INTERVIEW


Sustainability Mag : Pourquoi est-il si important de considérer l'impact de la pollution lumineuse ?

Daniel Gliedner : Contrairement aux autres types de pollution, la pollution lumineuse est souvent ignorée et généralement mal comprise. Cette notion revêt quatre aspects : la quantité de lumière émise bien sûr, mais aussi l’orientation, la nature du spectre lumineux et enfin le scintillement.
Premièrement, nous émettons une quantité de lumière démesurée qui excède largement nos besoins : sur les 100 dernières années, le prix de production de la lumière a été divisé par un million, ce qui n’a pas incité à la sobriété. Aussi, souvent nos luminaires et leurs orientations sont inadaptés car ils émettent de la lumière bien au-delà de l’horizontale et forment des halos lumineux. Le spectre lumineux mal choisi de nos lumières est également néfaste pour l’environnement et notre santé. Les lumières blanches et bleues présentes dans les LEDs ou sur nos écrans de téléphones peuvent provoquer des troubles du sommeil. Enfin, contrairement à ce que nous croyons souvent, les lumières n’émettent pas en continu, elles scintillent - ce scintillement étant plus prononcé pour les LED. Bien sûr, ce n’est pas visible à l’œil nu, mais ceci est perçu par notre cerveau et peut provoquer des migraines, des crises d’épilepsie ou des malaises.


On cite souvent l’éclairage public comme source principale de pollution lumineuse mais qu’en est-il de l’impact des entreprises et des particuliers ?

En effet, on pointe toujours du doigt l’éclairage public mais j'aimerais relativiser son impact par rapport à celui des entreprises et des particuliers. J’estime qu’aujourd’hui, l’éclairage public – chemin de fer, voirie, bâtiments administratifs… - représente un tiers de la pollution lumineuse. Les communes et administrations semblent conscientes du souci. L’impact causé par les entreprises et particuliers est lui en revanche souvent négligé. Les entreprises sont peu sensibilisées à la pollution lumineuse et utilisent de plus en plus des luminaires aux spectres très agressifs que je qualifierais volontiers d’armes militaires d’éblouissement. La prolifération des enseignes et panneaux lumineux à seul but commercial polluent d’autant plus l’environnement que ce sont des lumières colorées, parfois clignotantes installées le long des routes dans les campagnes. La mise en place d’un garde-fou est nécessaire pour empêcher cette multiplication des sources lumineuses dans l’espace public. Quant aux particuliers, il suffit de penser aux éclairages de Noël que certains installent aujourd’hui très tôt avant les fêtes ! Cet usage est superflu. 

« Aujourd'hui, l'éclairage public représente un tiers de la pollution lumineuse. Les communes et administrations semblent conscientes du souci. L'impact causé par les entreprises et particuliers est lui en revanche souvent négligé. »
Photo : Anna Molzahn.

« La commune de Clervaux a signé un mémorandum d'entente visant à réduire la pollution lumineuse et à promouvoir un meilleur éclairage sur le territoire. »

Vous dites que les pouvoirs publics se sont saisis de ce sujet. Comment cela se traduit-il concrètement ? 

Oui, les pouvoirs publics se sont emparés de la question au Luxembourg. Le gouvernement a notamment beaucoup évolué sur la question des éclairages LED. Il était prévu en 2018 de remplacer tous les éclairages des routes, des places publiques, des bâtiments, des gares et des monuments par des éclairages LED à faible consommation d’énergie d’ici 2025. Ceci était inscrit dans le Plan National intégré en matière d’énergie et de climat pour la période 2021-2030. Celui-ci a finalement été réévalué en considérant de nouveaux critères : les problématiques fines liées à l’éclairage sont désormais mieux prises en compte.  
Pour comprendre l’enjeu, rappelons que l’éclairage public au Luxembourg repose principalement sur les lampes à vapeur sodium haute pression, une technologie vieille de 50 ans au spectre lumineux peu nocif mais dont on ne peut pas réduire la puissance en heures creuses. À l’inverse, les LEDs ont un meilleur rendement énergétique, il est plus simple de régler leur puissance, mais leur spectre lumineux principal (autour de 450 nm) est nuisible pour la biodiversité. S’agissant de l’énergie, il faut également anticiper l’effet rebond que peut provoquer le passage aux LEDs. Là où les LEDs ont été plus largement installées en Europe, une hausse massive de l’éclairage a compensé les économies réalisées sur le coût unitaire. Ces problématiques multiples sont désormais intégrées à la réflexion des pouvoirs publics au Luxembourg.


Quelle serait la première action à mettre en place pour diminuer la pollution lumineuse au Luxembourg ?

