Crédit : Aurélien Mayer



Un vent nouveau souffle sur les législations en matière de droits humains et d’environnement dans le monde des entreprises, et ce aussi au Luxembourg. Des changements positifs qu’il est important de comprendre et d’anticiper pour assurer la protection sociale et les droits de toutes les personnes impliquées dans la chaîne de valeur des organisations. Aujourd’hui, l’engagement est à la transparence, au reporting et aux échanges de bonnes pratiques. 



Un sujet d’actualité  

Le traitement des Ouïghours en Chine, les conditions d’extraction de diamants au Zimbabwe ou encore l’esclavage moderne des travailleurs immigrés en Angleterre ont, et ne cesseront de choquer. Ces terribles évènements ont mis sur le devant de la scène médiatique la non-application des principes des droits humains dans l'industrie.  

Ces dix dernières années, la thématique a gagné toujours plus d’importance sur la scène politique. Depuis 2011, année de l'adoption à l’unanimité des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme, de nombreuses initiatives législatives ont vu le jour dans différents pays. Ce texte est clé. En effet, il érige les fondements des normes, des pratiques et de la responsabilité partagée en matière de droits de l’Homme. Il affirme que l’État et les entreprises ont un rôle et une responsabilité en la matière. Il est synonyme d’un changement de paradigme. Après l’Angleterre, l’Australie, et la Norvège entre autres, d’autres pays s’intéressent au sujet et sont prêts à mettre en place de nouvelles législations pour améliorer les droits humains, particulièrement dans le monde de l’entreprise.  

Cependant, l’intérêt grandissant pour les droits de tous les êtres humains est remis en question par le contexte actuel, par les mises en demeure et les assignations de grands groupes, par une économie de plus en plus mondialisée. En effet, comme l’affirme Jean-Louis Zeien, co-coordinateur de l’Initiative pour un devoir de vigilance au Luxembourg : « Plus une économie est globalisée, plus elle est soumise au risque que certains secteurs économiques courent d’être impliqués au niveau de violations de droits humains dans leur chaîne de valeur ».  

Face à ce défi, d’autres lois, plus récentes ou à venir, tentent d’aller plus loin en ce qui concerne le travail. En effet, l’implémentation d’obligations juridiques de vigilance est à « l’ordre du jour ». La loi française sur le devoir de vigilance (2017), la loi néerlandaise sur la due diligence en matière de travail des enfants (2019), le Contre-projet législatif suisse à l’initiative pour des entreprises responsables (2020), la loi S-216, promulguant la loi sur l'esclavage moderne et modifiant le tarif douanier au Canada (2020), la loi allemande sur l'obligation de due diligence pour les chaînes d'approvisionnement (2021) sont des exemples d’initiatives mises en place en matière de droits humains. Ces démarches sont accompagnées par des obligations de reporting et de transparence, qui, si elles ne sont pas respectées engendrent des sanctions juridiques.  

Annoncée en avril 2020 et effective pour 2026, une législation européenne élaborée par le Parlement européen et la Commission Européenne devrait également voir le jour en matière de droits humains et de respect de l’environnement pour les entreprises. Cette directive devrait avoir un champ d’action élargi à toute la chaîne d'approvisionnement et anticiperait peut-être un contrôle effectué par des autorités indépendantes. Le texte manifesterait également une volonté d’inclure toute entreprise ayant une activité commerciale sur le territoire de l’Union, et non pas que les entreprises européennes.  

Ainsi, cette pression juridique croissante oblige les entreprises à identifier les risques de leurs activités en matière de droits humains, de les cartographier en prenant en compte les parties prenantes de l’entreprise, de les comprendre, de mesurer leurs impacts, de les gérer, de les évaluer, d’identifier des pistes d’améliorations, et de partager leurs démarches.  

Aujourd’hui, il est important de comprendre ce qu’impliquent ces obligations et ce qui doit donc être pris en considération par les entreprises pour respecter ces droits humains : la santé, la sécurité, la protection, le salaire, les conditions de travail, la couverture médicale... Il est essentiel de souligner que ces initiatives ne freinent en rien, ni la productivité, ni la compétitivité de l’entreprise, mais qu’il s’agit, bien au contraire, d’une plus-value. Ces engagements viennent s’inscrire dans une tendance de plus en plus forte : ils répondent notamment à une préoccupation croissante des citoyens quant à la nature éthique de leur consommation.  

Crédit : Aurélien Mayer

Un mouvement grandissant au Luxembourg  

Le Grand-Duché, catalyseur d’initiatives dans de nombreux domaines tels que le développement durable, et occupant une place importante au niveau mondial notamment dans l’industrie des fonds d’investissements, entend prendre ses responsabilités et mettre les droits humains au centre de ses préoccupations. La tendance à la réglementation grandit et les entreprises prennent leurs responsabilités.  

