Photo : Danielle Berna Ost

Parmi tous les facteurs susceptibles de mener au surendettement, un dénominateur commun est la contraction d’emprunts auprès de banques ou d’intermédiaires de crédits. Le manque d’éducation financière joue donc ici un rôle certain et travailler sur cet enjeu apparait dès lors comme un levier clé des politiques de lutte contre le surendettement. En charge du comité de protection du consommateur créé en 2012, la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF) est un acteur incontournable sur ce sujet au Luxembourg. Entretien avec Danielle Berna Ost, Secrétaire Générale de cette institution.


INTERVIEW

Sustainability MAG : Quel est le rôle du comité pour la protection du consommateur et notamment du groupe de travail « Crédits et surendettement » mené par la CSSF ?

Danielle Berna Ost : Le Comité pour la protection du consommateur financier a élaboré une stratégie nationale en matière d'éducation financière qui a été approuvée par le Ministre des Finances en juillet 2017. À cette occasion ce dernier a donné mandat à la CSSF pour développer et coordonner au Luxembourg les activités dans le domaine de l'éducation financière. Suite à une discussion au sein du Comité, il a été retenu de traiter prioritairement 3 sujets dans des groupes de travail dédiés, dont un sur « Crédits et surendettement ». Ce groupe traite des questions relatives au crédit à la consommation et au crédit immobilier ainsi que du risque de surendettement. Au niveau des crédits à la consommation, certains intermédiaires, surtout étrangers offrent des crédits « faciles » aux personnes qui ne reçoivent plus de crédit auprès d’une banque au Luxembourg. L’intervention de ces derniers risque d’aggraver la situation financière des personnes concernées et de les pousser, le cas échéant, vers une situation de surendettement. En ce qui concerne les crédits immobiliers, la situation actuelle au Luxembourg n’est pas sans danger. Une hausse des taux d’intérêt risque de poser des problèmes de remboursement à un certain nombre de ménages.

Selon-vous, comment peut-on prévenir ce risque ?

La meilleure protection contre le surendettement est l’éducation financière. Malheureusement la majorité des personnes ne dispose que de connaissances économiques et financières rudimentaires et bien que le Luxembourg dispose d’une place financière internationale reconnue, le problème du surendettement se pose également au Grand-Duché. Sans être le remède à tous les maux financiers, l’éducation financière constitue un complément important à la protection des consommateurs. L’accès au crédit est devenu aujourd’hui beaucoup plus facile que par le passé. L’acquisition, voire l’amélioration des connaissances des citoyens en matière de gestion de leurs finances personnelles est devenue un requis essentiel afin de permettre à ces derniers de développer un comportement financier responsable. La CSSF est d’avis que chaque individu devrait disposer de connaissances de base du monde financier lui permettant de gérer son argent et d’évaluer les risques financiers relatifs de manière efficace et responsable.

« En ce qui concerne les crédits immobiliers, la situation actuelle au Luxembourg n’est pas sans danger »

Est-ce que d’autres acteurs sont impliqués ?

Le sujet de la protection du consommateur financier touchant de multiples secteurs d’activité, la CSSF a estimé utile de réunir au  sein d’un même comité les principaux acteurs concernés, afin de discuter des différentes approches et de coordonner les actions. Sont par exemple représentés dans ce comité plusieurs ministères (Finance, Économie, Famille, Éducation nationale), des établissements publics (Banque centrale du Luxembourg, Chambre de Commerce, Statec, Université du Luxembourg), des associations professionnelles telles que l’ABBL ou l’ALFI, ainsi que plusieurs associations ayant une expertise liée au sujet (Centre Européen des Consommateurs, Ligue Médico-Sociale et Inter-Actions, Jonk Entrepreneuren, Investas).

Le saviez-vous ?

Seuls 53% des adultes ont des compétences financières au Luxembourg, contre 71% en Norvège. 

(Global Financial Literacy Excellence Center, 2014)

Quelles sont les initiatives imaginées dans le cadre de la stratégie nationale d’éducation financière ?

La stratégie nationale cible l’ensemble de la population, quel que soit le groupe d’âges. Elle donne non seulement un aperçu des initiatives existantes en matière d’éducation financière au Luxembourg, mais énumère par ailleurs les propositions de projets à réaliser en faveur des différents groupes cibles. L’objectif est de développer les connaissances financières des consommateurs, promouvoir un comportement financier responsable et préparer les jeunes le plus tôt possible à l’environnement économique devenu plus complexe.

Ainsi, un des objectifs à atteindre est l’intégration de l’éducation financière dans les curriculums scolaires afin d’en faire bénéficier l’ensemble des élèves. Nous avons commencé à développer un site Internet indépendant dédié exclusivement à l’éducation financière. Une autre idée consiste à développer une application mobile pour sensibiliser les jeunes à gérer leur propre budget. Dans le cadre de l’atelier de co-création organisé par IMS Luxembourg sur le sujet de surendettement, un groupe de travail, auquel la CSSF a participé, a abordé la question du contenu d’une telle application.

Le point de vue de ...
Sarah Mellouet
économiste chez Idea

Sustainability MAG : Quel regard portez-vous sur la stratégie nationale d'éducation financière ?

Sarah Mellouet : La stratégie publique approuvée en 2017 est un premier pas dans la structuration de l’approche de la problématique d’éducation financière au Luxembourg, complémentaire aux différentes initiatives privées. L’objectif principal devrait être qu’un nombre croissant d’élèves puissent bénéficier des formations aujourd’hui dispensées ponctuellement par des organisations comme Jonk entrepreneuren, qui familiarisent avec les fondamentaux financiers.

De quel pays le Luxembourg devrait-il s’inspirer ?

Si l’on s’en tient aux résultats du test PISA mesurant les aptitudes des élèves en matière d'éducation financière, les jeunes flamands (Belgique) se classent deuxième, derrière ceux des villes chinoises de Pékin, Shanghai, Jiangsu, Guangdong. L’Autorité des services et marchés financiers belge (FSMA) élabore ainsi du matériel pédagogique et soutient les enseignants notamment à travers le programme Wikifin.be afin de contribuer à faire de l’éducation financière une compétence de base chez les jeunes.

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