Crédit : Arno Mikkor, Aron Urb

« Le Luxembourg devient ainsi le laboratoire idéal pour tester ces différentes idées innovatrices et intelligentes à taille réelle et à une échelle nationale »


INTERVIEW


Sustainability MAG : Le Luxembourg joue un rôle pionnier puisque c’est la première fois qu’un pays décide d’implémenter la Troisième Révolution Industrielle à un niveau national. Quels sont les objectifs que vous vous fixez ainsi pour l’avenir de l’économie luxembourgeoise ?

Étienne Schneider : Alors que l'économie a retrouvé les chemins de la croissance, j’estime que le moment est venu pour le Grand-Duché de revoir sa stratégie pour se diriger vers «_Lëtzebuerg 3.0, voire 4.0 » et assurer ainsi durablement la compétitivité de notre pays. En se basant sur une politique active de développement et de diversification politiques que nous menons avec succès depuis plus de 10 ans, il s’agit de reprendre à notre compte l’idée de la Troisième Révolution Industrielle. Il s’agit d’en faire une vision économique à long, voire à très long terme, en développant une stratégie pour le Luxembourg pour les décennies à venir, adaptée aux conditions spécifiques de notre pays. Propulsé par l’énergie fossile et d’autres matières premières qui deviennent de plus en plus rares, le système économique qui nous a si bien servis jusqu’à présent n’a rien, ni de durable, ni d’équitable. Gouverner c’est prévoir. Il est donc opportun de faire réaliser maintenant une étude stratégique pour identifier de nouveaux modèles de production, d’échange et de consommation dans un contexte de transition économique. Une telle stratégie servira de référence majeure afin de réorienter notre vie économique et de passer le Luxembourg vers une ère post carbone florissante. 

« En nous associant pour ce projet d‘envergure à la Chambre de Commerce, en collaboration avec IMS Luxembourg, nous arrivons à sensibiliser et à mobiliser les décideurs économiques pour notre démarche »

Quels sont les secteurs qui seront principalement concernés par cette initiative ?

Jeremy Rifkin a bien compris que les grandes révolutions économiques de l’histoire se produisent quand de nouvelles technologies des communications convergent avec de nouveaux systèmes d’énergie. L’expert américain est persuadé que la fusion de la technologie d’Internet et des énergies renouvelables peut créer une puissante dynamique de « Troisième Révolution Industrielle ». Or, ce sont justement ces secteurs clés que nous considérons comme prioritaires dans le cadre de notre politique de diversification depuis 10 ans : les TIC, les éco-technologies comprenant la mobilité et la construction durables ou encore les énergies renouvelables, ainsi que la logistique sont déjà particulièrement développées. Soutenu par une économie de partage, le monde imaginé par Rifkin se caractérise par la mise en place de systèmes intelligents capables d'une plus grande adaptabilité, par une allocation plus efficace des ressources et par une interconnexion des systèmes. Cette révolution se matérialise notamment par un passage aux énergies renouvelables, un déploiement massif de technologies de stockage énergétique et une mise en place d’une technologie Internet transformant l’énergie et le transport en un réseau intelligent. Conceptuellement, le Luxembourg est déjà en train de déployer l’infrastructure technologique nécessaire pour décliner concrètement la pensée de Rifkin. Il s’agit par exemple du développement des réseaux à haut débit au niveau national, de l'installation prévue de 850 bornes publiques pour la recharge de voitures électriques sur tout le territoire d'ici 2020 ou encore de la mise en place à partir de 2016 – à travers tout le pays – de compteurs intelligents, pour l’électricité et le gaz.

« Réorienter notre vie économique et passer le Luxembourg vers une ère post carbone florissante »

Comment ce projet va-t-il, selon vous, contribuer à davantage de croissance économique pour le pays ?

