Santiago, Le Cap, Karachi, Los Angeles, Mombasa... Autant de villes qui se préparent au « jour zéro », lors duquel plus une goutte d'eau ne sortira du robinet. Soumise à des pressions anthropiques inédites, cette ressource compte désormais parmi les limites planétaires dépassées avec à la clef des impacts majeurs sur les écosystèmes, notre santé, notre résilience alimentaire ou encore la paix dans le monde. Des solutions existent pourtant. Il y a une urgence à repenser notre relation à l'eau et à réécrire collectivement son histoire.

La pénurie inquiète

À 100 kilomètres au Nord de Barcelone, le réservoir de Sau qui alimente la ville et ses environs est à son plus bas historique. La Catalogne enregistre en effet une période de sécheresse de plus de 2 ans et demi. Dans les rues, les affiches appelant à la sobriété hydrique sont placardées et les premières restrictions visant l’agriculture, l’industrie et les particuliers sont entrées en vigueur. La situation est préoccupante, soulignait dès mars 2023 le rapport du Centre commun de recherche de la Commission européenne, dont l’indice de sécheresse combiné est passé dans le rouge pour la Catalogne comme pour de nombreux autres territoires. Aux sécheresses estivales s’ajoutent désormais les sécheresses hivernales et l’eau s’impose désormais comme un sujet d’inquiétude constante.

Aujourd’hui, selon UN-Water, 2,3 milliards de personnes vivent dans des pays soumis au stress hydrique, dont 733 millions à des niveaux élevés ou critiques. Environ 4 milliards de personnes, soit près des 2/3 de la population mondiale, souffrent d'une grave pénurie d'eau pendant au moins un mois de l'année. Rivières asséchées, lacs au niveau historiquement bas, accumulation de neige insuffisante sur les sommets, feux de forêts dès le printemps... Le constat s’impose chaque année davantage à nos yeux.

Le mythe des réserves souterraines inépuisables

Contrairement aux eaux de surface, dont la raréfaction est visible par l’Homme, les eaux souterraines qui s’accumulent à la suite des précipitations, sont très difficilement mesurables. Elles représentent la première source d’approvisionnement quotidien en eau pour un quart de la population mondiale et certaines nappes phréatiques peuvent atteindre des superficies très importantes. En Amérique du Sud par exemple, l’aquifère du Guarani s’étend sur quatre pays et contiendrait jusqu’à 40 000 kmd’eau.

Ces réservoirs subissent une extraction massive à travers le globe. L’une des régions qui pompe le plus d’eaux souterraines est l’Asie-Pacifique puisqu’elle comptabilise 7 des 10 pays les plus extracteurs, totalisant 60 % de tous les prélèvements. Mais ces territoires sont loin d’être des exceptions et l’on compte plus de 20 % des aquifères surexploités dans le monde. En Europe, chaque année les volumes prélevés excèdent le niveau des précipitations. Les nappes diminuent sans cesse depuis le début des années 2000 et le rythme s’accélère. Globalement, les prélèvements des eaux souterraines ont triplé en 50 ans (entre 1970 et 2020). Une raréfaction de la ressource invisible, mais bien réelle.

Le saviez-vous ?

Seul 2,5% de l'eau sur Terre est douce et donc consommable. 0.7% est accessible en surface.

L'eau verte, limite planétaire dépassée

Parmi les neuf limites planétaires initialement identifiées en 2009 par des chercheurs du Stockholm Resilience Centre, l’utilisation de l’eau douce n’était pas un sujet préoccupant puisqu’elle ne dépassait pas le seuil critique établi. Néanmoins, ce diagnostic ne prenait en compte que l’eau dite bleue (lacs, cours d’eau et nappes phréatiques). Or, une étude publiée dans Nature l’année dernière a soulevé l’importance cruciale de l’eau verte. Cette eau, absorbée par les végétaux et présente dans le sol et la biomasse, se situe en réalité à un seuil bien plus préoccupant. L’étude démontre que l’eau verte est la sixième limite planétaire que l’humanité a dépassée. Elle joue plusieurs rôles fondamentaux pour la planète et les êtres vivants comme la dilution des polluants, la préservation de la biodiversité ou encore la mitigation des crues par les zones humides.

Eau verte : Eau issue des précipitations et absorbée par les végétaux donc présente dans le sol et la biomasse. Cette eau constitue 60% de la masse des précipitations.

