Photo : Martijn Scheltema

Tribune de Martijn Scheltema


Actuellement, l’Union Européenne ainsi que plusieurs États Membres ont adopté ou envisagent la mise en place d’un devoir de vigilance obligatoire en matière de droits humains. Par conséquent, ce sujet relève de plus en plus d’une question de conformité à la loi que les entreprises ne peuvent plus négliger. Cet article a pour objectif d’expliquer en quoi les droits humains sont impactés par les agissements des entreprises, ce qu'implique le devoir de vigilance, et dans quelle mesure il permettra de résoudre certains problèmes liés aux droits humains tels que le travail des enfants, le trafic d’êtres humains, le travail forcé et les problèmes liés au droit d’occupation des terres. 



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 Les droits humains dans le monde des affaires 

L’idée que les entreprises ont un rôle à jouer dans la protection des droits humains ne coule pas de source. En effet, ce sujet est souvent perçu comme étant une obligation revenant aux États. Cependant, les activités des entreprises peuvent causer, contribuer ou être liées à des violations de ces droits. Par exemple, le fournisseur d’un détaillant peut avoir recours au travail d’enfants ou au travail forcé au sein de son unité de production. Une société minière peut également exploiter une carrière dans une zone dont les populations autochtones ont été déplacées de force sans qu’aucun consentement préalable libre et éclairé (Free Prior Informed Consent - FPIC) n’ai été reçu pour l’utilisation de leurs terres et pour lesquelles elles ne possèdent d’ailleurs bien souvent pas de titre légal. Il arrive assez souvent que des gouvernements ne puissent pas ou ne cherchent pas à protéger les droits humains, ni à résoudre de tels abus comme cela est indiqué dans le cadre international. Certains gouvernements peuvent même être impliqués dans des violations telles que des déplacements forcés de populations. Par conséquent, les entreprises doivent se suppléer aux gouvernements quand ces derniers n’assument pas cette responsabilité. C’est ce que l’on appelle parfois la « privatisation des droits humains ». 

Différents cadres internationaux dont le United Nations Guiding Principles on Business Human Rights (UNGPs) et OECD Guidelines for Multinational Enterprises, pour ne citer que les principaux, définissent ce qui est attendu des entreprises pour agir en faveur du respect des droits humains. L’UNGP inclut 3 piliers : une obligation des États de protéger les droits humains, une responsabilité des entreprises de les respecter et un devoir pour ces deux entités de fournir des solutions en cas d’abus. Pour ce faire, il est important que les entreprises mettent en place un processus de vigilance effectif pour vérifier que ces droits humains soient bien respectés. Contrairement à la due diligence dans sa forme traditionnelle, qui met l’accent sur le risque pris par une entreprise lors d’une fusion ou d’une acquisition d’une autre entreprise ou pour des banques lorsqu’elles étendent des crédits, le devoir de vigilance en droits humains regarde le risque sur les tiers affectés par les activités de l’entreprise. Dans le cadre posé par l’UNGP, la définition de ces activités est large et inclut toutes les opérations qui touchent les produits et services proposés, y compris celles de filiales impliquées dans la chaîne de valeur et de production en amont. Le concept de droit humains lui-même est défini de manière large. Ce dernier n’inclut pas seulement les droits habituellement évoqués tels que le droit à la vie, la prévention des traitements inhumains, la liberté d’expression et d’association, mais inclut également les Conventions phares issues de l’ILO (sur le travail des enfants ou le travail forcé par exemple) ainsi que les droits des populations indigènes. 

Le devoir de vigilance en matière de droits humains comprend 6 étapes :

Une fois cette vigilance mise en place, les étapes 1, 2 et 5 sont souvent mieux intégrées dans les activités de l’entreprise que les étapes 3, 4 et 6. La sixième étape est particulièrement délaissée. Cela est dû à la disparité dans les procédures et mécanismes locaux et globaux, un manque de coordination ou une difficulté d’accès, un manque de confiance des ayants-droits, des mécanismes inefficaces ou des difficultés d’application, et à des mécanismes souvent considérés et évalués indépendamment les uns des autres. D’ailleurs, les entreprises sont de plus en plus confrontées à des litiges concernant les droits humains. 

Vers un devoir de vigilance obligatoire 

L’Union européenne ainsi que plusieurs de ses membres ont annoncé ou mis en place un devoir de vigilance en matière de droits humains. De telles obligations ont été intégrées (au moins en partie) dans le règlement européen relatif aux minerais provenant de zones de conflit (concernant certains minerais en provenant de zones sujettes à des conflits), ainsi que dans certaines lois en France ou en Allemagne. La Commission européenne a quant à elle annoncé une directive pour obliger les grandes entreprises de tout secteur, ainsi que des plus petites dans des secteurs à risque, à un devoir de vigilance sur ce sujet. En outre, le Parlement européen a adopté une résolution incluant une proposition pour réguler cette norme. Nous pouvons donc nous attendre à ce que le devoir de vigilance en matière de droits humains devienne bientôt une obligation légale. Ainsi, les entreprises doivent s’y préparer. La législation devrait également créer un cadre où les règles du jeu sont équitables pour les entreprises. 

