Photo : Swedish Lapland

Quelque part au coeur de la nature arctique, en Laponie suédoise, vous pourrez goûter aux saveurs uniques de la forêt nordique. Bienvenue à la table Pia Huuva !



Sustainability MAG : Vous vivez dans une partie reculée du nord de la Suède. Parlez-nous de cet endroit...

Pia Huuva :  En effet, je vis dans un petit village appelé Liehittäjä qui compte 23 habitants et se situe àTornedalen dans le nord de la Suède, près de la frontière finlandaise et à environ 35 kilomètres au sud du cercle polaire arctique. Les régions les plus septentrionales de la Norvège, de la Suède, de la Finlande et de la Russie sont connues sous le nom de Sápmi, terre de la population indigène, le peuple Sámi. Je vis ici depuis que j’ai rencontré mon mari dans les années 1990 qui est d'origine Sámi. Je me souviens encore très bien de la première fois où j'ai mis les pieds dans ce pays. C'était au début du mois de juin, ce qui en Suède, et surtout ici, est le moment où la nature est en pleine floraison et où le soleil de minuit ne se couche jamais. La lumière est totalement différente, c'est magique.

Avant de déménager, j'ai travaillé dans l'hôtellerie et la restauration en Suède et à l'étranger. Depuis notre mariage, Henry et moi avons dirigé et géré plusieurs petits restaurants et gîtes locaux, projets dans lesquels nous prenions fortement en compte les différents aspects du développement durable. C’est une région assez conservatrice, donc l'idée de développement durable n'a pas toujours été accueillie à bras ouverts même si, à d'autres égards, elle est profondément enracinée dans la philosophie sámi et le mode de vie arctique transmis de génération en génération. Cette tradition veut que vous ne preniez pas plus que ce dont vous avez besoin, et quand vous vous servez, vous vous assurez que rien n'est gaspillé. Prenons l'exemple des rennes qui sont étroitement liés à la culture et à l'héritage des Sámis. Nous suivons toujours le principe « du nez à la queue », ce qui signifie que chaque partie de l'animal est transformée. Et, en signe de respect pour la nature et les rennes, les Sámis divisent l'année en huit saisons afin de tirer le meilleur parti des variations naturelles du climat et de l'environnement.

Photo: Alexander Kuznetsov

Pourquoi avoir rejoint l'initiative « The Edible Country» ?

Nous avions auparavant déjà travaillé de manière assez similaire en proposant des expériences authentiques en harmonie avec la nature et en partageant les connaissances et les traditions locales. Ainsi, rejoindre l’initiative "The Edible Country" fut une étape logique pour nous. Si vous pouvez offrir une bonne nourriture qui raconte l’héritage culturel qui la caractérise, ce sont les ingrédients parfaits pour une expérience à laquelle les gens se sentent connectés longtemps après leur repas. Et c'est un outil de changement vraiment puissant!

En Suède, nous savons bien communiquer sur notre nature incroyable et tout ce qu’elle a à offrir, mais pour les personnes qui n'ont peut-être pas grandi avec cet environnement sauvage, il peut être assez intimidant de s'aventurer et de commencer à cueillir des baies, des champignons et des plantes sans savoir s'ils sont toxiques ou comestibles. Cette initiative est un excellent moyen pour entrer en contact avec la nature, le savoir qui l’entoure, les goûts, les lieux et les histoires qui s’y cachent.

Quelle expérience nous attend à votre table ?

Notre restaurant est situé dans un ancien enclos de rennes Sámi. Cette clairière forestière entourée d'arbres centenaires témoins d'innombrables histoires est un lieu presque sacré.Mon mari a abattu un pin de 130 ans dont nous avons fait une table et deux bancs. Nous avons également érigé une cuisine extérieure de base à partir de palettes en bois. Si nous décidions d'arrêter tout, nous pourrions simplement emballer nos affaires et partir et ce serait comme si nous n'avions jamais occupé cette place.

Nous nous promenons dans la forêt pour cueillir la nourriture de saison. En ce moment, à l'automne, nous cherchons les skogens guld - l'or de la forêt, les chanterelle – et autres champignons, pleins de nutriments précieux. En été, on recherche toutes sortes de baies – myrtilles, airelles, baies de genévrier, chicouté... – pour faire des tartes en dessert ou des sauces pour viandes et légumes. Il est possible de faire du bon pesto avec différentes herbes et feuilles, comme les feuilles de bouleau ou l'oseille des bois. Les pousses de pin et d'épinette sont aussi agréables à ajouter comme épices.

Ensuite, nous retournons au camp de base où nous commençons un feu en plein air. Nous faisons du Gáhkko, un pain plat Sámi fait avec de la farine, de l'eau, du beurre et du sirop dans une poêle. J'apporte généralement du poisson local ou de la viande de renne locale traditionnelle, comme le Gurpi, fait avec une combinaison de restes de viande de renne, de graisse et de sel, ou de Suovas, de la viande de renne légèrement fumée.