Eau bleue : Eau qui constitue les cours d'eau, lacs et nappes phréatiques. Cela correspond à 40% de la masse des précipitations. 

Eau grise : Eau prélevée par l'Homme puis rejetée. Celle-ci peut être chargée en polluants tels que les engrais chimiques agricoles ou industriels.

Eau virtuelle : Eau nécessaire à une production agricole, industrielle ou à un service. Cette eau est donc consommée « virtuellement » dans un autre espace. Cela représente 1/5ème de l'eau consommée dans le monde (sous forme de produits échangés ou services).


(source: INRA)

Pollutions multiples de l'eau

Au-delà du quantitatif, la qualité de la ressource constitue également un sujet majeur de préoccupation. Antibiotiques, hormones, microplastiques, engrais synthétiques, métaux lourds, produits chimiques en tout genre..., l’eau se charge de multiples polluants tout au long de son cheminement. Une étude publiée en août dernier dans la revue Environmental Science and Technology, identifie la présence dans l'eau de produits de synthèse toxiques dépassant les seuils de recommandation, baptisés en langage technique les « PFAS » (pour « per et polyfluoroalkylées ») et pour lesquels la limite planétaire est elle aussi déjà dépassée. Même la pluie est contaminée... Le principal auteur de l’étude, le chercheur et professeur à l'Université de Stockholm Ian Cousins, livre un constat sans appel : « Il n'y a nulle part sur Terre où l'eau de pluie serait propre à la consommation, d'après les données que nous avons utilisées ». Que l’on soit au Tibet, ou sur les îles Marquises, l’eau de pluie est polluée et donc non potable !

Le dérèglement climatique en cause

En février 2022, le sixième rapport du GIEC démontrait l’impact du changement climatique sur les ressources en eau douce à travers le monde. Les scientifiques prévoient ainsi que l’augmentation en fréquence et en magnitude des inondations, pluies torrentielles et sécheresses impactera directement l’accès à l’eau douce. Déjà, la hausse des températures mondiales et la fréquence accrue des vagues de chaleur engendrent une évaporation des réserves d’eau et une accélération de la fonte des glaciers. La diminution des précipitations dans les zones désertiques du monde est estimée entre 5% et 15%, le Sahel étant parmi les zones les plus touchées.

À l’inverse, les hautes latitudes subissent une augmentation des précipitations qui peuvent entraîner inondations et glissements de terrains, des phénomènes déjà observés en Amérique du Nord, en Europe du Nord, en Asie centrale et en Asie du Nord. Ces fortes précipitations sont également problématiques car elles peuvent détériorer les systèmes de traitement et d’acheminement de l’eau, impactant lourdement l’accès à la ressource.

Cartes de sécheresse et manque d'eau en Europe

L'indicateur combiné de sécheresse, basé sur une combinaison d'indicateurs de précipitations, d'humidité du sol et de conditions de végétation.

Les pressions directes multiples liées à l’activité humaine

Les activités anthropiques affectent directement les cycles hydriques aux quatre coins du globe. La forte croissance de la population mondiale, couplée à une urbanisation galopante et son corolaire l’artificialisation des sols, mènent à des prélèvements toujours plus drastiques. En un siècle, la consommation totale a été multipliée par six pour atteindre une moyenne de 137 litres par jour et par habitant. Ce chiffre revêt cependant d’importantes disparités géographiques. Les pays les plus consommateurs sont les Etats-Unis, le Canada ou encore le Japon avec une moyenne de 600 litres par habitant, suivis par les pays européens avec 250 litres par habitant. L’Afrique sub-saharienne, elle, ne prélève que 10 litres par habitant.

Afin de prendre en compte l’ensemble de notre besoin en eau, il est pertinent de se référer au concept plus large d’« empreinte eau », créé par le professeur Arjen Hoeskra pour l’Unesco en 2002. Cet indicateur prend en compte l’usage direct et indirect de l’eau par le consommateur ou le producteur, à savoir l’ensemble du volume utilisé pour la production d’un produit ou d’un service. Cette eau, désignée comme « eau virtuelle », peut avoir été extraite dans un pays et consommée dans un autre, qui deviendra donc ainsi virtuellement importateur d’eau. Les chiffres sont surprenants. Ainsi, l’empreinte d’une tasse de café atteint 140 litres et celle d’un jean 11 000 litres.

