Saviez-vous que 10% du bois coupé, 20% de l'aluminium extrait, 40% du plastique créé et 50% du verre produit servent principalement à fabriquer des emballages à usage unique ? Dans un monde aux ressources finies, l'économie du jetable basée sur le principe du produire-consommer-jeter montre de plus en plus ses limites. Et si un autre narratif était possible ? Produire, utiliser, ré-utiliser, ré-utiliser, ré-utiliser... Les nouvelles lois zéro déchet au Luxembourg arrivant à grands âs, zoom sur la voie du réemploi de nos emballages.

Interdiction des emballages à usage unique pour la restauration sur place dès 2023, et même règle pour la vente à emporter en 2025. Voici un engagement de taille pour le Luxembourg et sa stratégie Null Offall. Pour atteindre ces ambitions, le pays devra inévitablement passer par le recours au réemploi. Ses atouts : de nombreuses solutions et un réseau d’acteurs engagés pour booster ce principe fondamental de l’économie circulaire. Ses défis : des besoins d’organisation logistique, de standardisation et un renoncement à des habitudes ayant la peau dure.

Le saviez-vous ?

En 2020, le Pew Charitable Trust publie une étude évoquant la possibilité de réduire de 80 % la pollution des océans en mettant en place tout un panel d’actions ambitieuses. En tête des solutions ayant le plus d’impact :
la réduction de la production à travers des produits repensés et des contenants basés sur le réemploi.


Comprendre le réemploi des emballages

Bouteilles, bocaux, colis, bacs de transports, boîtes de repas, fûts... Après avoir presque entièrement disparu dans les années 80, les filières de réemploi et notamment la consigne chère à nos grands-parents marquent leur retour depuis quelques années. Alors, de quoi parle-t-on au juste ? Pour les emballages, il s’agit de toute opération par laquelle des contenants sont utilisés à nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils ont été conçus après avoir été employés, collectés, lavés et réintroduits dans le circuit d’usage. Pour la vente à emporter ou les livraisons, cela fonctionne souvent avec un système de consigne qui représente une somme supplémentaire payée par le consommateur au moment de l’achat et restituée lorsque l'emballage est rendu. Il est aussi parfois possible d’apporter ses propres boîtes, sacs et autres contenants pour favoriser le réemploi dans l’HORECA comme dans d’autres magasins.

Pourquoi ce retour ? C’est une réponse aux limites du tout-recyclage. Comme le rappelle le GIEC dans ses conclusions d’avril 2022, le recyclage a été privilégié à tort par rapport à la réutilisation, ces dernières années.
« L'absence de politiques visant à une meilleure rétention de l'utilisation des matériaux, comme la réduction, la réutilisation, la réparation et la refabrication, est due à des échecs institutionnels, à un manque de coordination et à l'absence de défenseurs forts », souligne le rapport.
Les experts recommandent ainsi d’encourager le réemploi pour répondre aux grandes pressions environnementales, dont la surexploitation des ressources et les différentes pollutions. En effet, bien que des avancées notoires aient été observées dans la prise de conscience et les actions à l’égard notamment des plastiques à usage unique, les scientifiques expliquent qu'en remplaçant ces plastiques par d’autres produits à usage unique, nous ne faisons que substituer un ensemble de problèmes à d'autres. Dit autrement, si certes des plastiques disparaissent de l'environnement, lesdites solutions de remplacement signifient parfois davantage d’arbres coupés, une pollution climatique accrue et des produits chimiques toxiques plus présents selon les matériaux choisis.

Le réemploi, quant à lui, peut avoir de vrais avantages dans une économie durable. Sur le volet de l’empreinte carbone par exemple, en décembre 2020, Zero Waste Europe et Reloop, en partenariat avec l'université d'Utrecht, ont publié un rapport montrant que les emballages basés sur le réemploi (bouteilles, caisses, bocaux et autres) produisaient significativement moins d'émissions que leurs contreparties à usage unique. Une autre analyse à l’échelle de la brasserie Météor en Alsace a, quant à elle, démontré que, comparé au recyclage, le réemploi de leurs bouteilles permettait des réductions d’environ 80 % des émissions de gaz à effet de serre, 75 % de la consommation d’énergie et un tiers de la consommation d’eau de l’entreprise.

Pour assurer des résultats environnementaux performants, les systèmes de réemploi nécessitent cependant la prise en compte de plusieurs paramètres tels que, par exemple, le matériau utilisé pour le contenant, le lieu de fabrication et de préparation au réemploi, le taux de retour et le nombre d’utilisations, le potentiel de recyclage en fin de vie... Autant d’éléments à considérer dans le grand potentiel de développement de ce type d’offres au Luxembourg.