Puisque les saisons changent rapidement ici et que les hivers sont très longs et froids, nous devons tirer le meilleur parti de ce qui pousse pendant les saisons plus chaudes. J'aime demander aux gens combien de congélateurs ils ont à la maison. Les réponses, un peu étonnées, se situent généralement autour de un. Nous, nous en avons neuf pour conserver tout ce que la nature nous donne.


Et comment l'initiative a-t-elle été accueillie jusqu'à présent ?

À mes yeux, le meilleur retour est celui des enfants lorsqu’ils sont heureux car ils représentent l'avenir. Je me souviens être sortie avec une famille de trois générations, jumeaux de  peut-être 11 ans, leur père et leur grand-mère. Les enfants étaient réticents au début, mais ensuite ils ont commencé à aider et, en cours de route, leurs yeux se sont illuminés : ils adoraient l’expérience. Et c'est là que je me dis "Oui, c'est ça le succès".

Photo : Swedish Lapland

Comment décririez-vous la nature suédoise ? Comment vous inspire-t-elle dans la cuisine ?

C'est très difficile à décrire avec des mots, il y a juste une magie de l’instant propre à la nature. En Suède, il y a cette immensité de véritable nature sauvage. Vous pouvez trouver la nature dans de nombreux endroits, même dans le centre de New-York, mais ce ne sera jamais la même chose que d'aller en forêt ici et de savoir que sur des kilomètres et des kilomètres, il n'y a aucune trace humaine. Seulement de la nature sauvage. Et vous pouvez vivre cette expérience dans la solitude comme nulle part ailleurs. En fait, c'est la nature qui nous invite, et non l'inverse. Cela peut ouvrir vos sens et vous aider à vous connecter presque à un autre niveau. Il fut un temps dans ma vie où je vivais quelque chose de difficile et où je n'avais pas beaucoup de gens à qui parler, alors je sortais dans la forêt et m'asseyais le dos contre un arbre, et cela me calmait énormément. Les gens ne peuvent pas vous donner l’énergie que la forêt vous offre. La nature est juste là, et nous pouvons en faire partie sans contrainte ni condition.

En cuisine, la nature est une source constante d'inspiration. Rien dans la nature n'est disponible toute l'année, la plupart des choses ne peuvent être cueillies que pendant deux à trois semaines de l'année, comme les baies. On ne peut donc pas forcer la nature, au contraire – la nature nous oblige à travailler avec ce qui est disponible et à se laisser porter. Cela booste la créativité et oblige à essayer de nouvelles idées. J'apprends quelque chose de nouveau chaque année. Cette année, par exemple, j'ai essayé de manger les fleurs du bleuet, juste avant que les baies n'arrivent, et c'était délicieux. Vous n'avez pas besoin d'être un expert, il s'agit simplement de sortir avec un état d'esprit curieux et de laisser vos sens vous guider. Et puis, bien sûr, il y a quelque chose d'unique à sortir et à chercher ses propres ingrédients et à en faire quelque chose de délicieux. Impossible de comparer cela au supermarché où les aliments sont transformés et importés d'ailleurs.

Photo : Swedish Lapland

Quels sont les avantages santé de cuisiner avec ce que vous trouvez vous-même ?  

Les aliments que vous choisissez sont évidemment entièrement naturels, ils n'ont subi aucune transformation (sauf par la nature elle-même), il n'y a ni conservateur ni additif. Ils sont naturellement plein de nutriments. Les myrtilles, par exemple, sont des édulcorants naturels, mais elles sont aussi très bonnes pour nos yeux. 

Et ce n'est pas seulement la nourriture, la recherche montre aussi que le simple fait d'être dehors fait baisser la tension artérielle, calme le rythme cardiaque, aide à lutter contre l'anxiété... Cette seule raison devrait suffire à nous faire sortir de chez nous.

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Comment la cuisine peut-elle contribuer à un mode de vie plus durable ?

Pour moi, c'est une question de savoirs. Il y a tellement de connaissances enracinées dans la nature : comment elle se regénère mais aussi comment les humains vivent avec elle depuis des milliers d'années. La recherche de nourriture, par exemple, n'est pas exactement une nouveauté, c'est une pratique ancienne qui engageait la survie. Nous avons vécu une période très confortable ces dernières 70 années mais aujourd’hui, nous sommes arrivés à un moment où nous devons nous dire : oui, nous devons survivre, mais nous devons aussi le faire d'une bonne manière, à la fois pour nous-mêmes et pour notre monde. À bien des égards, il s'agit de revenir à l'essentiel et cela signifie revenir à des pratiques qui sont étroitement liées à la nature, comme utiliser nos mains pour cueillir de la nourriture dans la forêt.

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Et comme je l'ai mentionné, je pense qu’un bon récit est essentiel à la fois au transfert de connaissances et au développement durable. Si vous pouvez créer une histoire qui se connecte positivement avec les gens, cela peut inspirer le changement. En couplant l’alimentation - parce que tout le monde aime la nourriture – à l’histoire et les connaissances autochtones qui sont déjà ancrées dans des pratiques durables nous pouvons accomplir beaucoup pour l’environnement.

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