Photo : Alexander Hall

Le Sustainability Mag vous emmène en Suède pour découvrir une campagne alimentaire nationale qui invite à sortir de chez soi et explorer l'abondance de nourriture saine dont la nature regorge.



96% du territoire suédois est inhabité. Les forêts couvrent la majorité des espaces et le pays nordique compte 100 000 lacs et 220 000 îles. On y trouve un climat varié, des plages de sable du sud tempéré aux montagnes et aux températures arctiques du nord. Il n'est donc pas surprenant que la nature soit au cœur du mode de vie suédois. Le plein air est profondément ancré dans la culture suédoise : les entreprises encouragent leurs employés à passer du temps à l'extérieur pendant leurs heures de travail, les enseignants apprennent aux jeunes enfants le respect des plantes, des animaux et du cycle de la vie dans les écoles forestières, et ce, qu'il pleuve ou qu'il vente!

Cette passion pour la nature s’incarne dans le concept nordique de friluftsliv, qui se traduit littéralement par « vie à l’air libre » ou « vie en plein air ». Le terme a été inventé dans les années 1850 par le poète norvégien Henrik Ibsen afin de décrire l’importance de passer du temps à l'extérieur pour le bien-être physique et spirituel. Alors que friluftsliv, dans son acception la plus simple, signifie sortir pour faire de l'exercice, il s'agit en réalité bien plus d'un mode de vie basé sur la liberté, la paix et la reconnexion dont il est possible de faire l’expérience dans la nature.

Photo : August Dellert

La liberté d’errer 

L'accès à la nature est si profondément ancré dans l'identité nationale qu'il est inscrit dans la constitution. En 1994, le Parlement suédois a adopté la loi « allemansrätten », à savoir le droit d'accès public, communément appelé « le droit de tout un chacun ». Il permet à quiconque de se déplacer librement dans la nature, de faire de la randonnée, du vélo, du ski, du camping et de récolter les fruits de la nature gratuitement presque partout. La seule condition émise est le respect de l'environnement, des animaux qui y vivent en suivant le mot d’ordre "ni déranger, ni détruire". à l'exception des jardins privés et d’un périmètre inférieur à 70 mètres des habitats, tous les terrains sont à usage public et la pêche est autorisée dans les cinq plus grands lacs de Suède.

Le plus grand restaurant gastronomique du monde

Pour rendre hommage à la diversité naturelle de la Suède et à tout ce qu'elle a à offrir, le gouvernement suédois a lancé une initiative de développement durable appelée "The Edible Country", littéralement « le pays comestible ». Celle-ci loue les mérites d’un pays de 450 000 kilomètres carrés dont les ressources naturelles sont propices à la créativité culinaire des particuliers. Aussi, quatre Chefs étoilés Michelin ont créé un menu à base d’ingrédients du terroir, chaque plat représentant une saison et une partie du pays.

Au-delà des menus disponibles en ligne, l’initiative renseigne sur les lieux où dénicher les ingrédients et sur la façon de les cuisiner correctement. Au choix, les participants peuvent préparer leurs repas à la maison (ou à l'extérieur), ou bien réserver gratuitement l'une des 23 tables en bois faites à la main, installées dans divers endroits naturels à travers le pays. Un kit de cuisine comprenant notamment un réchaud, des assiettes, des couverts, peut être acheté, et pour agrémenter le voyage culinaire, il est même possible de s'allouer les services d'un Chef ou d'un guide expérimenté dans la recherche de nourriture.

Inspirés des saisons, les menus sont basés sur des ingrédients trouvés dans la nature et sont adaptés aux différents paysages et à leurs ressources. Ce que l'on ramasse le long des côtes du sud de la Suède n’existe pas nécessairement dans les forêts denses du nord. Si certaines recettes nécessitent des ingrédients complémentaires - sucre, crème ou miel-, les participants sont encouragés à choisir des produits locaux.

Photo : Tina Stafrén

À quoi s’attendre pour un repas d'automne dans le centre de la Suède ? 

Du sureau moulu, du mouron des oiseaux doux et de l'escargot des champs, qui, avec des champignons forestiers et des airelles rouges, se combinent au beurre d'herbes grillées pour agrémenter une perche fraîchement pêchée. Et dans le sud de la Suède ? Des glands, des noisettes et des baies, combinés à une compote de baies chaude parsemée de noix émiettées.

Photo : August Dellert

Buvons à ce succès ! 

L'initiative, saluée par des prix internationaux de communication, a suscité une prise de conscience au niveau national et international, les tables étant réservées presque sans interruption pendant la haute saison, de mai à septembre. Plus important encore, la campagne a stimulé le débat autour des aliments d'origine locale en promouvant une alimentation accessible, de terroir et saine.

