Crédit : PUR Projet

Le social business, chez lui, c’est une deuxième nature. Tristan Lecomte invente en rafales des nouveaux modèles au service des écosystèmes fragilisés et des populations qui en dépendent. Le fondateur de la marque pionnière de commerce équitable Alter Eco est aussi l’artisan de PUR Projet, une initiative assez contagieuse dans les sphères corporate. Son talent ? Il sait convaincre les investisseurs et patrons des plus grandes entreprises de le suivre dans sa mission : replanter des millions d’arbres. Il y a peu, il récidivait avec deux nouvelles idées.


INTERVIEW

Sustainability MAG : Parlons chiffres. Combien avez vous d’arbres plantés à votre actif aujourd’hui ?

Tristan Lecomte : Dix millions. Mais ça ne représente qu’une journée de déforestation.

Et préservés ?

400 000 hectares, ce qui correspond environ à 200 millions d’arbres en conservation.

Vous avez, lors de la création de PUR Projet, embarqué de grands groupes et de nombreuses entreprises dans un concept nouveau, l’insetting. Quel en est le principe ?

Le principe, c’est de faire de la compensation carbone à l’intérieur de la chaîne de valeur des entreprises, donc par exemple de planter des arbres au cœur de leurs filières agricoles ou animales. Cela génère de multiples bénéfices, à la fois climatiques mais aussi de sécurisation des approvisionnements, en qualité et en quantité, et de création de lien entre l’entreprise et ses fournisseurs. Cela permet également de valoriser la marque, de créer du sens, ce que les entreprises recherchent beaucoup car elles ont besoin d’expliquer leur raison d’être.

Crédit : PUR Projet

Combien d’entreprises se sont inscrites dans votre démarche jusqu'à présent ?

Environ 150 entreprises, des toutes petites aux multinationales. Des marques assez prestigieuses nous ont rejoints car elles ont un actif attaché à des valeurs à défendre. Parmi elles, Clarins, Accor, Nespresso, Chanel, Louis Vuitton ou Ben & Jerry’s. Bien sûr nous travaillons aussi avec les grands du café et du cacao comme Louis Dreyfus ou encore Olam.

« On ne pense souvent qu'au climat, mais en réalité, ce n'est qu'un des nombreux bénéfices des plantations »

Lorsqu’il s’agit de planter un arbre, vous êtes un fervent défenseur de l’agroforesterie…

Oui la majorité de nos projets, c’est de l’agroforesterie, mais au niveau bassin versant, c’est-à-dire de l’ensemble du paysage. Ça n’a pas vraiment de sens de planter des arbres juste dans la parcelle de culture, si autour c’est désertique ou si au-dessus il y a de l’érosion. Planter le long des cours d’eau, par exemple, est absolument nécessaire. Notre approche est de considérer l’ensemble du territoire où l’entreprise a ses cultures ou achète ses produits, pour y réaménager, l’écosystème. Cela peut s’étendre sur une surface de 10 ou 50 km2

Nous avons différents modèles qui s’adaptent à la culture, au niveau d’ombrage nécessaire et à bien d’autres critères. Nespresso par exemple, nous a chargé de faire un diagnostic dans les onze pays où se trouvent leurs producteurs de café, pour savoir où et comment il est intéressant de planter. Ceci évolue en fonction des enjeux auxquels ils sont confrontés comme la dégradation des écosystèmes, ou les dérèglements climatiques qui impactent directement les récoltes et mettent en péril la sécurité des approvisionnements. Naturellement, on fait certifier les bénéfices carbone, mais cela va plus loin avec des bénéfices sur l’eau, sur les sols, sur la biodiversité et aussi bien sûr, sur la diversification des revenus des fermiers.

Crédit : PUR Projet

Plantations en agroforesterie au Guatemala et en Colombie.

Justement, votre démarche est résolument sociale, avec combien de producteurs locaux travaillez-vous ?

