Plonger le spectateur dans la beauté fragile de notre monde, l’immerger dans les merveilles insondées et fébriles de notre planète. C’est le pari du cinématographe amoureux de la nature, Frédéric Lilien. Grâce aux technologies de capture d’images à 360° et de réalité virtuelle, il entend alerter et porter la question de la protection de l’environnement avec force et présence. Il propose aujourd’hui un nouveau concept immersif, qui, espère-t-il, saura nous convaincre d’agir.
Ce rapace vivant en plein coeur de Central Park est devenu une légende à travers la caméra de Frédéric Lilien.
Sustainability MAG : C’est un rapace au cœur de Central Park qui vous a fait connaître, et vous a même valu pas moins de quinze distinctions officielles. Racontez-nous.
Frédéric Lilien : Cette histoire commence à New York. J’avais 23 ans. J’avais quitté la Belgique, un peu perdu, à la recherche de moi-même.
Un midi, alors que je travaillais, je me suis rendu à Central Park, pour m’évader. Comme tous les jours à vrai dire ! Alors que je croquais dans mon sandwich, j’ai remarqué un oiseau au-dessus de moi. Une superbe buse au cœur de New York ! J’ai senti un réel déclic : il fallait que je raconte l’histoire unique de résilience de ce rapace citadin, et ce, en devenant cinéaste animalier. J’ai filmé cette buse pendant cinq ans et, à force de patience et de persévérance, ces images ont formé mon premier film. Cet oiseau avait en fait un parcours tout à fait exceptionnel. Cette femelle, âgée de 31 ans, s’était adaptée à la vie en ville et avait même procréé toute une dynastie de buses à New York. Puis, c’est une rencontre assez spéciale qui m’a permis de produire ce film. Celle de la cinéaste Nora Ephron (scénariste renommée qui a notamment travaillé pour le film When Harry met Sally, ndlr), qui avait acheté les droits d’un ouvrage traitant de ce rapace (Red-Tails in Love By Marie Winn, ndlr). Elle a été emballée par mes images et c’est ainsi que le film a subitement pu être produit !
Dernière étape, j'ai contacté une petite société en Californie qui se lançait tout juste à l’époque en offrant la possibilité à n'importe qui de distribuer et de vendre des DVD et des cassettes VHS. Cette société a fait son chemin depuis, c’est Netflix ! Puis j'ai commencé à soumettre le film dans des festivals, et là, ça a cartonné ! Tout simplement parce que c'était unique à voir, une histoire différente des films animaliers habituels !
Vous avez depuis réalisé de nombreux documentaires, notamment pour National Geographic. Pourquoi cette envie de parler du monde animal ?
Avant tout, c'est une passion, quelque chose que j’ai en moi. Tout petit déjà, j'adorais aller me promener et observer la nature autour de moi.
Il y a bien sûr l’émerveillement, l’expérience sensorielle et esthétique mais, aujourd’hui c’est avant tout l’urgence climatique qui guide mes choix de films. Mon souhait est de m’adresser, non plus seulement aux personnes convaincues comme le public de National Geographic, mais également d’aller chercher les gens qui n’ont pas cette passion en eux, de transmettre cet émerveillement et de tenter de transmettre un message.
Votre marque de fabrique est l’immersion du spectateur. Quelle est votre ambition ?
J’ai en effet toujours souhaité plonger le spectateur dans un environnement unique mais, vous avez raison, je vais plus loin et me consacre depuis quelques années à la réalisation de films immersifs. Pourquoi ? Parce que les sens sont plus éveillés ! L'immersion, c’est cette sensation de présence intense tout en
étant transporté ailleurs. Or, si le public est plus attentif, le message passe bien mieux. L’idée est de susciter une émotion puissante chez la personne en créant une ambiance, un environnement unique. J’avais envie d’explorer cette façon de communiquer qui est différente que celle utilisée pour un film classique. On bombarde les gens d’images tous les jours, mais il faut quelque chose de
plus puissant.
Sur le plan technique, c’est un défi car il existe de nombreux facteurs à prendre en compte pour la création d’un film immersif. Il y a une certaine façon de filmer par exemple : il faut stabiliser beaucoup, on ne peut pas zoomer. Il faut faire preuve d’ingéniosité parfois. J’ai, par exemple, un ami new-yorkais qui m’a créé un système, une espèce de Rubik’s cube, qui est composé de six caméras d’action GoPro pour couvrir un champ de vision de 360°. Puis, il faut coller les images ensemble. Au début, on traitait cela image par image, maintenant on opère heureusement avec des systèmes plus performants. Mais, pour tout vous dire, je ne suis pas un très bon technicien. Je suis devenu surtout un bon monteur d’images, car on apprend à raconter une histoire avec ce que l’on a. Et la force du message est ce qui m’importe le plus. Mon ambition est de motiver les gens, créer de la passion.