L’agriculture est l’activité humaine la plus demandeuse en eau et comptabilise 72% des prélèvements. L’UNEP déplore une disparition de plus de la moitié des zones humides depuis 1900, imputable aux besoins agricoles. Et le recours accru à l’irrigation accélère la tendance. La FAO rappelle ainsi que 3,2 milliards de personnes vivent dans des zones agricoles marquées par des pénuries élevées à extrêmes et prévoit un doublement des zones irriguées en Afrique sub-saharienne d’ici 2050. Globalement, à horizon 2050, la production alimentaire devra augmenter de 50% pour nourrir les 9 milliards d’habitants de notre planète.
L’agriculture engendre également un déséquilibre du cycle de l’eau, lorsque les cultures impliquent une déforestation. Avec la disparition des arbres, l’évapotranspiration est largement réduite, moins de nuages se forment et in fine la quantité et la fréquence des pluies diminuent. Ce phénomène a par exemple touché directement la mégalopole de São Paolo en 2014 et 2015. La ville brésilienne qui compte plus de 12 millions d’habitants a vu son réservoir atteindre un seuil extrêmement critique et souffre désormais d’un manque d’eau chronique.

Autre impact du secteur agricole, le ruissellement des intrants chimiques qui provoque une pollution des cours d’eau. Les engrais synthétiques composés d’azote, de phosphore et de potassium s’écoulent sur le sol et entraînent notamment des phénomènes d’eutrophisation des masses d’eau douce. En apportant ces éléments nutritifs, la biomasse végétale se développe fortement jusqu’à appauvrir en oxygène l’écosystème aquatique et le déséquilibrer totalement.

L’industrie est également aquavore et représente 12% des prélèvements mondiaux. Le secteur de l’énergie est souvent pointé du doigt avec le fort besoin en eau lié au refroidissement des centrales. L’industrie du textile est également dans le viseur. À elle seule, elle absorbe 4% de la ressource en eau potable avec 93 millions de m3 utilisés par an. La production du coton en particulier est très gourmande en eau et concerne souvent des pays déjà en situation de stress hydrique comme la Turquie, les Etats-Unis ou l’Inde. Ce secteur est également extrêmement polluant à différentes étapes du cycle de vie des produits : depuis les métaux lourds et produits chimiques déversés dans les rivières à proximité des usines de fabrication jusqu’aux microplastiques issus des fibres synthétiques qui finissent dans nos machines à laver...

Combien de litres d'eau pour...

Une voiture : 30 000 litres

Une puce d'ordinateur : 32 litres

Un jean : 11 000 litres

Un steak : 3100 litres

Un bol de riz : 340 litres

Une baguette de pain : 155 litres

Une tasse de café : 140 litres


(Source : Suez, Tendua)

De forts impacts sur la santé

La raréfaction des ressources en eau conduit aujourd’hui de nombreuses populations à utiliser des eaux contaminées. S’ajoutent parfois à cela des infrastructures sanitaires endommagées par des catastrophes naturelles ou conflits dévastateurs qui empêchent l’accès à une eau de bonne qualité. Ces facteurs entraînent de nombreux impacts sur la santé humaine, avec notamment le retour de certaines maladies. Le choléra a par exemple réapparu en 2022 au Liban après 30 ans d’absence, en raison de systèmes d’assainissement très fragilisés. L’année dernière, une trentaine de pays a vu émerger des cas de cette maladie.

Une eau de bonne qualité est clef en matière de santé publique. Aujourd’hui encore, 700 enfants meurent chaque jour de maladies liées au manque d’accès à l’eau et l’Unicef dénombre un million de décès par an liés à un déficit d’hygiène pendant les accouchements.

Face à cela, les Nations Unies ont développé un vaste projet d’accès à l’eau potable et aux services d’assainissement et d’hygiène (WASH) dans le cadre de l’Objectif de Développement Durable numéro 6, visant à garantir l’accès à tous à l’eau et à l’assainissement et à assurer une gestion durable des ressources en eau. Selon le dernier rapport de progrès de ce projet publié en 2021, encore une personne sur quatre n’avait pas accès à un service correct d’eau potable en 2020 et la moitié de la population mondiale n’avait pas accès à un service d’assainissement adapté. Sur Terre, encore 3 personnes sur 10 ne peuvent pas se laver les mains régulièrement. Or, comme le souligne la Banque mondiale, les programmes d’hygiène constituent la mesure sanitaire la plus efficace. D’après l’OMS, un accès universel à l’eau potable et à l’assainissement réduirait globalement les maladies de 10%.