Par respect pour les générations futures, il est de notre devoir de mettre le plus tôt possible les bonnes conditions-cadres en place pour un modèle économique qui devrait porter ses fruits à partir de la deuxième moitié du XXIe siècle. Moyennant l’approche visionnaire de Jeremy Rifkin, nous essayons de concevoir d’ores et déjà de nouveaux secteurs d’activité innovants à forte valeur ajoutée pour assurer dans un avenir la croissance de l’emploi, la pérennité de notre système de sécurité sociale et la prospérité générale qui en découlent. Nos plans d’action existant en matière de TIC et de haut débit, de la logistique et du transport, en matière d’énergies renouvelables ou des éco-technologies, ou encore l’étude évaluant le potentiel du développement futur de l’économie circulaire au Luxembourg constituent déjà de puissants leviers d’action pour former une nouvelle infrastructure pour la Troisième Révolution Industrielle. De ce point de vue, et en raison de notre tissu élargi d’entreprises innovantes et dynamiques, le Luxembourg possède déjà bel et bien une longueur d’avance considérable sur d’autres régions qui envisagent de s’engager sur une voie similaire.

Afin de pérenniser à court et à moyen terme la croissance dynamique hors secteur bancaire, nous allons le cas échéant reconsidérer prochainement notre politique de diversification multisectorielle de l'économie luxembourgeoise, après l’avoir soumise à une analyse critique.

« Le Luxembourg est déjà en train de déployer l’infrastructure technologique nécessaire pour décliner concrètement la pensée de Rifkin »

Qu’est-ce qui vous fait croire que le projet tout à fait innovant que vous lancez avec Jeremy Rifkin sera couronné de succès ?

Grâce à son dynamisme, le Luxembourg a démontré son exceptionnelle capacité à se réinventer sans cesse au cours des dernières décennies voire pendant le dernier siècle. Le Luxembourg a muté d’un pays agricole d’abord en un état industriel centré sur l’acier, puis en une place financière d’importance mondiale. De nos jours, une nouvelle mutation est déjà en cours, soutenue par notre programme de diversification économique qui met un accent particulier sur les technologies innovantes. Pour consolider notre modèle de réussite économique à très long terme, nous nécessitons l’implication de l’ensemble des forces vives, et en particulier celle du monde des entreprises. En nous associant pour ce projet d’envergure à la Chambre de Commerce, en collaboration avec IMS Luxembourg, nous arrivons à sensibiliser et à mobiliser les décideurs économiques pour notre démarche. Reposant sur une large orientation transversale, l’étude que nous allons mener se propose d’impliquer outre les TIC, aussi les entreprises et les acteurs actifs dans des secteurs aussi variés que l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, la construction et l’immobilier, l’ingénierie, les technologies spatiales, la santé, les transports et la logistique. Cette mobilisation collective va créer une dynamique qui nous permet à nouveau de prendre une ou plusieurs longueurs d’avance sur d’autres pays.

Vous avez choisi de lancer ce projet à l’occasion de la Présidence du Conseil de l’Union européenne. Quel message politique souhaitez-vous transmettre sur la scène nationale voire européenne ?

En faisant appel à un spécialiste de renommée mondiale en matière de la prospective économique et scientifique comme Jeremy Rifkin, nous attestons être en avance sur notre temps. En adhérant à sa vision stratégique qui bouleverse les modes de raisonnement et d’action traditionnels, nous positionnons le Grand-Duché comme un pays qui souhaite se prévaloir aussi dans un avenir lointain d’un des niveaux de vie les plus élevés grâce à un développement économique durable. Pour y arriver, il nous appartient de préparer le Luxembourg ainsi que l’ensemble des citoyens à un environnement qui est en mutation permanente. L’ouverture d'esprit et nos capacités d’innovation ont été dans le passé les deux forces essentielles qui ont permis au Luxembourg d'avancer. L’étude que nous allons réaliser avec Jeremy Rifkin ambitionne de dessiner les mégatendances pour la mise en œuvre d’une économie pleinement interconnectée au Luxembourg, capable de s'imposer en tant qu’acteur majeur de l'avant-garde européenne voire mondiale. Le Luxembourg devient ainsi le laboratoire idéal pour tester ces différentes idées innovatrices et intelligentes à taille réelle et à une échelle nationale. Le Grand-Duché mutera ainsi en un « living lab » et sera le précurseur des solutions nécessaires pour relever les grands défis du futur.

Étienne Schneider - Vice-Premier ministre, ministre de l’Économie

Étienne Schneider est ministre de l’Économie et du Commerce extérieur depuis 2012. À la suite des élections législatives en octobre 2013, Étienne Schneider est nommé Vice-Premier ministre, ministre de l’Économie, ministre de la Sécurité intérieure, ministre de la Défense.