L’affirmation de l’engagement de l’État luxembourgeois en faveur des droits humains et du devoir de vigilance se manifeste notamment par la place qu’occupe le pays au niveau du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies depuis octobre dernier. Cette récente position implique de poursuivre ses déclarations, de se montrer cohérent par rapport à ses objectifs, afin de toujours augmenter son attractivité, et d’avancer au-delà d’une Responsabilité Sociale des Entreprises entendue au sens strict. Ces objectifs font également partie du plan d’action national 2019-2021. Le sixième et dernier engagement étant d’établir une plateforme d’appui à la société civile et aux défenseurs des droits humains. De manière concrète, l’État s’est engagé à réaliser quatre mesures. La première consiste en la mise en place d’une procédure d’accueil de défenseurs des droits humains pour des périodes de repos de six à douze mois, notamment via la plateforme ProtectDefenders.eu. Deuxièmement, l’État a promis de porter appui aux activités du Rapporteur spécial du Conseil des Droits de l’Homme sur la situation des défenseurs des droits humains, et aux autres activités et mandats appuyant la société civile du dispositif onusien et d’autres enceintes multilatérales. Aussi, il s’est engagé à coopérer pour le renforcement des capacités des réseaux et organisations de défense des droits humains dans les pays en développement, notamment via la coopération luxembourgeoise au développement, ainsi qu’en portant une attention particulière à la dimension du genre et à la protection des droits des femmes et des filles. Son dernier objectif vise à aider et réaliser des consultations avec la plateforme nationale de la société civile pour l’appui aux défenseurs des droits humains, ainsi qu’à informer et procéder à une sensibilisation publique sur la question.  

Mais quid d’une loi nationale ? À l’heure actuelle, 17 organisations de la société civile se sont déjà rassemblées pour promouvoir et adopter une telle législation : « l’initiative pour un devoir de vigilance au Luxembourg ». Jean-Louis Zeiein  déclare à ce propos : « Introduire une législation d’un devoir de vigilance au Luxembourg, c’est précisément mettre le respect des droits humains au centre des activités économiques. Ainsi, le respect des droits humains fera partie de l’ADN des entreprises. » Cette démarche appelle à la mise en place d’une législation instaurant un tel devoir pour les entreprises domiciliées au Luxembourg. La proposition vise à intégrer le respect des droits humains, des normes de travail ainsi que des dispositions et accords environnementaux internationaux dans l’ensemble de la chaîne de valeur des firmes. L’importance de considérer l'intégralité de cette chaîne est d’autant plus primordiale qu’au Luxembourg, la majorité des produits consommés sont issus de l’importation. Il est important que les entreprises puissent se rendre compte des impacts qu’elles engendrent sur d’autres territoires, parfois lointains. Ainsi, une telle législation obligerait les entreprises à identifier les risques effectifs et potentiels en matière de droits humains et d’environnement et prendre les mesures pour y remédier. Enfin, elles devraient exposer publiquement leur évaluation et les mesures adoptées. De grandes entreprises telles que Compass ou encore le Pall Center ont déjà rejoint l’initiative.  

Crédit : Aurélien Mayer

Comment se préparer ? 

Les entreprises sont de plus en plus invitées à rendre des comptes et à communiquer sur les mesures qu’elles mettent en place en faveur des droits humains. Ce mouvement s’intensifie, d’autant plus que selon une étude récente du Ministère des Affaires étrangères, 92 % de la population et 47 entreprises luxembourgeoises seraient favorables à l’introduction d’une loi contraignante en matière de devoir de vigilance des entreprises au Grand-Duché. L’étude rappelle également qu’aucune preuve n’est établie démontrant que l’adoption de ce type de loi engendrerait une migration des prestataires de services financiers vers un autre pays. Au contraire, le cas de la France montre un niveau record d’investissements directs venant de l’étranger après sa mise en place. 

Pour se préparer, les entreprises doivent prendre leurs responsabilités et anticiper les futurs changements. Comment ? Grâce à la sensibilisation, la formation, ainsi qu’en se montrant inspirantes. À l’heure actuelle, plus que les résultats, il importe de mettre en valeur les processus de transformation. Il est également clef de traduire ces enjeux en termes concrets, opérationnels et compréhensibles par l’ensemble des collaborateurs. Ces décisions apportent à l’organisation de multiples co-bénéfices qui peuvent être mis en valeur, à savoir renforcer une gestion délibérée des risques, offrir une meilleure perception de l’entreprise tant en interne qu’en externe, attirer et retenir davantage de talents, augmenter la productivité...  

Pour passer à l’acte, le Blue Print réalisé par CSR Europe établit un plan d’action concret. Le document clarifie le concept d'intégration des droits de l'Homme en le décomposant en six éléments facilement applicables à un environnement commercial : leadership transversal, partage des responsabilités, incitation, orientation et formation opérationnelles, communication bidirectionnelle, contrôle, analyse et intégration. Une définition de chacun des six éléments est fournie, suivie d'un aperçu des pratiques actuelles des entreprises en la matière et d'exemples de mesures et d'initiatives spécifiques mises en œuvre par les entreprises. Les six éléments sont ensuite appliqués aux fonctions Ressources humaines, Achats et Risques, en précisant comment chaque métier peut contribuer au processus global d'intégration des droits de l'Homme dans l'ensemble de l'entreprise.  