Au Nord de l'Inde, la ville de Kanpur accueille près de 400 fabriques de cuir qui rejettent massivement leurs eaux usées dans la rivière Ganga. Chaque jour, plus de 600 millions de litres d'eaux non traitées s'écoulent à la sortie de l'agglomération, charriant principalement des métaux lourds comme le zinc et le cuivre.

Au Nord de l'Inde, la ville de Kanpur accueille près de 400 fabriques de cuir qui rejettent massivement leurs eaux usées dans la rivière Ganga. Chaque jour, plus de 600 millions de litres d'eaux non traitées s'écoulent à la sortie de l'agglomération, charriant principalement des métaux lourds comme le zinc et le cuivre.

Inégaux face aux menaces

Les populations ne sont pas toutes égales face au stress hydrique extrême. Selon la Banque Mondiale, 85% des personnes victimes de l’instabilité des pluies vivent dans des pays à revenus faibles à intermédiaires. Afin d’identifier ces inégalités, une équipe de chercheurs du Centre for Ecology and Hydrology de Wallington en Angleterre a créé l’indice de pauvreté en eau. Cet indice prend en compte la disponibilité en eau, la pression sur les ressources, les investissements ainsi que la préservation de l’environnement et l’accès de la population à l’eau. Ce nouvel indicateur révèle des situations surprenantes comme la République Démocratique du Congo et le Mozambique, pays où la ressource n’est pas limitée, mais où moins de la moitié de la population a accès à l’eau.

Le contexte de chaque pays rend la question de l’accès à l’eau unique. Les conflits armés affaiblissent ainsi fortement la disponibilité en eau. En Syrie par exemple, seuls 50% des systèmes d’approvisionnement en eau et d’assainissement fonctionnent encore correctement.

Le saviez-vous ?

1/4 des villes sont concernées par le stress hydrique et le nombre de citadins n'ayant pas accès à une eau potable sûre a augmenté de plus de moitié depuis 2000.

Désaliniser, une solution miracle ?

95 millions de m3 d’eau douce sont produits par jour dans le monde grâce aux 16 000 usines de dessalement du globe. Ce procédé est cependant très énergivore. De plus, pour 1 litre d’eau douce obtenu, 1 litre de saumure est rejeté. Extrêmement salée, chargée en polluants chimiques et plus chaude que l’eau de mer, la saumure dérègle brutalement l’équilibre des écosystèmes marins.

Pour répondre à ces enjeux, la société canadienne Oneka vient de mettre au point un système alternatif composé d’unités flottantes qui convertissent l’eau de mer en eau douce grâce à l’énergie des vagues et à un procédé d’osmose inversée. L’entreprise revendique un impact minime sur l’environnement : pas d’énergie externe requise, émissions de CO2 nulles, absence de produits chimiques et des rejets faiblement concentrés en sel. Le Chili accueille leur premier site de démonstration. Une innovation à suivre de près.

Source de tensions géopolitiques

286 fleuves sont internationaux et 468 aquifères sont transfrontaliers. Ce sont tout autant de situations conflictuelles potentielles. L’Asie centrale et le Sahel sont particulièrement concernés. Comme le pointe le dernier atlas de la Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques, le bassin méditerranéen et du Moyen-Orient est également une zone à hauts risques sur ce plan. L’accès au Tigre, au Jourdain, au Nil ou à l’Euphrate, et notamment la construction de barrages, enveniment les relations entre les pays. Afin de faire face à la pénurie, de nombreuses usines de dessalement sont construites, et pour répondre à leur besoin en énergie, des centrales thermiques sont construites à proximité.

Des États comme la Turquie, l’Iran ou l’Egypte se lancent dans une course au nucléaire civil afin d’alimenter ces usines. La multiplication de ces programmes n’est cependant pas sans poser la question de la prolifération du nucléaire militaire dans la région.  Au niveau global, le Forum Économique Mondial prévoit un écart de 40 % entre l’offre et la demande en eau d’ici 2030, une perspective qui laisse peu de doutes sur l’intensification des tensions autour de cette ressource.

Source : Atlas stratégiques, Fondation Méditérranéenne d'Études Stratégiques, 2022

Enjeux géopolitiques liés au stress hydrique et à l'insécurité alimentaire dans le bassin méditerranéen et du Moyen-Orient.

