Source : Grok3

L’âgisme se manifeste de multiples façons dans le domaine numérique.  Il apparaît clairement que les préjugés à l’encontre des seniors dans la conception  et l’usage des technologies continuent de creuser la fracture numérique.



Les idées reçues selon lesquelles les personnes d’un certain âge seraient intrinsèquement incapables de s’adapter aux nouvelles technologies influencent profondément la manière dont ces outils sont conçus. Trop souvent, les interfaces et les applications sont pensées sans tenir compte des besoins spécifiques d’un public plus senior. Cela conduit à des choix de design qui minimisent l’accessibilité, en supposant à tort que ces personnes n’auront jamais l’envie ou la capacité de s’en servir efficacement. Cette approche renforce l’idée que l’innovation se doit d’être exclusivement réservée aux plus jeunes, laissant de côté une frange importante de la population.

La fracture numérique : un enjeu d’équité et d’autonomie

L’accès aux technologies ne se répartit pas de manière équitable entre les générations et, au sein de la population senior, de nombreuses disparités existent, entre des profils hyperconnectés et d’autres plus isolés. Certains seniors, en effet, font face à des obstacles d’ordre technique, physique ou psychologique qui entravent leur utilisation du numérique. La complexité des outils, l’absence d’un support adapté ou encore le manque de confiance dans l’utilisation des nouvelles technologies contribuent à creuser ce fossé. Dans plusieurs contextes, il a été observé que les seniors restent en marge, non pas par manque d’intérêt, mais en raison d’un environnement numérique qui ne leur est pas toujours accessible. Cette exclusion a des répercussions concrètes sur leur quotidien : difficulté à accéder à des services administratifs en ligne, isolement social renforcé ou encore perte d’autonomie. Également, un manque d’accessibilité numérique peut engendrer une plus grande dépendance aux services sociaux, des coûts supplémentaires en santé publique ou encore priver les entreprises d’un marché potentiel. Dans une ère où le numérique devient indispensable, ne pas répondre aux besoins de cette population, c’est risquer d’exacerber des inégalités déjà existantes.

Des seniors mis à l’écart à l’heure de l’IA

Si l’intelligence artificielle est souvent perçue comme un outil objectif, elle reproduit en réalité les biais présents dans les données sur lesquelles elle est entraînée. Parmi ces biais, ceux liés à l’âge sont particulièrement marqués. Les algorithmes génératifs, qu’ils produisent du texte ou des images, ont tendance à associer les seniors à des représentations stéréotypées qui ne reflètent qu’une partie de la réalité.

Des tests réalisés avec Grok3 illustrent bien cette tendance. Lorsqu’il lui est demandé de générer l’image d’une « personne senior », l’IA propose un homme très âgé, asiatique, dans un décor bucolique, associant ainsi l’avancée en âge à la retraite et à la contemplation.

Source : Grok3

En revanche, en précisant « senior au travail », l’image générée correspond à un homme blanc, en chemise et lunettes, assis dans un bureau, incarnant la figure traditionnelle peu dynamique du cadre en fin de carrière.

Source : Grok3

Ces résultats révèlent une vision réductrice des rôles des seniors dans la société, les cantonnant soit à une période de repos et de retrait, soit à une fonction peu dynamique en entreprise.

Ces biais, loin d’être anodins, influencent la perception collective du vieillissement et peuvent avoir des répercussions concrètes, notamment dans le monde du travail. Si ces représentations stéréotypées sont intégrées dans des outils d’aide au recrutement ou dans des campagnes de communication, elles risquent de renforcer les discriminations existantes et de limiter les opportunités professionnelles des travailleurs âgés.