Au-delà des aspects verts, le réemploi marque également des points sur le plan économique. Ces solutions peuvent en effet se targuer d'encourager une consommation en circuit court et de créer des emplois locaux non délocalisables pour les activités de lavage, maintenance, ou logistique. Une étude menée pour la Commission européenne établit que le soutien à la consigne serait ainsi susceptible de créer 27 000 emplois en Allemagne, alors qu’a contrario, le remplacement des emballages consignés par des emballages à usage unique y entraînerait la destruction de 53 000 emplois. 

Du point de vue du surcoût supposé, il est aussi intéressant de noter qu’en Alsace où les systèmes de réemploi sont plus déployés qu’au Grand-Duché, par exemple, les eaux et autres boissons se vendent désormais au même prix, voire 20% moins cher, que dans des emballages à usage unique. 

À une échelle plus macroéconomique, la Fondation Ellen MacArthur et le Forum économique mondial estiment dans une étude intitulée "The New Plastics Economy" que pour au moins 20% des emballages plastiques à usage unique, les modèles de réutilisation pourraient offrir une alternative économiquement intéressante. De plus, les pénuries liées aux tensions sur les matières premières, en particulier sur le verre, en raison notamment de la guerre en Ukraine, ont rendu la solution de la consigne particulièrement intéressante, du point de vue des coûts mais aussi de la sécurisation des approvisionnements. Le réemploi s’impose ainsi comme un argument de résilience économique.

Fondation Ellen MacArthur

Les 4 modèles de réemploi

Les défis à relever

Arrêt sur image sur ce premier quart de siècle : les entreprises fonctionnent en investissant dans des emballages et des chaînes d'approvisionnement à sens unique ; les villes et les citoyens s’organisent autour d’une gestion des déchets reposant sur le recyclage comme base de fonctionnement et encore parfois compliqué à généraliser. Difficile tout d’un coup de s’imaginer passer d’une économie de l’ultra- jetable à une économie du réemploi en un claquement de doigts.

Upstream, une organisation d'intérêt public à but non lucratif fondée par un groupe d'activistes du zéro déchet aux États-Unis et au Canada, décline en cinq piliers les principaux défis à relever pour un passage à l’échelle du réemploi.

Le premier repose sur le manque de vision et d'alignement. En d’autres termes, bien que la majorité des acteurs reconnaissent que le réemploi devrait faire partie de l'avenir, il existe encore de grandes différences de compréhension des problèmes associés et aucun consensus général sur les plans d’actions à mettre en œuvre.

Ensuite, arrive le manque de projets pilotes reproductibles et de modèles commerciaux à l'échelle. Au-delà des schémas de réutilisation et de recharge dans la restauration sur place, la production de boissons, la recharge à domicile et l'emballage tertiaire pour le transport en entrepôt, la réutilisation reste encore une niche et ne fonctionne pas à l'échelle dans les nombreux autres secteurs.

Troisième pilier, Upstream évoque le manque d'infrastructures se rattachant directement au sujet du passage à l’échelle. Pour que le réemploi puisse se développer, des infrastructures de collecte, de logistique et de lavage interopérables, capables de desservir plusieurs entreprises en même temps, sont essentielles. Cela supposera bien entendu la normalisation des emballages réutilisables dans tous les formats afin qu'ils soient interchangeables entre les fournisseurs de services de réutilisation et les marques.

En quatrième lieu, se situent les normes de commodité. Certaines entreprises craignent en effet que les consommateurs et les partenaires commerciaux n’approuvent et ne participent pas aux systèmes de réutilisation en raison de perceptions liées au confort d’usage des produits emballés dans des solutions jetables.

Enfin, le dernier point essentiel est celui des coûts. Ici, les politiques visant, d’une part à restreindre et à pénaliser l'utilisation des produits jetables, et d’autre part à mettre les produits réutilisables en avant, seront essentielles.

En résumé, l’économie du réemploi est construite autour d'une question centrale : « Comment fournir aux gens ce qu'ils veulent et ce dont ils ont besoin sans déchet ? ». Pour y répondre, beaucoup de solutions existent déjà et ne demandent qu’à être mises en place. Le défi reste le passage à l’échelle et la généralisation et structuration des filières. Il est bien probable cependant, que cette transition s’accélère brutalement car, aux quatre coins du monde, les gouvernements instaurent des objectifs ambitieux en la matière. Au Chili, ce sont aujourd’hui 30 % des bouteilles vendues en supermarchés, qui doivent être consignées. L’Autriche a fixé son quota de réemploi des emballages de boissons à 25 % d’ici 2025, un taux fixé par l’Allemagne et les Pays-Bas à 70 % dès 2022. Le Portugal, quant à lui, a annoncé que 30 % de l’ensemble des emballages mis sur le marché d’ici 2030 devraient être réemployables, tous matériaux confondus. L’économie du réemploi semble ainsi avoir de beaux jours devant elle.