Droit à l'eau

Si l’eau est source de tensions entre nations, elle est aussi parfois l’objet de fortes revendications au sein des pays car son accès est privatisé. C’est précisément le cas du Chili qui a récemment revu sa Constitution, dans un contexte de sécheresses historiques, pour mettre un terme à une législation permettant jusqu’ici la privatisation de l’eau depuis les années 1970. Ainsi, en 2022, un processus graduel mettant fin à la marchandisation de l’eau a été enclenché : les autorisations d’utilisation de la ressource dépendent désormais de sa disponibilité réelle et elle est considérée comme un bien commun naturel. « L’approbation de la proposition constitutionnelle est probablement le premier pas pour récupérer la base de notre vie », affirmait Manuela Royo, membre de la Constitution conventionnelle chilienne, en septembre 2022.

La conférence des Nations unies sur l’Eau qui s’est tenue en mars 2023 a notamment insisté sur ce sujet en positionnant l’accès à l’eau et à l’assainissement comme des droits humains. Aujourd’hui, encore 29% de la population mondiale n’a pas accès à l’eau potable. Il est donc essentiel de comprendre comment l’eau, bien commun de l’humanité mais inégalement réparti sur Terre, peut devenir un droit universel.

Photo : Eksinder Debebe - Haïti - UN photo

Cependant, avec la raréfaction de la ressource, un mouvement de financiarisation de ce bien est observable. L’eau fait l’objet d’une spéculation croissante. En Australie, dans le cadre du Water Act, des quotas ont été établis et il est possible de revendre ses droits ou d’en acheter sur un large marché financier dédié. Et la Californie semble emprunter le même chemin. Même à un niveau global, parier à la hausse ou à la baisse sur le prix de l’eau est désormais possible, notamment via l’indice sur l’eau disponible au Nasdaq.

C’est une question éminemment éthique qui se pose à nos sociétés et comme le souligne Agathe Euzen, directrice du nouveau programme et équipement prioritaire de recherche exploratoire français One Water - Eau Bien Commun, « L’eau douce est vitale et doit être considérée dès lors comme un bien commun à partager, et non comme un produit qui pourrait être soumis à la loi du marché. » Il est donc clef de repenser une gouvernance de l’eau et de définir un cadre commun pour protéger cette ressource. La directive sur l’eau adoptée en 2000 par l’Union européenne établit un cadre pour une politique globale communautaire dans ce domaine. Un premier pas dans le sens de la protection de ce bien commun...

UN Water Conference 2023

En mars 2023 s'est tenue la conférence des Nation Unies sur l'eau, une première depuis plus de 50 ans. Le résultat principal de cette conférence est le Water Action Agenda qui réunit déjà plus de 700 engagements volontaires rédigés par les représentants du gouvernement, de la société civile, d'ONG et d'entreprises. Ces engagements ont pour but d'atteindre les Objectifs du Développement Durable (ODD) et plus particulièrement l'ODD 6 visant à garantir l'accès de tous et toutes à des services d'alimentation en eau et d'assainissement gérés de façon durable.

S'inspirer de la nature

Les solutions fondées sur la nature s’inspirent de processus et écosystèmes naturels pour résoudre des problématiques variées comme la sécurité alimentaire ou la réduction des risques de catastrophes. Face aux défis liés à la ressource en eau, les écosystèmes (forêts, prairies et zones humides), les sols et la biodiversité sont des alliés incontournables.
À l’heure où un quart des villes sont considérées sous stress hydrique, les décideurs publics envisagent désormais de désartificialiser les sols très bétonnés des environnements urbains et de lutter contre l’effet d’îlot de chaleur grâce à la végétalisation des espaces. Des initiatives fleurissent comme aux Pays-Bas ou en Belgique avec l’organisation du championnat d’arrachage de dalles qui vise à limiter l’imperméabilisation des sols.

Aussi, le concept de « ville-éponge » voit le jour en Chine. L’objectif est d’allier diverses solutions inspirées de la nature pour absorber et réutiliser plus de 70% de l’eau de pluie. Toitures végétalisées, sols et murs perméables ou encore régénération des zones humides permettent de récupérer l’eau de pluie et de la stocker pour assurer une disponibilité en eau.