Avec le succès de « The Edible Country » dès sa première année en 2019, une deuxième campagne a été lancée dans un esprit similaire : « The Drinkable Country ». Comme son nom l'indique, cette initiative a transformé toute la Suède en un bar participatif à ciel ouvert en invitant les gens à s’inspirer de la vaste gamme de saveurs qui poussent à l'état sauvage dans la campagne du pays pour concocter des boissons. Là aussi, des experts locaux ont élaboré des recettes de boissons à base d'ingrédients sauvages saisonniers et comestibles. Envie d'une boisson d'hiver? le menu prévoit un breuvage à base de whisky de sirop de cynorhodon et de pousses d'épinette récoltées dans le sud de la Suède, mélangé avec du lait et de la crème.
Autre suggestion : un punch accompagné de baies de nerprun, de jus de carotte et de crème.

Retour à la nourriture sauvage 

Pour l’essentiel de notre histoire, la survie humaine a dépendu de la nature. La cueillette et la chasse sont des pratiques anciennes qui remontent à nos ancêtres. Mais avec la mondialisation et le développement de l'agriculture, les systèmes alimentaires mondiaux ont évolué vers des régimes alimentaires industrialisés et homogènes. Ceci a profondément changé notre mode de vie, nous faisant oublier la variété naturelle qui existe dans la nature.

Les scientifiques estiment que sur les 200 000 espèces de plantes comestibles qui existent sur Terre, les humains en consomment un peu moins de 200. À eux seuls, le maïs, le riz et le blé représentent plus de la moitié des calories et des protéines que nous tirons des plantes. Aussi, la production alimentaire est responsable d'un quart des gaz à effet de serre globaux, tandis qu'un tiers de la nourriture produite est gaspillé dans le monde.

Photo : August Dellert

Le respect de l’environnement comme ingrédient principal

Nous devenons ce que nous mangeons, et le sort de la Terre en dépend. Alors que le monde prend conscience de cette idée, l'industrie alimentaire évolue lentement vers des pratiques plus durables. Les ingrédients en circuits courts et saisonniers sont largement connus pour limiter les émissions de carbone et soutenir les économies locales, et sont promus par des stratégies telles que « de la fourche à la fourchette ». Se tourner vers la nature proche pour approvisionner le garde-manger de la cuisine est une tendance à la hausse.

La cueillette a connu un regain d'intérêt au cours de la dernière décennie, la Scandinavie prenant les devants à la fois grâce à des pratiques ancrées dans la tradition, mais aussi grâce à l'émergence de nouvelles tendances culinaires. Par exemple, le manifeste New Nordic Food, né au début des années 2000, prône une approche éthique basée sur le cycle de vie en privilégiant l'utilisation d'ingrédients biologiques locaux et en prônant un retour aux aliments et méthodes traditionnels pour créer des plats innovants et durables. Résultat, de nombreux grands Chefs scandinaves ont repoussé les limites de leur créativité culinaire en inventant des menus « hyper locaux » et « micro saisonniers », inspirant Chefs et gastronomes du monde entier à explorer leurs forêts, champs, rivières et lacs pour en découvrir les richesses.

Photo : Tina Safrén

Nourri par la nature

Plus largement, il y a une prise de conscience naissante de la nécessité de passer du temps à l'extérieur. La recherche montre qu'il existe un lien étroit entre la nature et la qualité de vie. Le biologiste E.O. Wilson a même suggéré que les humains ont un amour et une fascination profondément enracinés pour la nature qui découleraient d'un besoin inhérent de se connecter avec d'autres formes de vie. C’est ce qu'il a appelé la biophilie. Les bruits de la forêt, l'odeur de l'herbe, la bouffée d'air frais - ces choses nous réconfortent. Elles atténuent la peur et l'anxiété, réduisent la colère, stimulent notre créativité et nous aident à nous détendre et à retrouver de la clairvoyance.

Photo : Pixel Petersson

Combiné à des activités telles que la recherche de nourriture, passer du temps à l'extérieur est devenu un moyen pour les gens de se reconnecter consciemment avec eux-mêmes et avec la Terre. Alors que certains estiment que la cueillette n'est peut-être qu’une nouvelle tendance culinaire, d'autres pensent qu'il s'agit d'un instinct dormant qui se réveille chez l’humain, ou même la réponse au besoin de trouver un sens à sa vie. Qu'il s'agisse d'une tendance passagère ou qu’elle devienne pérenne, l'initiative « The Edible Country » est une incitation à passer plus de temps à l'extérieur et à découvrir l'abondance de ressources que fournit le garde-manger sauvage. En toute simplicité, cela nous ramène à des pratiques autrefois naturelles, et nous donne une délicieuse occasion de penser une alimentation durable.