Photo: Anja Viering

En quoi le fait de se recentrer sur son entreprise et son identité permet de rassembler les collaborateurs autour de la diversité et de l’inclusion ?


En quoi le fait de se recentrer sur son entreprise et son identité permet de rassembler les collaborateurs autour de la diversité et de l’inclusion ?


Les célébrations de la diversité ont pris de l'ampleur en entreprise. Tout le monde semble y participer, les soutenir et les apprécier. Cependant, les critiques à l'égard de la diversité et de l'équité dans l’environnement professionnel se sont multipliées de manière significative, et le ton s'est durci. Dans le contexte passionné et politisé qui en résulte, l'objectif propre à l’entreprise d'une gestion efficace de la diversité et de l'équité est presque oublié. Au lieu de cela, les dirigeants considèrent souvent la diversité et l'intégration comme une question de conformité, un passage obligé, une stratégie d'atténuation des risques ou un prérequis en matière d'image de marque et de responsabilité sociétale de l'employeur. Heureusement, la DE&I (Diversité, Équité & Inclusion) peut devenir le concept gagnant-gagnant qu'elle a toujours voulu être.

Un nouveau contexte pour la DE&I

Une transformation radicale peut s’avérer une énorme opportunité ou un risque létal, selon la façon dont vous réagissez aux tendances. La révolution industrielle que nous vivons actuellement s’opère par vagues successives et a déjà donné naissance à deux générations qui ne connaissent le monde qu’avec Internet et toutes ses opportunités. Ces générations se considèrent comme les architectes de l'avenir et ont la confiance en elles nécessaire pour réinventer n'importe quoi, rapidement, si elles pensent que les solutions passées ne sont pas à la hauteur.

Elles ont également l'habitude de fixer leurs propres règles, de façonner leurs récits et de largement communiquer pour s'assurer du soutien nécessaire, et finalement dominer un sujet. En d'autres termes, deux générations dotées d'un véritable esprit militant ont vu le jour, et ceci se matérialise également dans le domaine de la DE&I.


Dynamique de l'activisme en matière de DE&I

Une approche critique des questions relatives au climat et à l'équité sociale existe depuis quelques décennies. Mais c'est clairement grâce aux générations actuelles d'activistes que ces sujets sont si présents, et incontournables pour les dirigeants. Cependant, l'activisme en matière de DE&I et de climat crée parfois des clivages intergénérationnels, en blâmant les générations précédentes pour les problèmes actuels, au risque de négliger les progrès réalisés dans le passé. À cet égard, trois observations sur l'activisme en matière de DE&I sont essentielles. Premièrement, il est aujourd'hui facile de faire campagne : les données et différents types d'études sont aisément accessibles et il suffit de quelques clics pour identifier des anomalies et construire un dossier présentant les insuffisances d’un sujet. L'ajout de comparaisons, d'illustrations accrocheuses, de phrases chocs et d'histoires personnelles garantira l'attention et le soutien souhaité.

Deuxièmement, la manière dont vous analysez les causes profondes des insuffisances en matière de DE&I peut complètement changer votre conclusion. Si j'utilise mon âme d'activiste, je peux dénoncer les ratés du passé et vouloir une reconstruction radicale de la situation. Si j'adopte le prisme du développement organisationnel, je peux considérer la situation comme le résultat à long terme de nombreuses influences et décider d'orchestrer un changement constructif impliquant toutes les parties prenantes. Troisièmement, la croyance en la pression est cardinale chez les activistes : poser des exigences claires, simples et fortes est devenu populaire à une époque où la rupture semble être synonyme de progrès, et où les actes symboliques semblent illustrer le changement. Mais nous commençons à peine à voir la force de réaction, redoutable et maléfique, qu'une telle pression peut engendrer. Les personnes qui ne sont pas conscientes des inégalités ou des avantages que leur procure la DE&I peuvent seulement avoir peur de perdre leurs privilèges ou leur influence, et devenir ainsi des cibles faciles pour les arguments populistes. La DE&I devrait donc viser à rassembler toutes les parties prenantes autour d'un objectif commun.

Dans l'ensemble, l'activisme en matière de DE&I joue un rôle essentiel dans la mise en évidence des problèmes, mais il a aussi des effets secondaires qui rendent difficile la possibilité de corriger une situation existante sans pour autant tout remplacer. Ces dynamiques sont encore plus prononcées lorsque l'activisme s'étend au lieu de travail, où il conduit parfois
à des réactions superficielles plutôt qu'à des changements profonds.

