Difficile de comprendre pourquoi les sociétés humaines ne se sont pas encore penchées sur la question de la pollution lumineuse, compte tenu de ses impacts significatifs sur la santé humaine, la biodiversité et la consommation d'énergie, et face à la simplicité des solutions pour y remédier. Une partie de la réponse se trouve dns la biologie et les croyances culturelles erronées concernant l'obscurité - deux obstacles que Samyukta Manikumar cherche à surmonter dans son travail de consultante en conservation de la nuit noire et dans ses projets d'écotourisme.
Basée en Slovénie, elle sensibilise en suscitant la curiosité du public à l'égard du ciel étoilé. Le Sustainability Mag a contacté cette avocate de la nuit pour faire toute la lumière sur cette question.
Slovénie. Église médiévale de style roman faisant écho au cycle des astres et de la lumière.
Une peur séculaire de l'obscurité
Première observation de Samyukta Manikumar, la plupart des gens ont peur de l'obscurité. L'explication tient en deux facteurs : une prédisposition biologique à la lumière, qui se trouve considérablement renforcée par des représentations culturelles erronées.
Comme elle aime le rappeler, les êtres humains dépendent principalement de leur vue pour survivre, car les autres sens comme l'ouïe et l'odorat ne nous permettent pas de recueillir autant d'informations sur notre environnement, contrairement à d’autres espèces. La sélection naturelle pourrait donc expliquer notre peur de l'obscurité : l'espèce humaine a évité les environnements sombres car ils représentaient un danger en raison des prédateurs.
Cependant, cette raison ne suffit pas à expliquer notre réticence à éteindre les lumières en milieu urbain. Selon la militante, cette habitude a plus à voir avec nos représentations culturelles, qui associent l'obscurité au mal et la lumière au bien, qu'avec la biologie. Pensons aux symboles de la nuit : dans la plupart des films et des médias, le personnage maléfique est représenté en noir, et les catastrophes sont appelées "période sombre", alors que les progrès et les améliorations d'une situation dramatique sont caractérisés comme "la lumière au bout du tunnel". Notre langue établit également un lien étroit entre la lumière et le développement : le terme "Lumières" décrit une période de progrès social considérable. Ces représentations sont néanmoins trompeuses comme l’illustre l’exemple de l’association courante entre la lumière et la sécurité, alors que des recherches scientifiques montrent que les lumières non dirigées diminuent légèrement la sécurité en rétrécissant nos pupilles, ce qui nous aveugle partiellement. Déconstruire la peur par l’éducation est une voie prometteuse, car, comme le souligne Samyukta Manikumar, « nous n'avons pas peur de l'obscurité, nous avons peur de l'inconnu associé à l'obscurité ». Ceci souligne la nécessité de sensibiliser les gens au ciel nocturne afin de remplacer l’ignorance de l'obscurité par la connaissance et l'étonnement.
Créer des liens avec le ciel étoilé
Le travail de Samyukta Manikumar consiste à apporter ses conseils et son expertise à des projets de tourisme et de conservation intégrant le ciel nocturne, ou à toute activité qui se déroule la nuit. Cette approche innovante concerne des camps de nuit, des randonnées, mais aussi des activités de navigation, comme son récent travail avec le Centre d'interprétation pour la préservation du ciel noir qui apprend aux touristes à naviguer ou à trouver leur chemin en lisant les étoiles. L’idée est ainsi de renouer avec d'anciennes pratiques culturelles. La passionnée des nuits noires fournit aux touristes informations, itinéraires et recommandations pour l'équipement et l'infrastructure. Elle conçoit aussi des outils de sensibilisation interactifs qui imitent la pollution lumineuse grâce à une image du ciel nocturne et des panneaux coulissants qui obscurcissent certaines étoiles. En outre, elle conçoit ses propres projets d'écotourisme où elle opère en tant que "guide de bain d'étoiles" et initie les visiteurs à des exercices sensoriels afin de prendre conscience de l’éveil des sens permis par la diminution de la vue.
Il est capital d’exhumer les liens étroits qu’entretenaient nos ancêtres avec le ciel étoilé. Les sociétés qui ont peuplé notre Terre par le passé décryptaient le ciel pour de multiples raisons : lire les saisons, connaître le temps ou le moment des récoltes, naviguer ou prendre des décisions collectives... Lors de la conception de projets d’écotourisme, la jeune guide y incorpore des explications sur l'architecture ancienne locale et la façon dont elle était pensée afin de faire écho au cycle de la lumière - les églises médiévales romanes de Slovénie, par exemple, étaient alignées sur des événements astronomiques tels que les équinoxes de printemps et d'automne, et le passage du soleil en Balance.
Il est déconcertant d'observer à quel point nos sociétés contemporaines sont privées de patrimoine nocturne. La pollution lumineuse certes, mais aussi la technicité des connaissances contemporaines liées au ciel étoilé peuvent expliquer ce phénomène. La plupart des gens n'ayant pas de connaissances académiques préalables en astronomie, sciences par excellence de l’observation des astres, se sentent illégitimes d’étudier le ciel en autodidacte. Au contraire, Samyukta Manikumar explique aux touristes que les étoiles et les constellations « sont le fruit de l'imagination humaine » et qu'elles sont très différentes d'une société à l'autre. Pour se réapproprier ce patrimoine, elle les encourage à créer leurs propres constellations.
Les panneaux coulissants qui imitent la pollution lumineuse.
Faire l'expérience de l'obscurité profonde et du ciel nocturne par le biais de l'écotourisme, c’est renforcer sa relation à la nuit et devenir plus réceptif à la préservation du ciel noir ainsi qu’aux recommandations qui sont faites pour réduire l’impact de chacun. Un moyen prometteur de sensibiliser à la pollution lumineuse..
Samyukta Manikumar
Samyukta Manikumar est militante de l'IDA (International Dark-Sky Association).
Elle est diplômée sciences naturelles et passionnée par l'astronomie et son lien avec les pratiques et le patrimoine culturels. Consultante en astrotourisme, elle se consacre à la vulgarisation scientifique et à La Défense du ciel étoilé en Slovénie.
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