« L'immersion, c’est cette sensation de présence intense tout en étant transporté ailleurs. » (F. Lilien)
Vous vous penchez aujourd’hui sur un nouveau concept d’immersion et de sensibilisation. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Tout à fait ! C‘est une expérience en plusieurs étapes. Elle commence par l’entrée dans d’une capsule immersive, d’environ neuf mètres de diamètre et que j’aime bien voir comme un centre éducatif, un centre d’actions. Y sera diffusé un documentaire immersif présentant notre planète, sa beauté, les enjeux mais aussi les solutions et initiatives qui existent près de chez soi. À la sortie, l’expérience se prolonge grâce à une application numérique dédiée présentant l’éventail des solutions concrètes à disposition. Le public est accompagné dans sa démarche active et chaque geste se voit récompensé. Mon ambition est que les spectateurs ressortent de cette expérience en se sentant acteurs de cette Terre qu’ils habitent. Je souhaite être fédérateur, montrer dans cette capsule comment faire partie de la solution.
Pensez-vous qu’il soit possible de transformer ainsi les émotions en actions concrètes ?
Mon objectif, c'est de rassembler, de dire « on y va ensemble ! ». Il faut montrer aux gens que c'est possible en changeant ses habitudes et qu’il y aurait beaucoup de bénéfices si chacun contribuait un peu à sa manière. Je comprends l'état d'âme de beaucoup de jeunes aujourd’hui. C'est difficile. On leur vole leur jeunesse, on leur met une responsabilité énorme. Le message qu’ils entendent aujourd'hui, c'est qu’il faut sacrifier, abandonner, renoncer. Alors ça fait peur évidemment. On pourrait au contraire adopter un discours bien plus positif qui valorise l’implication individuelle à sa juste mesure. C’est l’esprit de cette expérience immersive et de l’accompagnement qui s’ensuit à travers une application numérique motivante. Il s’agit d’offrir un outil à la jeunesse, un courant positif. Il faut présenter les solutions existantes et un devenir atteignable. L’idée, c’est de créer un instrument pour le plus grand nombre parce qu’il faut que l’on passe à la vitesse supérieure. Je suis un rassembleur.
Où pourrons-nous voir ce concept installé pour la première fois ?
Au Luxembourg, je l’espère !
Je bénéficie du fort soutien du réseau IMS qui a tout de suite cru en mon idée et en est un grand promoteur. Nous avons ensemble présenté ce projet à plusieurs acteurs de la place qui ont marqué leur intérêt et les discussions sont en cours. J’en profite pour faire un appel à participation, car à ce stade, les choses ne sont pas encore arrêtées et tous les soutiens publics comme privés sont bienvenus.
Il faut le rappeler, c’est un projet conséquent qui demande un certain temps pour être réalisé car on ne parle pas ici d’une simple exposition mais d’un projet évolutif qui rassemblera de nombreuses parties prenantes autour de lui. Ce sera un véritable lieu de ralliement, un lieu où tout le monde pourra trouver la motivation à s’engager durablement.
Nouveau dispositif d'immersion conçu par l'artiste.
Frédéric Lilien
À l'âge de 23 ans, Frederic Lilien quitte son pays natal, la Belgique, et s'installe à New York où il lance une société de production cinématographique. Son premier film sur la nature, "Pale Male", a remporté 15 prix internationaux et a été diffusé dans plus de 75 pays. Son travail figure parmi les documentaires de HBO, Canal Plus, Turner Broadcasting et PBS. Sa marque de fabrique est la réalisation de films immersifs. Pionnier du cinéma en réalité virtuelle, Frédéric Lilien a développé une expertise unique dans la réalisation d'expériences à 360° portant sur notre monde naturel et notre patrimoine culturel. Il a collaboré avec des chaînes comme National Geographic où il a capturé des images inédites de notre planète sauvage, mais aussi avec des institutions pour la réalisation de projets de valorisation du patrimoine local. En capturant images et sons à 360°, il cherche aujourd’hui à créer des expériences totalement immersives, avec un sens de proximité et d’émerveillement suffisamment fort pour donner envie d’agir.