Sustainability MAG : Alors que les sujets des migrations et du changement climatique sont régulièrement thématisés, comment comprendre le lien entre ces deux phénomènes_?
Daria Mokhnacheva : Aujourd’hui, les liens entre les problématiques environnementales et les dynamiques migratoires sont beaucoup mieux compris grâce à une expansion de la recherche sur ce sujet, à son tour nourrie par l’intérêt politique croissant pour ces questions, tant au niveau local qu’international. Nous savons que les catastrophes soudaines (tempêtes, inondations, ou phénomènes non climatiques tels que les tremblements de terre) sont l’une des causes majeures des déplacements forcés de populations. Elles provoquent en moyenne 26,4 millions de déplacements nouveaux par an selon l’Observatoire des situations de déplacement interne du Conseil norvégien pour les réfugiés (Internal Displacement Monitoring Centre, IDMC), soit plus de déplacements que ceux causés par les violences et conflits.
Par ailleurs, on estime qu’un nombre encore plus élevé de personnes migrent en réponse à des phénomènes de dégradation lente de l’environnement (désertification, déforestation, montée du niveau de la mer). Les effets du changement climatique et l’évolution démographique vont aggraver ces risques, entraînant dans certains cas davantage de déplacements forcés, ou dans d’autres cas, au contraire, une précarisation accrue pour les populations incapables de quitter les zones à risques, et se retrouvant piégées dans des situations de haute vulnérabilité. Il faut donc comprendre la migration dans le contexte des changements environnementaux non pas uniquement comme un facteur de risque, mais également comme une potentielle solution positive qui pourrait permettre à certaines populations particulièrement vulnérables d’accéder à des conditions de vie plus sûres et de diversifier leurs moyens de subsistance. De nombreuses études démontrent l’effet positif de la migration sur l’adaptation au changement climatique et au développement durable, notamment à travers les contributions des migrants au développement dans leurs pays d’origine. C’est cette vision positive de la migration, comme stratégie individuelle ou collective d’adaptation et de réduction des risques de catastrophes que l’OIM prône à travers ses activités sur le terrain, et son travail de soutien aux politiques et de dialogue interétatique.
La migration est un phénomène multicausal. Pourriez-vous nous en dire davantage ?
La migration est un phénomène très contextuel. Elle est le plus souvent le résultat de l’interaction de plusieurs forces (économiques, politiques, sociales, démographiques, environnementales) agissant à des niveaux différents (sociétal, communautaire, individuel). Il est rare qu’un facteur environnemental seul soit l’unique cause de la décision de migrer, hormis les cas de catastrophes soudaines provoquant des déplacements forcés subits. Dans la plupart des cas, le stress environnemental vient s’ajouter à, ou influencer, d’autres facteurs amenant à la migration, tels que la disponibilité d’emplois et de revenus, la sécurité alimentaire, ou encore les conflits liés aux ressources. Enfin, on oublie souvent le rôle du choix, des capacités et des considérations individuelles dans la décision de migrer, qui sont en effet centraux à toute migration. C’est précisément cette multicausalité que l’« Atlas des migrations environnementales » vise à mettre en avant, afin de démontrer que la gestion des migrations environnementales nécessite des approches transversales adaptées au contexte, à la nature du mouvement, et aux besoins des populations concernées.
Les déplacements se font davantage à l’intérieur des pays plutôt qu’à l’international. Comment les pays font-ils face à ces mouvements ?
On estime que la plupart des déplacements forcés à la suite de catastrophes se font à l’intérieur des pays, bien que certains cas de déplacements à travers les frontières ont également été identifiés, et font de plus en plus l’objet de recherche et de dialogues politiques, notamment dans le cadre de l’Initiative Nansen et de la Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes. En cas de catastrophes, chaque pays dispose de son propre dispositif de gestion des crises et de situations d’urgence étatique. Les États peuvent également demander le soutien d’acteurs humanitaires internationaux. Depuis 1992, le Comité permanent inter-organisations coordonne les interventions humanitaires des agences de l’ONU et de la Fédération internationale de la Croix-Rouge, qui portent secours aux personnes affectées ou déplacées. Ce type d’interventions humanitaires constitue ainsi une part importante des activités de l’OIM sur le terrain, responsable avec le HCR (Agence des Nations Unies pour les réfugiés) de la gestion des camps au sein de ce groupe de coordination inter-agences.
De plus en plus de pays intègrent des dispositions dans leur législation nationale pour la protection des déplacés internes en cas de catastrophes. Certains mettent également en place des mesures offrant la protection aux ressortissants étrangers. L’introduction de ces mesures dans les politiques nationales et leur application pratique restent cependant inégales et souvent insuffisantes. Aussi, les mesures existantes prennent rarement en compte la globalité et la complexité du phénomène migratoire et de ses implications (sociales, environnementales, urbaines, de développement). Il est donc nécessaire de continuer les efforts de plaidoyer et de dialogue au niveau international, régional et national afin de promouvoir le développement de politiques et de cadres normatifs plus complets et plus adaptés aux besoins des personnes déplacées en cas de catastrophes.
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Base de données sur les déplacements par catastrophe de IDMC
Daria Mokhnacheva
est chargée de programmes dans la division « Migration, Environnement et Changement Climatique » à l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) et responsable de la mise en œuvre d’activités dans le cadre du programme de travail de la Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes. Spécialiste des questions de l’impact des catastrophes et des changements environnementaux sur les sociétés et le développement, elle est co-auteur de l’Atlas des migrations environnementales.
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