Cela dit, l'introduction d'un devoir de vigilance obligatoire en matière de droits humains n'implique pas nécessairement que la conduite des entreprises dans le domaine des droits de l'Homme change de manière significative. Par exemple, la législation sur le devoir de vigilance en matière de droits humains peut conduire à des exercices où l’on se contente de « cocher les cases » et à des charges administratives pour les entreprises sans grand changement important pour les personnes affectées. Ainsi, il est important qu’une surveillance publique incite à des changements importants dans le comportement des entreprises, encourage à une émulation positive, au lieu de se concentrer sur les sanctions. Enfin, il est clef qu’elle reconnaisse qu'une approche uniformisée ne fonctionne pas, étant donné que les questions de droits humains varient selon les secteurs, les pays et les défis propres à chaque droit tel que le travail des enfants ou le droit foncier. Pour cette raison, il a été proposé d’asseoir la surveillance publique sur les bonnes pratiques des entreprises. Cela stimule en effet le développement de telles approches, que ce soit par des entreprises spécifiques ou par des initiatives multipartites, et reconnaît les différentes perspectives qui peuvent être nécessaires selon les secteurs, les pays ou les défis en matière de droits humains. 

« Nous pouvons donc nous attendre à ce que le devoir de vigilance en matière de droits humains devienne bientôt une obligation légale. Ainsi, les entreprises doivent s’y préparer. »

Rôle du département développement durable et des services juridiques    

D'après ce qui précède, il est clair que les départements de développement durable et les conseillers juridiques d'entreprises doivent se préparer à la législation existante et à venir concernant le devoir de vigilance en matière de droits humains. Cela dit, quel est leur véritable rôle ? Le format de cet article empêche de répondre de manière détaillée, mais il m’est tout de même possible de faire trois observations.  

Tout d'abord, il convient d'analyser si les exigences législatives sont intégrées dans les pratiques des entreprises, telles que les contrats dans les chaînes d'approvisionnement. Par exemple, de nombreuses entreprises ont intégré des obligations contractuelles en matière de droits humains, mais celles-ci sont souvent inefficaces, en particulier associées avec d'autres dispositions contractuelles et pratiques d'achat qui visent à transférer le risque aux fournisseurs. Par conséquent, des clauses contractuelles types améliorées sont envisagées aux États-Unis et sont actuellement en cours d'élaboration pour l'Europe. Il peut s'agir de superviseurs publics ou le pouvoir judiciaire qui exigeront la mise en œuvre de telles approches contractuelles plus efficaces. 

Au-delà de cela, l'accès aux recours reste limité et des améliorations sont ici également nécessaires, car c’est un élément du devoir de vigilance en matière de droits humains. Il est important de mettre en œuvre une approche qui ne se focalise pas seulement sur l'efficacité des mécanismes individuels, mais qui se concentre aussi sur les « écosystèmes de recours » qui peuvent consister en plusieurs mécanismes alignés et qui offrent différents types de règlement des litiges, en commençant par des mécanismes et des enquêtes basés sur le dialogue et qui se dirigent vers des mécanismes contraignants si nécessaire. 

Enfin, les entreprises ainsi que les institutions financières et les investisseurs devraient mieux appréhender la question des droits humains dans leurs opérations, parmi lesquelles leurs chaînes d'approvisionnement ou de valeur. Actuellement, les activités des entreprises pour prévenir et lutter contre les violations des droits humains sont surveillées et les médias accordent une attention particulière aux abus des entreprises. Cependant, il s’agit de surveiller le risque chez les tierces parties. C’est pourquoi il est important d’observer le sujet de leurs points de vue et la mesure de l'impact sur les droits de l'Homme nécessite la prise en compte (améliorée) de telles perspectives. Cela implique par conséquent une adaptation des méthodes de mesure actuelles.

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Martijn Scheltema

est associé chez Pels Rijcken (un cabinet d'avocats basé à La Haye, aux Pays-Bas) et, au sein de son cabinet, président du groupe des droits humains en entreprise. Il est également professeur à l'Université Erasmus de Rotterdam sur ce sujet et président des mécanismes de résolution des litiges des accords internationaux néerlandais sur la conduite responsable des affaires dans les secteurs du textile et de la pierre naturelle.