Un exemple marquant de l’exclusion des seniors au niveau du recrutement est celui de l’entreprise iTutorGroup, spécialisée dans les cours d’anglais en ligne. Elle a été condamnée à verser 365 000 dollars pour avoir programmé son logiciel de recrutement afin d’exclure automatiquement les candidatures de femmes de plus de 55 ans et d’hommes de plus de 60 ans. Plus de 200 personnes qualifiées ont ainsi été écartées uniquement en raison de leur âge, sans qu’aucune évaluation de leurs compétences n’ait eu lieu. Cette affaire, jugée par la Commission Américaine pour l’Égalité des Chances dans l’Emploi (EEOC), illustre les conséquences concrètes de stéréotypes intégrés dans les outils numériques : lorsqu’ils ne sont pas conçus avec vigilance, ces systèmes peuvent reproduire voire amplifier les discriminations existantes, en particulier envers les travailleurs âgés. Ainsi, une prise de conscience et une diversification des jeux de données utilisés par ces algorithmes apparaissent essentielles pour éviter que l’IA ne devienne un facteur supplémentaire d’exclusion.

De plus, les personnes d’un certain âge peuvent être particulièrement vulnérables aux arnaques en ligne, notamment celles impliquant des deepfakes, en partie à cause d’une moindre familiarité avec les algorithmes et leurs mécanismes. Le manque de sensibilisation à la façon dont les contenus numériques sont générés et manipulés peut les exposer davantage aux tentatives de fraude sophistiquées, comme les vidéos truquées imitant des proches ou des figures d’autorité. Cette vulnérabilité est illustrée par une étude qui mesure le niveau de conscience de personnes de plus de 50 ans quant à la présence d’algorithmes lorsqu’elles utilisent des outils digitaux (voir illustration page suivante). L’intelligence artificielle, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, s’avère ainsi un amplificateur de la fracture de la société autour du critère de l’âge.

Source : Data4Good, 2023

Niveau de conscience de la présence d'algorithmes selon l'âge. L'échantillon de l'étude provient de la population norvégienne.

Vers une nouvelle vision : repenser le numérique pour toutes et tous

Pour inverser cette tendance, il est urgent de repenser la conception des technologies et de développer des initiatives inclusives. Plusieurs entreprises et institutions ont déjà montré l’exemple en proposant des formations adaptées et en créant des interfaces spécifiques pour les seniors. L’idée est de concevoir des outils qui ne soient pas uniquement axés sur la gestion de la santé ou de la dépendance, mais qui valorisent également les loisirs, le travail, la communication et l’autonomie. De telles approches permettent non seulement de réduire la fracture numérique, mais aussi de lutter contre les stéréotypes en démontrant que les seniors peuvent être des utilisateurs actifs et engagés de ces technologies.

La plurigénérationnalité au sein des organisations est également essentielle dans cette transformation. En intégrant des équipes diversifiées dans la phase de conception, en tenant compte des retours des utilisateurs plus âgés et en valorisant leurs compétences, il est possible de créer un environnement numérique plus équitable. Cette démarche ne bénéficie pas seulement aux seniors, mais renforce l’ensemble de la société en favorisant l’innovation collaborative. En offrant des solutions adaptées, les entreprises peuvent élargir leur marché tout en répondant à un enjeu éthique majeur. Or, nous sommes loin du compte puisque, selon une étude de Data for Good, les salariés de la tech témoignent ressentir le poids de l’âgisme dès 29 ans !

Loin d’être un frein, l’âge peut devenir un levier d’innovation et d’inclusion dans le numérique. Alors que l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies façonnent notre quotidien, il est essentiel d’y intégrer pleinement toutes les générations. L’idée selon laquelle les travailleurs âgés seraient moins à l’aise avec les nouvelles technologies reste tenace dans l’imaginaire collectif. 

Pourtant, cette perception est de plus en plus remise en question. Une étude menée par Generation en 2023 montre que ces stéréotypes ne reflètent pas la réalité : 89 % des recruteurs interrogés estiment que les travailleurs expérimentés qu’ils emploient performent aussi bien, voire mieux, que leurs collègues plus jeunes. Cela inclut leur capacité à s’adapter à des outils technologiques, y compris l’intelligence artificielle. Ces résultats soulignent l’importance de ne pas sous-estimer l’agilité des seniors face aux changements, et rappellent que leur expérience et leur sens stratégique peuvent représenter un atout précieux dans un environnement de travail de plus en plus numérisé. Globalement, il est important de déconstruire le stéréotype selon lequel les seniors seraient moins performants en environnement technologique avancé.

