Tribune de Gwenaël Berthélemé-Saudreau
Demandez à un employeur ce qu’il pense du handicap en entreprise. Il y a fort à parier que l’intention soit positive. Les entreprises sont nombreuses aujourd’hui à engager des politiques en faveur de la diversité. Elles sont convaincues, à juste titre, du bien-fondé de ces démarches, tant sur la valeur ajoutée pour le collectif de travail que sur les leviers qu’elles peuvent constituer dans leur recherche de performance. Cependant à y regarder de plus près, les organisations peinent encore à donner une réalité à ce discours consensuel.
Questionner l’engagement sociétal réel de l’entreprise
Si l’engagement est parfois relayé au plus haut niveau de l’entreprise, le sujet du handicap est très largement porté dans l’entreprise par des équipes en charge des ressources humaines. Elles organisent de façon ad hoc une réponse à des besoins particuliers. C’est dans cet écart entre la pratique et les intentions que s’observe le niveau de maturité des entreprises sur ce sujet. Dans l’observation des entreprises qui choisissent d’engager des actions en faveur du handicap se distinguent les pratiques internes et externes.
En interne, de nombreuses organisations proposent des sensibilisations, formations, et autres dispositifs de communication pour accompagner leurs salariés dans des démarches d’intégration ou de maintien en emploi de personnes en situation de handicap. Si des moyens sont mobilisés, les entreprises perçoivent qu’une marge de progrès importante subsiste pour gagner en efficacité.
En externe, quand l’entreprise se tourne vers son client ou son fournisseur, les initiatives sont plus rares. Il n’est pas évident pour l’acteur économique de penser son business model enrichi de son engagement en faveur du handicap. Pourtant les personnes en situation de handicap peuvent dans leurs besoins et attentes être des cibles de développement de marché pertinentes. En effet, elles partagent des besoins avec d’autres catégories de population, comme les seniors par exemple. Les considérer c’est donc porter une attention particulière aux caractéristiques des produits et services distribués, c’est mesurer les limites d’une offre qui peut évoluer, ou encore segmenter autrement des marchés encore standardisés. A l’externe toujours, aujourd’hui, les accords passés avec les fournisseurs s’enrichissent de nouvelles exigences en matière de diversité, handicap compris. Elles sont perçues comme des « garanties » de respectabilité mais peuvent aussi donner du sens à des partenariats en lien avec l’activité économique de l’entreprise.
Rechercher la cohérence
L’énergie et les budgets consacrés à développer l’affectio societatis de l’entreprise ne peuvent dans le contexte actuel se dégager du besoin de cohérence entre les discours d’engagement véhiculés par l’entreprise et le ressenti de ses parties prenantes, internes et externes. La cohérence de l’engagement de l’entreprise s’apprécie sur ces 4 axes précédemment évoqués : le discours institutionnel de l’entreprise, l’organisation qui assure sa mise en œuvre dans les pratiques, et l’équilibre entre les initiatives à la fois internes et externes. Le handicap d’un salarié est une caractéristique décorrélée de ses compétences, le dire est une chose, le faire vivre en est une autre. Par exemple dans une entreprise de conseil, oser mettre au contact du client ses consultants professionnellement compétents et en situation de handicap, c’est entretenir la cohérence d’une politique handicap.
Dépasser les stéréotypes et sensibiliser au handicap dans l’entreprise
Une sensibilisation en interne au handicap nécessite que des temps d’appropriation soient pensés en amont pour engager ces actions dans un mouvement durable. Il faut faire passer les équipes de la résistance à l’engagement. Trois phases peuvent se succéder : la préparation, l’acceptation et l’engagement. À chaque phase correspond des objectifs et des outils à déployer. Les actions menées permettent d’engager progressivement les collaborateurs dans un mouvement inévitablement itératif, variable selon le temps, la maturité et l’aptitude au changement des populations ciblées.
L’objectif de la phase de préparation est d’amener les collaborateurs à un seuil de disponibilité. Un temps de prise de contact avec le sujet abordé précède un apport de connaissance sur le handicap. Les outils privilégiés sont de type journaux internes, brochures, communiqués web, etc. qui permettent de diffuser, de publier, de communiquer. Le collaborateur commence par entendre parler de quelque chose puis sait de quoi il s’agit. Peut être travaillée ensuite une phase d’acceptation. Faire avancer la compréhension que les collaborateurs peuvent avoir un handicap et ainsi faire évoluer leur perception du sujet et de ses enjeux. Afin d’interpeller et de débattre, ce sont des dispositifs de type conférences, réunions d’information, évènements internes, films ou pièces de théâtre qui peuvent être montés. Les salariés mesurent les conséquences pour eux de ces démarches en faveur du handicap, et l’intérêt de s’y engager. La phase d’engagement peut enfin être abordée par la mise en situation des populations ciblées, en participant à des évènements externes, jeux de rôles et animations. Ils sont amenés à adopter les postures de l’entreprise et les pratiques suggérées. Celles-ci peuvent ensuite être institutionnalisées. Les collaborateurs s’approprient ces nouvelles pratiques, qui les dépassent.
Une sensibilisation peut connaître des temps d’échecs. Quand les dispositifs font peur, ou éloignent, la sensibilisation est inefficace. Quand elle n’est pas suivie dans la pratique de l’entreprise elle est peu utile voire inutile. Enfin elle peut être même risquée si elle ne dit pas la vérité ou si elle utilise la langue de bois. En revanche une sensibilisation réussie permet aux collaborateurs de comprendre, d’adhérer et d’agir. Elle créé alors les conditions de la transformation de l’entreprise responsable.
Les stéréotypes véhiculés autour du handicap depuis de nombreuses années sont tenaces et les entreprises sont encore jeunes pour s’affirmer acteur de l’intégration du handicap dans le monde économique. Cependant il ne pourra pas y avoir d’emploi de salariés handicapés sans employeur. L’entreprise gagne en expertise et devient chaque année un peu plus efficace et assurée pour faire progresser le sujet et les pratiques, en accord avec ses propres contraintes.
Gwenaël Berthélemé-Saudreau
travaille sur les modèles de la RSE depuis 2001 et collabore avec IMS Luxembourg sur ces sujets. Après avoir dirigé et animé l’Agence et le Club de dirigeants Entreprises & Handicap pendant 8 ans, elle conseille aujourd’hui les organisations sur leurs modèles de développement RH en lien avec les conditions de travail (RPS, absentéisme, articulation vie pro/vie perso, et qualité de vie au travail) et la diversité (seniors, handicap, genre).
À lire aussi dans le dossier « Le handicap en entreprise » :