Si les solutions fondées sur la nature sont pertinentes pour les villes, elles le sont tout autant pour les zones rurales. L’agriculture étant le secteur le plus aquavore, elle doit repenser son modèle en fonction des biomes dans lesquels elle est pratiquée, afin de favoriser un cycle de l’eau bénéfique. Une priorité est de privilégier les cultures adaptées aux conditions climatiques et non gourmandes en eau. La culture du maïs grain, d'origine tropicale, est par exemple de plus en plus remise en cause pour les milieux tempérés. Aussi, des modèles durables d’intensification des cultures tels que l’agroforesterie – pratique associant les arbres aux cultures ou élevages - émergent à travers les continents et démontrent une augmentation des rendements tout en préservant les divers écosystèmes. L’objectif est de limiter l’évaporation sur sol et d’augmenter la capacité d’absorption des plantes.

Source : Weiming Xie

Exemple de ville-éponge à Jinhua. Les parcs ont absorbé le surplus d'eau déversé par une mousson intense, protégeant la ville chinoise d'une inondation et assurant sa disponibilité en eau pour le futur.

L'eau circulaire

Avant toute chose, il est important de rappeler que les fuites de réseaux d’eau potable constituent la base de l’approche. 50 % de l’eau puisée par les collectivités dans le monde n’est jamais redistribuée aux usagers, en raison de défauts sur les canalisations. La lutte contre cet immense gâchis est donc la grande priorité.

Réutiliser la ressource est bien sûr une piste clef. L’eau, une fois utilisée, peut être utile. Et une eau potable de haute qualité n’est pas forcément nécessaire à tous les usages. Cette approche est déjà plébiscitée par certains pays particulièrement concernés par le stress hydrique comme Israël qui réutilise ainsi 91 % de ses eaux usées, ou l’Espagne (14%). C’est une voie prometteuse encore largement inexplorée dans de nombreux pays. Aujourd’hui, pour plus de 40 milliards de m3 d’eaux usées qui sont traitées en Europe chaque année, seulement 964 millions sont réutilisés.

Certaines entreprises adoptent une approche circulaire de l’eau. Pour nombre d’entre elles, cette ressource est indispensable et sécuriser les approvisionnements en eau devient une question de résilience. Il s’agit d’établir un bilan hydrique, de faire la chasse aux fuites et d’investir pour la réutilisation des eaux en fonction des usages. Ainsi, le Groupe Procter & Gamble s’est engagé sur cette voie pour certains de ses sites de production. Pour encourager la démarche, certaines entreprises comme Colgate-Palmolive, se fixent un prix interne de l’eau afin de mieux gérer cette ressource, à l’instar du prix carbone. Des outils existent tel le Water and Value Tool de WWF ou le Smart Water Navigator de chez Ecolab.

Pour guider les entreprises, des objectifs pour l’eau douce basés sur la science (Freshwater science-based targets) ont été définis par un groupement d’organisations formant le SBTN’s Freshwater Hub. Ces objectifs spécifiques, mesurables et limités dans le temps visent à réduire les impacts sur l’eau des opérations directes et en amont de la chaîne d’approvisionnement d’une entreprise.


Repenser notre lien à l'eau

Il devient vital de ne plus considérer l’eau comme un bien acquis mais comme une ressource précieuse... et de s’interroger donc sur l’empreinte eau de nos achats ou de nos habitudes. Ceux-ci peuvent avoir un impact direct ou indirect. Ainsi, 17 % de la production alimentaire mondiale, très aquavore, est gaspillée. Éviter le gaspillage alimentaire constitue donc aussi une bonne partie de la solution. La sensibilisation du public en faveur d’une sobriété hydrique peut faire la différence. Ce fut le cas au Danemark, où la consommation d’eau par habitant est passée de 200 litres par jour dans les années 1980 à environ 100 litres par jour actuellement.

Redonner toute sa valeur à l’eau est au cœur de la solution. Élément vital, cette ressource est rarement estimée à hauteur de sa véritable contribution pour l’ensemble des systèmes. Le coût de l’eau ne reflète que les services qui y donnent accès. Or la valeur de cette ressource dépasse largement ces notions. Elle intègre divers aspects socio-culturels, ou encore son rôle dans le maintien de la paix et de la sécurité alimentaire, éléments difficilement quantifiables. Il est temps d’estimer l’eau à sa juste valeur car c’est le nouvel or... bleu.

à lire et à voir
FAO
L'état des ressources en terres et en eau pour l'alimentation et l'agricultures dans le monde.
WBCSD
Wastewater Impact Guidance for Business.
Jérôme Fritel
Main basse sur l'eau.