La DE&I axée sur l'identité : effets secondaires en entreprise

Si les entreprises aiment se considérer comme des organisations citoyennes et comprennent qu'on attend d'elles qu'elles agissent conformément aux valeurs qu'elles proclament, elles font également partie d'un système beaucoup plus complexe de parties prenantes et de marchés avec une grande diversité d'attitudes, de perspectives et d'attentes. Comme la dynamique de la DE&I émerge traditionnellement de la société et de la politique - et c’est aujourd’hui encore plus vrai -, les entreprises la perçoivent de plus en plus comme une « question » externe à laquelle elles doivent réagir de manière appropriée. Des analyses ont permis d'identifier quatre types de réponses des entreprises pour intégrer la  DE&I.
(1) Lorsque la DE&I est perçue comme un engagement personnel, et parfois politique ou émotionnel, les entreprises encouragent la création de structures de terrain qui ne sont pas liées aux besoins de l'entreprise mais à des thèmes identitaires (comprenant le genre, l'origine géographique, l'orientation sexuelle etc.) Dans chaque domaine,
il peut y avoir un groupe de ressources pour les employés (plus communément appelé Employee Resource Group, ERG), une plateforme thématique externe, des événements annuels, des exercices de benchmarking, des campagnes ou des remises de prix. Toutes ces activités apportent une réelle valeur ajoutée et créent ensemble un agenda puissant qui occupera le personnel en matière d'identité et de partenariats tout au long de l'année.
(2) Comme évoqué précedemment, les accusations et les exigences de l'activisme DE&I au sein de l'entreprise sont susceptibles de déclencher des réactions négatives comme différentes formes d' « anti-wokisme »
ou des exemples frappants tels que l'interdiction des études de genre ou de la formation aux sujets LGBTQIA+. Bien que tous les types de résistance ne soient pas avérés au départ, nombre d'entre eux sont considérés comme des raisonnements dépassés et rétrogrades, sans que l'on prenne le soin d’examiner de manière autocritique les raisons inhérentes à l'organisation ou à la communication de la DE&I.
(3) La formation de groupes de pairs qui apportent un espace de protection et de confiance est une autre stratégie universelle de DE&I en entreprise. La constitution de tels réseaux est sans aucun doute utile pour le sujet, les organisations participantes et l'écosystème. Toutefois, les entreprises doivent également être conscientes que les bulles ne sont pas seulement une source d'inspiration, mais qu'elles créent également une pensée de groupe, une certaine autosatisfaction. Elles peuvent même conduire à des formes dédaigneuses d'exclusion
vis-à-vis de personnes présentant des approches différentes ou innovantes (contrairement aux objectifs proclamés en matière de DE&I).
(4) Le besoin perçu d'une communication positive forte en matière de DE&I est aujourd'hui satisfait par une variété de labels, de certificats, de récompenses et d'indices. Ils permettent aux entreprises de faire valoir leur engagement vis-à-vis de certains publics. Toutefois, les discussions sur le
« diversity washing » montrent qu'il est important de se concentrer sur les besoins de l'entreprise, sa réalité et son authentique crédibilité, et de partir de là, plutôt que de viser un nouveau classement dans le Top 5 chaque année.

Dans l'ensemble, la DE&I axée sur des critères particuliers de non-discrimination est (re)devenue forte,
mais avec un accent mal compris mis sur les publics favorables ou externes. Aussi, la DE&I peut devenir un facteur de résilience pour les entreprises lorsqu'elles ajoutent une orientation intrinsèque pour développer davantage d'approches propres à leur secteur d'activité, à leur culture d'entreprise et à leur maturité en la matière. Cela sera également essentiel pour surmonter la déconnexion - voire la polarisation - qui se diffuse dans les organisations à partir de la société et de la politique.

Photo : Anja Viering

La DE&I intrinsèque rassemble et ajoute de la valeur

Après plus de vingt ans de recherche et de pratique en matière de DE&I, nous savons qu'il n'existe pas de recettes universellement applicables pour créer de l'impact ou progresser dans ce domaine. Il en va de même pour vos programmes avancés de marketing ou de production, qui n'ont pas non plus été élaborés par des stagiaires ou des ONG.

