En tant que scientifique, quel regard portez-vous sur les débats controversés autour de la capture et de la valorisation du CO2 ?

Je pense qu’une partie de la controverse provient de la confusion qui existe entre le CCS (en anglais Carbon Capture and Storage), à savoir le stockage du CO2 dans le sol et le CCU (Carbon Capture and Utilisation), qui est une approche circulaire de valorisation du CO2, et le CDR (Carbon Direct Removal), qui consiste à enlever le CO2 de l'atmosphère. Car ces différentes approches n’ont pas les mêmes objectifs, ni les mêmes impacts et le CCU souffre souvent de la réputation du CCS qui est souvent considéré comme une manière de faire perdurer l’utilisation des carburants fossiles. Une partie de notre travail consiste précisément à clarifier ces termes selon les définitions du GIEC et à faire comprendre les potentiels réels de ces technologies, mais aussi leurs limitations.

Le grand public connaît surtout le stockage du CO2 (CCS), mais beaucoup moins la valorisation et l’usage (CCU). Pourquoi cette approche mérite-t-elle davantage 
d’attention ?

Le CCU en Europe vise clairement la « défossilisation » des transports ou de l'industrie pour les secteurs qui ne peuvent pas utiliser d’électricité renouvelable directement, et cela en traitant la cause du problème, c'est-à-dire la dépendance au carbone fossile. La méthode consiste à capter le CO2 industriel ou atmosphérique pour le transformer en produits chimiques essentiels, en carburants renouvelables ou matériaux de construction. Concrètement, pour les transports, comme l'aviation ou le transport maritime, l’utilisation de carburants renouvelables à base de CO2 et d'hydrogène renouvelable est une des seules solutions, en plus des changements comportementaux, pour faire diminuer l’empreinte environnementale de ces secteurs. Aussi, dans la chimie, le carbone fossile est remplacé par du CO2 pour fabriquer du méthanol, des oléfines, ou du méthane renouvelable qui sont la base, de pratiquement tous les produits du quotidien. En construction, le CO2 peut être stocké de façon permanente grâce à la minéralisation dans différents types de matériaux.

Y a-t-il un risque que ces technologies soient utilisées comme greenwashing ou taxées de technosolutionnisme ?

Le CCU est moins propice au greenwashing que le CCS, car son objectif premier est de remplacer les carburants fossiles et non de continuer dans une économie linéaire du carbone. Néanmoins, afin de contrôler que ces technologies auront l’impact nécessaire, il faut s’assurer que les carburants CCU substitueront bien les carburants fossiles et ne viendront pas juste s’y ajouter. De plus, il est important de rester vigilant face aux grandes promesses de solutions, car les technologies CCU ont un rôle crucial à jouer pour défossiliser les secteurs les plus émetteurs de CO2, mais sans efforts conséquents pour réduire les émissions de gaz à effet de serre en amont, notamment en visant plus de sobriété, les technologies quelles qu’elles soient, ne pourront pas, seules, nous permettre d’atteindre les objectifs climatiques.

Il faut aussi être vigilant avec les définitions, car par exemple, aux Etats-Unis, le CCUS fait souvent référence à l’Enhanced Oil Recovery, qui utilise du CO2 pour extraire plus de pétrole, et ce genre de technologies ne fait pas référence au principe du CCU comme il est défini en Europe et n’a évidemment pas du tout le même impact.

Concernant la critique relative au technosolutionnisme, il est essentiel d’aborder les solutions dans leur complémentarité. Les solutions fondées sur la nature par exemple sont fondamentales, notamment pour la biodiversité et la résilience climatique, mais elles ne suffiront pas seules. Les approches technologiques comme le CCU sont donc nécessaires et l'idéal serait de combiner au mieux les solutions technologiques, naturelles et comportementales sans les opposer.

L'objectif premier est de remplacer les carburants fossiles et non de continuer dans une économie linéaire du carbone.

À quelle hauteur le CCU peut-il contribuer à la sortie des énergies fossiles ?

Actuellement, on estime que le CCU pourrait contribuer à au moins 8 % de la réduction des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité climatique en Europe d'ici 2050. Certes, le CCU ne remplacera pas les efforts de réduction directe des émissions, mais c'est une technologie essentielle pour permettre de résoudre la cause des changements climatiques en substituant le plus possible le carbone fossile tout en gérant les émissions résiduelles des secteurs les plus émetteurs. On observe clairement des avancées rapides en termes de reconnaissance réglementaire et de financements en Europe, ce qui est prometteur.

S’agit-il d’une réelle prise de conscience politique autour du rôle du CO₂ comme ressource circulaire ?

Absolument. Depuis six ans, la reconnaissance politique du CCU en Europe a fortement progressé, il existe aujourd’hui des quotas sur l’utilisation future des carburants renouvelables dans les secteurs maritimes et aériens. Et le CCU est reconnu dans le système d’échange de quota d’émissions (SEQE) où la minéralisation du CO2 dans les matériaux de construction permet de considérer le CO2 comme non-émis.

Les solutions fondées sur la nature sont fondamentales mais elles ne suffiront pas seules. Les approches technologiques sont donc nécessaires.

L’UE doit désormais transformer l’essai : il faut compléter ces règles nouvelles par des incitations économiques à se passer des énergies fossiles, par des mandats de durabilité plus larges (par exemple pour amener le secteur chimique à se défossiliser), et en appliquant le principe pollueur-payeur de façon beaucoup plus systématique pour rendre les produits CCU plus compétitifs. Le Pacte pour une Industrie Propre lancé en février 2025 est la parfaite opportunité pour amplifier cette dynamique. Ces incitations permettront aux nombreux projets CCU existants de perdurer et de se mettre à l’échelle pour accroître leur impact.

Célia Sapart

Célia Sapart est climatologue, spécialiste des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines. Elle est aujourd'hui Directrice Scientifique de l'organisation, CO2 Value Europe, qui a pour objectif de créer une économie circulaire du carbone