Les faits sont têtus. Ils nous rappellent l’état toujours plus critique de notre planète, alertent sur les dangers croissants qui nous guettent, et nous commandent d’agir au plus vite. Face à cette injonction d’une logique implacable, nos comportements restent pourtant trop souvent inchangés. Pourquoi ? La neuroscience apporte une part de réponse en décryptant les nombreux biais cognitifs qui sont à l’œuvre dans notre traitement de l’information.
Notre tendance à adopter des comportements irrationnels a été mise au jour par les psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky dans les années 1970 qui, étudiant nos décisions individuelles économiques, ont introduit la notion de biais cognitifs. Leur constat : notre pensée rationnelle et logique peut être entravée par des « déviations » dans le traitement cognitif de l’information. Notre cerveau ne pouvant traiter toutes les informations de façon analytique, ces raccourcis, généralement inconscients, sont nécessaires mais bien souvent sources d’erreurs de jugement.
Depuis, les travaux de recherche sur ces mécanismes se sont multipliés, donnant lieu à l’identification d’un large éventail de biais (voir le codex des biais cognitifs page 58). Certains d’entre eux nous freinent tout particulièrement dans notre passage à l’action en matière de sauvegarde de l’environnement. Décryptage.
1. Le biais du présent
Nous avons tendance à privilégier l’instant présent au détriment d’une projection dans le futur lointain, autrement dit, le court terme sur le long terme. Ceci explique notre penchant pour la procrastination et nos difficultés à changer d’habitudes. Un obstacle important en matière de changement climatique où il faut savoir se projeter au-delà de son quotidien, sur des horizons plus lointains... même si ceux-ci se rapprochent dangereusement !
2. Le biais d'optimisme
C’est une croyance surprenante : chacun d’entre nous se juge en général moins exposé aux risques qu’autrui. Cet optimisme béat ne nous aide certes pas dans notre perception des dangers liés aux altérations de notre environnement.
3. Le biais de normalité
Les choses se dérouleront à l’avenir comme elles se sont classiquement produites dans le passé. Ce ronron de la normalité très rassurant nous conduit à sous-estimer ainsi l’avènement possible de catastrophes.
4. Le biais de statu quo
Laisser la situation en l’état, de peur que l’alternative soit source de problèmes. Cette aversion au changement nous maintient malheureusement dans des postures très risquées. Face à l’urgence de la situation environnementale, ce biais ralentit notre capacité à répondre efficacement, en nous poussant à justifier le système de fonctionnement en place.
5. Le biais de conformisme
Cette tendance à penser et agir comme les autres entrave notre capacité à être moteur et acteur du changement sur de nombreuses questions. À l’inverse, ce biais deviendra un allié de la cause environnementale lorsque la majorité des individus auront intégré l’action en faveur de notre planète dans leurs comportements.
6. Le biais de confirmation
Nous ne retenons souvent que les informations qui confortent ce que nous pensons. Cette tendance, identifiée à travers de nombreuses études, nous incite à valoriser les messages et les émetteurs qui vont dans notre sens. Ce phénomène explique la subsistance d’un discours de déni climatique malgré les preuves scientifiques qui s’accumulent. Il est particulièrement à l’œuvre dans le contexte des réseaux sociaux et mène à la polarisation des opinions.
7. L'effet Dunning-Kruger
De façon contre-intuitive, ce sont les moins compétents dans un domaine qui surestiment leur compétence, alors que les plus compétents ont tendance à sous-estimer la leur. Cette illusion de connaissance donne lieu à la prolifération d’avis tranchés par des non- experts qui sèment le doute sur des questions complexes telles que la biodiversité, l’économie circulaire ou encore les énergies renouvelables.
8. Le technosolutionnisme
La prévalence de ce biais est importante : c’est l'idée que tous les problèmes trouveront une solution grâce aux technologies actuelles ou futures. Une croyance qui reporte la responsabilité sur les chercheurs et exonère le citoyen lambda d’agir à sa mesure.
9. La dissonance cognitive
Notre cerveau nous joue parfois des tours en refusant de voir certaines réalités pour éviter de remettre en cause nos croyances ou pratiques solidement installées. La prise en compte d’informations contradictoires engendrerait sinon une dissonance, difficile à traiter.
10. L’effet spectateur ou dilution de la responsabilité
C’est l’analyse du meurtre de Kitty Genovese, assassinée devant de nombreux témoins, restés sans réagir, qui a permis d’identifier ce biais très surprenant. Il désigne un phénomène d’inhibition du comportement d’aide en situation d’urgence, lorsque d’autres témoins sont présents. On parle alors de dilution de la responsabilité car l’individu va chercher à évaluer la réponse de l’autre avant d’agir. Ceci va a minima différer son intervention ou même la bloquer. Cet attentisme est un fort facteur explicatif de l’absence de changement de comportement en matière de protection de l’environnement.
12. Le biais d'engagement
Les biais cognitifs sont ici ventilés en quatre volets : les biais qui résultent d’un excès d'informations, d’un manque de sens, d’une nécessité d'agir rapidement, et enfin, des limites de la mémoire.