À titre d’exemple de bonne pratique, en Belgique, le partenariat Beyond Chocolate pour un chocolat durable, a été signé entre le secteur du chocolat, de la grande distribution, de la société civile, des investisseurs à impact social et des universités. L’ensemble des signataires s’y engagent à coopérer sur toute une série de défis liés au chocolat durable, comme la lutte contre le déboisement, contre le travail des enfants et la garantie d’un revenu permettant aux producteurs locaux de cacao de vivre décemment. Concrètement, l’ensemble du chocolat belge, produit ou commercialisé en Belgique, devra satisfaire pour fin 2025 au plus tard à une norme de certification pertinente ou être produit à partir de programmes de durabilité propres à l’entreprise. Pour cette même date, les partenaires devront aussi respecter intégralement les accords entre les pouvoirs publics et les acteurs privés passés dans le cadre de la Cocoa & Forests Initiative. L’enjeu principal est ici de mettre fin au déboisement dans les deux plus grands pays producteurs de cacao que sont le Ghana et la Côte d’Ivoire. Le déboisement résultant de la production de cacao destiné au secteur belge du chocolat doit au plus tard s’arrêter en 2030. D’ici là, l’ensemble des producteurs de cacao devront au minimum recevoir un revenu permettant de vivre décemment.  

Les changements à venir concernant les droits humains sont donc de véritables opportunités pour les entreprises. L’enjeu principal ne sera pas se contenter de cocher des cases pour respecter les lois, mais bien d’intégrer des pratiques vertueuses dans l’ADN même des entreprises, et ainsi créer un cercle vertueux. 

La finance également concernée  

Les mots de Charles Muller, Président de Finance and Human Rights asbl 

« En matière d’entreprises et droits de l’Homme, il est fait communément référence aux chaines d’approvisionnement (le t-shirt à un euro fabriqué dans des conditions douteuses au Bangladesh), ce qui pourrait inciter les entreprises du secteur financier à ne pas se sentir concernées. Or rien n’est moins vrai. Les cadres de référence réglementaires font référence à un devoir de vigilance sur l’ensemble des activités, ce qui implique les opérations de prêt, d’investissement ou simplement de tenue de relations contractuelles (par exemple un compte en banque). Et les principales initiatives volontaires, à commencer par les « Principles for Responsible Investment » abondent dans ce sens. 

En attendant un cadre législatif pour l’ensemble des entreprises, le plan d’action « Finance Durable » de l’Union européenne contient, à côté du sujet environnemental prédominant, toute une panoplie de mesures concentrées sur le « S » de ESG qui inclut les droits de l’Homme. 

Comme le démontre une étude récente pour LuxembourgforFinance réalisée par l’association Finance and Human Rights avec l’Université de Genève, de plus en plus de grandes banques et gestionnaires de fonds d’investissement se donnent une politique en matière de droits de l’Homme, convaincus qu’il ne s’agit pas seulement d’un « nice to have » mais d’une attente de plus en plus pressante de la part des clients, des actionnaires, des employés et de la société au sens large. Finance and Human Rights asbl se veut être un catalyseur de ces efforts. »   


La finance également concernée  

Les mots de Charles Muller, Président de Finance and Human Rights asbl 

« En matière d’entreprises et droits de l’Homme, il est fait communément référence aux chaines d’approvisionnement (le t-shirt à un euro fabriqué dans des conditions douteuses au Bangladesh), ce qui pourrait inciter les entreprises du secteur financier à ne pas se sentir concernées. Or rien n’est moins vrai. Les cadres de référence réglementaires font référence à un devoir de vigilance sur l’ensemble des activités, ce qui implique les opérations de prêt, d’investissement ou simplement de tenue de relations contractuelles (par exemple un compte en banque). Et les principales initiatives volontaires, à commencer par les « Principles for Responsible Investment » abondent dans ce sens. 

En attendant un cadre législatif pour l’ensemble des entreprises, le plan d’action « Finance Durable » de l’Union européenne contient, à côté du sujet environnemental prédominant, toute une panoplie de mesures concentrées sur le « S » de ESG qui inclut les droits de l’Homme. 

Comme le démontre une étude récente pour LuxembourgforFinance réalisée par l’association Finance and Human Rights avec l’Université de Genève, de plus en plus de grandes banques et gestionnaires de fonds d’investissement se donnent une politique en matière de droits de l’Homme, convaincus qu’il ne s’agit pas seulement d’un « nice to have » mais d’une attente de plus en plus pressante de la part des clients, des actionnaires, des employés et de la société au sens large. Finance and Human Rights asbl se veut être un catalyseur de ces efforts. »