaux
Afin de surveiller et d'améliorer en permanence la qualité de l'eau, l'article 44 de la loi révisée sur l'eau prévoit la création de zones de protection autour des captages d'eau. L'objectif est de préserver et d'améliorer la qualité et la disponibilité des eaux souterraines. Dans les zones de protection, toutes les activité (par exemple les installations, les dépôts ou les constructions) susceptibles d'affecter la qualité de l'eau sont interdites ou réglementées. Néanmoins, le maintien et l'extension des zones de protection dans un petit pays comme le Luxembourg, avec une population croissante et une forte pression sur la construction, représentent un véritable défi.
Zones de protection autour des zones de captage d'eau au Luxembourg.
(Source : map.geoportail.lu)
Zones de protection des eaux
Afin de surveiller et d'améliorer en permanence la qualité de l'eau, l'article 44 de la loi révisée sur l'eau prévoit la création de zones de protection autour des captages d'eau. L'objectif est de préserver et d'améliorer la qualité et la disponibilité des eaux souterraines. Dans les zones de protection, toutes les activité (par exemple les installations, les dépôts ou les constructions) susceptibles d'affecter la qualité de l'eau sont interdites ou réglementées. Néanmoins, le maintien et l'extension des zones de protection dans un petit pays comme le Luxembourg, avec une population croissante et une forte pression sur la construction, représentent un véritable défi.
Zones de protection autour des zones de captage d'eau au Luxembourg.
(Source : map.geoportail.lu)
Il est temps de repenser notre utilisation de l'eau
Jeannot Schroeder de +ImpaKT est expert en économie circulaire et travaille avec l'AGE sur la gestion des flux d'eau. Il affirme que notre relation à l'eau commence par le langage problématique que nous utilisons : « Nous ne consommons pas d'eau, souligne-t-il, nous utilisons et polluons l'eau. »
La consommation de cette ressource ne porte en effet que sur la partie de l'eau stockée dans un produit et qui n'est donc plus réutilisable. La plupart des usages pour lesquels nous avons besoin d'eau, comme l'hydratation de notre corps, la chasse d'eau ou le refroidissement des serveurs, utilisent bien plus d'eau qu'ils n'en consomment. « Même lorsque nous buvons de l'eau, la plus grande partie quitte à nouveau notre corps, mais elle est alors polluée », explique-t-il. Le vrai problème n'est dès lors pas notre consommation d'eau, mais la charge polluante que nous laissons derrière nous. Au-delà de l'économie de cette ressource, il est indispensable de repenser la manière dont nous l'utilisons. Un premier pas peut consister à choisir des produits d'entretien et des savons écologiques qui limitent les rejets nocifs dans l'eau.
D'autre part, Jeannot Schroeder souligne que notre approche actuelle de l'eau est problématique : « Notre économie linéaire a adopté la solution la plus simple qui consiste à mettre à disposition la même qualité d'eau pour tous les usages », dit-il. « Par exemple, est-il nécessaire de tirer la chasse d'eau avec la même eau que celle que nous buvons ? ». Par exemple, la réutilisation de l'eau des douches dans les toilettes après reconditionnement devrait devenir la nouvelle norme. De manière générale, des cycles de réutilisation plus intelligents pour optimiser l'utilisation de l'eau sont nécessaires à l'avenir, même si cela entraînera des coûts plus élevés au début. +ImpaKT défend le modèle en « cascade », selon lequel la qualité de l'eau, qui diminue à chaque utilisation, est adaptée à l'usage qui en est fait. Cela permet de réduire considérablement la quantité d'eau utilisée.
Source : +ImpaKT
Le modèle en cascade de +ImpaKT.
Cependant, lors de l'utilisation "en cascade", l'eau ne doit pas être contaminée par des substances dangereuses impossibles à retirer. La priorité est donc de repenser notre rapport à l'eau et l'AGE explore de nouveaux moyens pour sensibiliser et inciter à une consommation plus sobre. Par exemple, l'installation de compteurs d'eau intelligents dans les maisons est en ce moment testée par certaines municipalités. La faisabilité d'une structuration du prix de l'eau est également à l'étude. Il s'agirait de passer d'un prix de l'eau au m3 à un prix progressif ou à un prix basé sur l'usage... En effet, il est grand temps de réaliser qu'au Luxembourg aussi, l'eau est une ressource précieuse.
Photo : +ImpaKT
Un exemple d'utilisation et de redistribution intelligente de l'eau de pluie à Belval. Afin de réduire la vitesse d'écoulement des eaux de pluie et d'optimiser leur infiltration dans le sol, des « escaliers d'eau » ont été installés.
NEXUS FUTURES
Pour une gouvernance durable de l'utilisation de l'eau et des sols
Découvrez les scénarios développés par l'Université du Luxembourg pour l'avenir de l'eau au Luxembourg : Projet de science citoyenne Nexus Futures, un voyage dans le temps.
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