Source : Generation & OECD, 2023

The work performance of mid-career employees is generally considered to be better than that of their younger colleagues.

En tout état de cause, pour garantir que l’IA bénéficie à tous et ne marginalise pas les travailleurs plus âgés, il convient d’adopter une approche d’age-proofing. Cela signifie adapter les outils et les pratiques afin qu’ils restent inclusifs et accessibles à toutes les générations. Pour cela, plusieurs actions sont nécessaires. Tout d’abord, il faut concevoir des technologies faciles à utiliser en impliquant des employés d’âges variés lors du développement des outils d’IA. Ensuite, il est essentiel de surveiller et de corriger les biais algorithmiques, qui pourraient écarter les travailleurs plus âgés lors du recrutement ou des promotions. Les entreprises peuvent aussi proposer des aménagements de travail plus flexibles, comme le télétravail ou des horaires ajustés, afin de répondre aux besoins des différentes générations. Elles doivent également adapter les missions et rôles pour mieux valoriser l’expérience et les compétences des travailleurs expérimentés. Enfin, la formation continue est essentielle pour permettre aux employés plus âgés d’apprendre à utiliser l’IA sans crainte. Grâce à ces mesures, l’IA devient un outil qui profite à tous, en valorisant la diversité des âges et en renforçant la collaboration en entreprise. Des initiatives émergent déjà pour réduire les biais liés à l’âge, que ce soit dans l’emploi, la santé ou la conception des interfaces numériques. Par exemple, certaines entreprises comme IBM et Orange proposent des programmes de formation pour aider les seniors à s’adapter aux évolutions numériques et à prolonger leur carrière quand des géants de la tech comme Google et Apple intègrent des fonctionnalités d’accessibilité avancées.

Les nomades seniors

L’essor des nomades seniors, ces personnes qui embrassent un mode de vie mobile et connecté, illustre bien que la relation entre âge et technologie est en pleine transformation. De plus en plus de seniors s’approprient le numérique non seulement pour rester en contact avec leurs proches, mais aussi pour travailler, voyager et s’engager dans de nouveaux projets. Autrefois perçu comme un mode de vie réservé aux jeunes aventuriers, le nomadisme numérique s'ouvre désormais à d’autres générations. Selon Statista, près de 35 % des nomades numériques dans le monde sont âgés de 40 à 59 ans. Ce phénomène remet en question les stéréotypes traditionnels, montrant qu'à tout âge, il est possible d'embrasser un mode de vie indépendant tout en continuant à travailler.

Cette tendance croissante s'explique par plusieurs facteurs : un désir accru d'équilibre entre vie professionnelle et personnelle, l'indépendance géographique, et la volonté de découvrir de nouvelles cultures. De plus en plus de professionnels de cette tranche d’âge se tournent vers un travail plus agile et autonome, souvent loin des environnements de bureau traditionnels. Des programmes comme ceux offerts par des sites spécialisés dans les nomades numériques ou encore des visas dédiés à des destinations comme Aruba permettent à ces travailleurs de voyager et de travailler simultanément, en éliminant certains des obstacles administratifs. À l'avenir, il est fort probable que ce groupe de travailleurs continue de croître, avec des opportunités d’innovation et de collaboration intergénérationnelles, enrichissant ainsi la culture nomade numérique.

Ainsi, les seniors deviennent non seulement des consommateurs actifs de technologies, mais aussi des acteurs influents dans l'évolution du numérique. Cette dynamique témoigne d’un changement de paradigme : demain, les générations vieillissantes seront aussi celles qui auront grandi avec le numérique et qui exigeront des technologies plus inclusives et adaptées à leurs besoins.