Baisser l’intensité et limiter l’éclairage dans le temps et dans l’espace. Il y a deux façons de répondre à l'exigence de limitation dans le temps : l’asservissement, c’est-à-dire le conditionnement de l’éclairage à la fréquentation des gens, ou bien la programmation de baisses générales de l’intensité lumineuse sur certaines périodes. La première requiert d’équiper les luminaires de capteurs de mouvement, la seconde consiste à programmer une baisse générale, voire une extinction de la lumière la nuit et aux heures de faible animation.


Les entreprises marquent-elles un retard en la matière ? 

Les entreprises, en concurrence entre elles pour attire le consommateur, croient que l’éclairage de leurs bâtiments et les panneaux publicitaires stimulent la consommation. À l’heure où l’attention humaine est saturée par l’excès d’information publicitaire, je crois au contraire que trop d’enseignes dessert les entreprises. La méconnaissance du sujet et le faible coût de l’énergie que nous connaissions jusqu’à récemment leur ont fait adopter des pratiques peu responsables et contre-productives. Par exemple, l’éclairage permanent des bâtiments la nuit, censé dissuader la criminalité, facilite en réalité le travail des voleurs alors qu’équipés de détecteurs de mouvement, les luminaires attireraient l’attention sur tout mouvement suspect. Les entreprises ont une responsabilité d’autant plusgrande qu’elles sont souvent situées en périphérie des villes, donc à proximité d’espaces naturels fortement perturbés par ces éclairages.


Quel serait un éclairage responsable pour les entreprises ? 

Le plus important est de choisir des luminaires orientés vers le sol et, lorsque les zones d’activité se trouvent à proximité de zones naturelles, il faut à tout prix éviter la dispersion en installant par exemple des coupe-flux sur les luminaires. Pour réduire l’intensité lumineuse et respecter un spectre lumineux favorable, je recommande des lumières dont la température de couleur est inférieure à 3000 Kelvin et de moduler l’éclairage en fonction du besoin. 

Les entreprises peuvent consulter la brochure Éclairage de zones d’activités et commerciales que nous avons publiée au Parc naturel de l’Our et qui leur est directement adressée.

Photo : Pierre Haas

Exemple de bon éclairage de la voirie, route CR322 à Putscheid.

Lorsque vous sensibilisez les entreprises, les sentez-vous réceptives et conscientes de leurs impacts ? 

Les entreprises se sentent globalement encore peu concernées, principalement par méconnaissance du sujet. Mais la minorité d’entre elles qui me contactent sont proactives dans la démarche. Je les aiguille vers un éclairage de qualité pour un prix raisonnable. Comme pour de nombreux sujets de développement durable, la sensibilisation des entreprises est tributaire du degré de sensibilisation générale dans la société. C’est pourquoi, nous organisons des balades nocturnes accompagnées au parc naturel, où un scientifique explique aux visiteurs les conséquences de la pollution lumineuse sur la faune et la flore et, moi, l’éclairage à privilégier et le bon usage à en avoir. Réduire l’éclairage et utiliser des spectres lumineux plus respectueux de notre santé et de notre environnement augmentera notre sécurité et notre bien-être.


Dans ce contexte de crise énergétique, le sujet devient central ?

Tout à fait. Généralement, les installations aujourd’hui sont suréclairées d’un facteur pouvant se situer entre 2 et 5. Nous gaspillons encore trop souvent de l’énergie au Luxembourg et la crise énergétique que nous affrontons nous oblige à faire des choix :  la priorité est de chauffer les écoles, d’éclairer domiciles et bureaux, non les rues ou les parkings vides la nuit ! La baisse de l’éclairage entraîne directement une baisse de la consommation d’énergie et éradique d’une seconde à l’autre la pollution lumineuse. Réduire le temps d’éclairage et opter pour l’asservissement de la lumière sont des solutions simples. Les communes dans lesquelles nous avons adopté cette stratégie ont économisé 90 % d’énergie par rapport à un éclairage statique. Cette pratique est très pertinente pour les zones qui ne sont pas animées pendant de longues périodes comme les quartiers résidentiels, qui connaissent des pics de trafics seulement aux heures de pointe, et pour la plupart des entreprises qui n’opèrent pas 24/24h et ne nécessitent pas de roulement de personnel. C’est une question pour laquelle tous les acteurs ont leur rôle à jouer !

Photo : Pol Bourkel.

Vue du ciel étoilé au parc naturel de l'Our.

Daniel Gliedner

Daniel Gliedner est l'ancien responsable en éclairage public chez Creos et est actuellement, conseiller en éclairage au sein du Parc naturel de l'Our.