Environ 20 000 agriculteurs sont impliqués dans notre démarche. Nous sommes en lien avec de nombreuses coopératives agricoles, ce qui nous permet de démultiplier notre impact. Nos projets sont tout autant sociaux qu’environnementaux. C’est très important pour nous. La question du climat est avant tout une question de solidarité internationale, puisque les pays riches sont responsables de 90 % des émissions sur les 50 dernières années et il leur incombe de financer ces mécanismes de développement propre. C’est le véritable esprit de la compensation carbone, qui est avant tout un outil de solidarité internationale.

Nous nous distinguons totalement de la compensation dénuée de sens et d’âme qui peut exister parfois. Nous développons des projets qui ont un véritable impact et qui sont là pour aider les gens les plus défavorisés sur Terre, ceux-là mêmes qui sont les plus touchés par le dérèglement climatique alors qu’ils en sont les moins responsables et les moins équipés pour y faire face. C’est ça l’enjeu de la compensation carbone solidaire que nous pratiquons.

« La question du climat est avant tout une question de solidarité internationale »

Sur le plan environnemental, combien de temps faut-il attendre pour constater les bénéfices, en terme de captation carbone, de régénération des sols… ?

Cela va très vite. En milieu tropical humide, dès 2 ou 3 ans, certains arbres font déjà 15 ou 20 mètres de haut. En Amazonie péruvienne, où l’on a planté 5 millions d’arbres, ça pousse très vite et les bénéfices sont immédiats en termes de séquestration carbone et d’impacts positifs sur les sols et l’eau. La période de créditation à proprement parler, pendant laquelle l’arbre va générer du carbone, correspond à ses 20 premières années, ensuite on le garde encore 20 ans, donc un projet carbone s’étale sur 40 ans.

« Nos projets sont tout autant sociaux qu'environnementaux »

Avez-vous réussi à quantifier le ROI moyen d’un arbre ?

Oui. Il est de 68 %. L’arbre est le meilleur investissement sur Terre. Nous avons créé le Pur Lab, un département qui établit des partenariats avec des grandes universités comme Havard Kennedy School, Yale School of Forestry ou encore AgroParisTech. Nous y avons mené une revue scientifique de 1 200 études existantes portant sur les différents bénéfices de l’arbre que nous avons modélisé en une grande matrice. Celle-ci permet d’évaluer le potentiel de création de valeur de l’arbre grâce à des valeurs proxi. C’est en milieu tropical humide qu’un arbre génère le plus de bénéfices. Au Pérou par exemple, un arbre coûte 3 euros et génère jusqu’à 19 euros par an de services économiques et écosystémiques. Ce qui est intéressant de noter, c’est que le bénéfice de séquestration carbone ne représente que 30 centimes d’euros sur ce total. On ne pense souvent qu’au climat, mais en réalité, ce n’est qu’un des nombreux bénéfices des plantations. 

La démarche est parfois assez distante du cœur de métier de l’entreprise… Prenons le cas d’Accor et de la fameuse « résolution de l’arbre » que ses actionnaires ont approuvé avec un objectif de 10 millions d’arbres plantés à horizon 2021. Ici encore, c’est PUR Projet qui opère. Expliquez-nous l’idée…

C’est un bel exemple où l’arbre est utilisé comme un incentive pour encourager à la réduction des émissions et des dépenses énergétiques. Dans l’ensemble des hôtels Accor, si vous réutilisez votre serviette, la moitié des bénéfices sont réinvestis dans la plantation d’arbres. Grâce à cette initiative, ils ont déjà économisé 15 millions d’euros et ont replanté 7 millions d’arbres. Avec eux, nous avons ouvert 30 projets dans le monde et opéré au plus près de leurs hôtels.

Il s’agit de planter des arbres à l’intérieur de la chaîne de valeur, mais pas forcément chez le fournisseur. Ce n’est pas obligatoirement intra filière. L’idée est simplement d’articuler le projet climatique de plantation d’arbres avec la stratégie de l’entreprise. En réalité, vous pouvez utiliser l’arbre pour tout. Aux priorités stratégiques de l’entreprise, à ses enjeux commerciaux, nous allons répondre avec des arbres.