Cependant, afin d'aider l'entreprise à dépasser le « diversity washing », et à poser un cadre de travail impactant avec des employés de tous horizons, voici sept recommandations.

  • Comprendre comment la DE&I peut contribuer concrètement à la stratégie d'entreprise, à ses priorités et défis
  • Insister sur la nécessité d'une amélioration continue de la DE&I - comme dans tous les domaines d'activité - encore et encore
  • S’appuyer sur des données et des connaissances solides en matière de DE&I et les utiliser pour remettre en question des mythes ou des hypothèses largement répandus
  • Rechercher les points communs entre les silos ou les zones géographiques actuellement divisées en matière de DE&I
  • Pratiquer ce que l’organisation prêche en matière de DE&I et surmonter activement la pensée de groupe, les bulles filtrantes ou les caisses de résonnance
  • Inverser la situation pour la tester : appliquer cette méthode efficace pour vérifier si le concept de DE&I propre à l’entreprise fonctionne aussi bien avec les communautés marginalisées qu'avec le grand public.

Deux façons de recadrer, redynamiser et recentrer la DE&I

Dans le monde de la DE&I, où l'engagement venant de la base des organisations et les activités RH sont largement répandus, nous en revenons souvent à la question du leadership et de la culture. Dans la plupart des entreprises, les dirigeants et leurs équipes rapprochées ont déjà participé à des ateliers, des séances d'information ou des formations initiales sur ces sujets et se sentent bien préparés grâce à des messages clés, des analyses régulières ou des événements annuels. Cependant, la recherche et l'expérience nous montrent que certaines implications bien intentionnées des équipes de direction n'ont pas l'impact souhaité et doivent donc être recalibrées :

  • La DE&I peut répondre à bien des objectifs recherchés aujourd'hui. Cependant, tout le monde ne la perçoit pas comme un but légitime ou souhaitable pour son entreprise. C'est la raison pour laquelle les cadres de haut niveau doivent considérer qu'il est de leur devoir non seulement de relier la DE&I à l’ensemble des éléments clés de l'agenda de l'entreprise, mais aussi de rapprocher des points de vue apparemment contradictoires. En bref : ils doivent fournir un cadre qui encourage tout le monde à adhérer, et ils doivent le faire d'une manière personnellement crédible et authentique. De nombreux exemples ont en effet montré qu'une étude de cas ou une histoire personnelle ne suffisent plus à positionner la DE&I. Les équipes de direction doivent explorer différentes perspectives et sources d'information et créer un credo spécifique à leur entreprise.
  • Certaines entreprises utilisent une argumentation économique de la diversité (qui tient parfois en une seule page) comme raison de leur engagement. D'autres peuvent identifier les insuffisances à corriger pour justifier leurs actions. La recherche montre que les deux approches ont des limites évidentes pour créer l'adhésion et une dynamique de  changement (principalement en raison d'un manque de pertinence et d'applicabilité). Un moyen efficace de surmonter ce problème consiste à réaliser des analyses, des réflexions et des feuilles de route au sein de l'entreprise ou au niveau fonctionnel, par l'intermédiaire des équipes de direction. Ces analyses doivent, bien entendu, être menées en fonction des ressources, en tirant parti du cadre commun de l'entreprise, et en s'efforçant d'adapter l’approche à chaque unité commerciale, région ou fonction.


La DE&I comme facteur de création de sociétés et d'économies durables

La polarisation et le populisme montrent leurs effets toxiques sur les sociétés, l'environnement et les entreprises. Il est donc essentiel pour les organisations d'atténuer les dissensions qui se manifestent de plus en plus au sujet de la DE&I. Une approche intrinsèque, fondée sur l'entreprise et adaptée à ses besoins, rassemblera tous les employés et les dirigeants et renforcera l'objectif commun et le programme de l'organisation. Remplacer un cadre de DE&I extrinsèque, axé sur la conformité ou l'activisme, se traduira également par des résultats tangibles sur l’activité de l’entreprise et une meilleure préparation aux changements à venir.


Michael Stuber

Michael Stuber se définit comme "L'ingénieur D&I", un activiste européen et un contributeur fréquent aux projets et événements de la Charte de la diversité. Depuis plus de 20 ans, il développe des recherches et des diagnostics rigoureux, une pensée innovante et la conception de stratégies de changement contextualisées pour créer des progrès en matière de DE&I soutenus par tous.


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