« Aux priorités stratégiques de l’entreprise, à ses enjeux commerciaux, nous allons répondre avec des arbres »

Le défi aujourd’hui est immense. Pour compenser la déforestation massive, il faudrait, dites-vous, planter 10 millions d’arbres par jour… Bref, passer à l’échelle supérieure. C’est l’idée de votre dernier né, Tree Impact ?

Exactement, c’est l’idée de monter un fonds d’impact autour de l’arbre. Nous allons investir dans quatre grands projets d’impact au Pérou, en Colombie, en Indonésie et en Ouganda. Avec deux gros investisseurs et, pour démarrer, 100 millions d'euros. L’intérêt qu’ils identifient, c’est tout d’abord notre capacité à sourcer des projets à vrai impact, car il existe beaucoup de projets à impact "bidon" en réalité. Mais aussi nos projets sont très rentables.

Jusqu’alors, lorsque les entreprises achètent des crédits carbone ou des arbres, cela est vu un peu comme un don. Notre approche est différente. Il s’agit d’un véritable investissement avec un retour sur investissement tangible. C’est intéressant, car si l’on arrive à prouver que l’on parvient à dégager 7 % de TRI sur des plantations, alors on a gagné, on est les rois du pétrole, pardon, les rois de la forêt ! (rires). Nous avons déjà un modèle qui tourne, puisqu’on a planté 330 hectares au Pérou pendant 3 ans pour tester ce schéma. Autre avantage, cela va sans doute devenir une valeur refuge, car décorrélée des marchés financiers classiques. C’est un moyen d’avoir un portefeuille plus diversifié. Et surtout, c’est un investissement qui a du sens_!

Crédit : PUR Projet

Une plantation de café en agroforesterie.

Combien d’arbres plantés avez-vous dans votre viseur ?

Notre premier objectif aujourd’hui, c’est 40 millions d'arbres. Et ensuite nous souhaitons planter des centaines de millions, voire des milliards d’arbres, bref, ce qui est nécessaire pour compenser l’empreinte climatique actuelle et la tâche est immense ! Le monde de la finance peut ici jouer un rôle clef et le Luxembourg est une place clairement déterminante pour cela. On oppose trop souvent finance et environnement. Si l’on veut changer d’échelle, il est nécessaire aujourd’hui de réconcilier les deux mondes, de mettre à jour la complémentarité. Il est impératif de montrer que l’on peut gagner de l’argent grâce à des projets environnementaux. Régénérer la planète, c’est désormais un métier d’investisseurs.

Et vous avez choisi le Luxembourg pour votre premier fonds…

Oui, c’est la place incontournable si l’on veut pouvoir attirer un maximum de financiers. En étant au Luxembourg, nous sommes mis sur orbite de la finance européenne et mondiale.

« Régénérer la planète, c’est désormais un métier d’investisseurs »

D’autres projets dans les cartons ?

Nous travaillons actuellement à un autre projet où nous transposons l’idée de PUR Projet à la question des plastiques. Il s’agit d’évaluer non plus l’empreinte carbone, mais l’empreinte plastique des entreprises, les engager à réduire leur utilisation et compenser ce qu’elles n’ont pas encore pu éliminer. C’est au stade de pilote en Thaïlande, où nous travaillons avec l’entreprise de cosmétiques Caudalie. Nous agissons avec les communautés locales très exposées à la pollution plastique pour récupérer les débris à travers ce que nous appelons le « Zero Waste project ». Le principe est le même, appliqué à un autre enjeu de taille !

-Article publié le 1er avril 2020-

Tristan Lecomte

est le fondateur de la marque pionnière de commerce équitable Alter Eco. Il est également l'artisan de PUR Projet, dont la mission est d’assister les entreprises à régénérer les écosystèmes dont elles dépendent.