Crédit : IMS Luxembourg, Patrick Mesters à la conférence « Burn-out : briser le tabou », le 11 octobre 2016.

« Un épiphénomène qui nous renvoie à une organisation particulière du travail et un syndrome de civilisation »


INTERVIEW


Sustainability MAG : Le burn-out est souvent décrit comme le mal des temps modernes, que recouvre t-il ?

Patrick Mesters : C’est un groupe de symptômes que nous découvrons depuis 10-15 ans dans nos pays. Historiquement, le terme est apparu aux États-Unis en 1974 lorsque Freudenberger, psychiatre, a remarqué que les collaborateurs dont il avait la responsabilité souffraient d’une baisse de moral, d’enthousiasme et du niveau d’engagement.

Le burn-out se caractérise par un épuisement physique, une hypersensibilité, une déshumanisation, de l’agressivité, un sentiment d’insatisfaction professionnelle, un dégoût, un désengagement alors que le métier en soi reste digne d’intérêt. Plus largement, l’épuisement professionnel, c’est un « épiphénomène » qui renvoie à une réflexion portant sur le contexte socio-économique, les valeurs de notre société et la place de l’humain au sein de celle-ci. Dans la gestion du burn-out, il n’y a, a priori, pas de coupable. Cependant, la responsabilité est partagée et repose sur chacun, individus, organisations et société.

Quels sont les facteurs déclenchants ?

Les facteurs du burn-out sont quant à eux multifactoriels. Il peuvent être expliqués par le fonctionnement particulier de certaines personnes ou bien sont liés à l’organisation du travail, à la qualité des relations entre collègues et avec la hiérarchie. Au niveau de l’organisation du travail, la recherche démontre que l’absence de reconnaissance de la qualité du travail ou simplement de la valeur ajoutée du collaborateur va favoriser les brisures.

Aussi, la charge de travail et le déséquilibre entre vie privée et vie professionnelle sont généralement déterminants, tout comme le niveau d’implication du collaborateur dans la stratégie et la fixation des délais dont il a besoin pour réaliser un travail. Les NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) rendent également les salariés joignables en permanence, ce qui réduit le fossé entre vie privée et professionnelle. Et là, nous voyons pointer la responsabilité du management lorsque celui-ci n’est pas à l’écoute de la réalité du terrain voire même met une pression exagérée, tel le micro-management qui consiste à contrôler heure par heure le comportement des individus. La disparition des valeurs est aussi au cœur de cette question. Il y a trop souvent une contradiction entre les valeurs décrites sur le site web et la réalité en entreprise.

Enfin, il y a ce que nous appelons la « qualité empêchée » lorsqu’un individu spécialiste dans son métier, étant donnée la pression organisée, ne va pas pouvoir livrer un travail qualitatif. Dès lors, ce travail perd du sens. Cette frustration permanente va entraîner une « dissonance psychologique intérieure », une cassure provoquant la rupture de l’équilibre de l’individu.

« La perpétuation de ces symptômes nous renvoie à la possibilité de l’existence d’un management toxique révélateur d’un burn-out au niveau du système »

En tant que neuropsychiatre, comment caractériseriez-vous ce phénomène chez l’individu_?

Le burn-out est la conséquence de perturbations physiques, biologiques, hormonales qui provoquent notamment des lésions cardiaques, immunitaires ou digestives. Des études ont en effet prouvé qu’un excès du temps de travail, soit plus de 50 heures par semaine pendant plusieurs semaines consécutives, augmente de 30% le risque d’hémorragies cérébrales par rapport à une population normale. Notons que 6% des salariés désespérés auraient planifié un suicide à cause du travail et 3% disent qu’ils ont déjà effectué une tentative au Grand-Duché de Luxembourg. Or, les personnes au bord du burn-out ne se plaignent que très rarement. Elles ne consultent qu’en cas d’extrême urgence, poussées par la famille ou le médecin traitant. Beaucoup refusent même l’arrêt de travail.

Y a t-il des populations plus « à risque » ?

Le phénomène concerne toutes les couches de la population y compris les chefs d’entreprise, les membres de la direction et le corps politique. Le burn-out surgit dans la vie de personnes dévouées, consciencieuses, qui aiment leur métier et nourrissent un idéal. Les secteurs les plus « à risque » sont ceux de la santé, de l’éducation, de la finance et du transport. Ces populations exercent des métiers où la pression est forte et la charge émotionnelle importante. Les femmes constitueraient également un groupe « à risque » car elles assument dans la vie plus de rôles que les hommes : mère, compagne, partenaire ou soutien de famille. Elles doivent également faire carrière dans un environnement professionnel où la discrimination liée au genre sévit parfois. 

Au-delà de ces brisures humaines fondamentales, quelles sont les conséquences pour l’entreprise ?

Tout cela au niveau macroscopique coûte de l’argent : absentéisme, accidents, conflits relationnels avec les clients, plaintes à l’encontre des employés, erreurs, procès, violences, harcèlements. Les conséquences sont multiples : les troubles musculo-squelettiques (TMS) et le stress représentent la première cause d’absence au travail. Selon la Caisse de maladie au Luxembourg (CNS), chaque année, 22 000 heures d’arrêt maladie déclarées sont dues au harcèlement au travail ou au stress et 50 à 60% de l’absentéisme serait causé par le stress au travail. Globalement, les coûts directs du stress au travail seraient de l’ordre de 4% du PIB dans les pays industrialisés. Plus encore, la perpétuation de ces symptômes nous renvoie à la possibilité de l’existence d’un management toxique qui est révélateur d’un burn-out au niveau du système, c’est-à-dire de l’entreprise elle-même.

Aujourd’hui, voyez-vous des avancées remarquables dans certains pays européens ?

Certains pays commencent à mettre en place des lois, notamment en Belgique avec la législation sur la protection des risques psychosociaux où la responsabilité de l’entreprise est engagée. La reconnaissance officielle du harcèlement existe également. Au Grand-Duché de Luxembourg, le débat reste manifestement ouvert.

En quoi placez-vous vos espoirs ?

Notre espoir et notre confiance dans l’avenir résident dans le courage et le bon sens des hommes et des femmes qui, se sentant concernés par la situation, se donnent les moyens d’initier le changement. Pouvoirs politiques, dirigeants d’entreprise, employés sont concernés par l’urgence de la situation. Les motivations pour la prise d’action sont variées. Elles sont d’ordre économique, humaniste ou dictées par l’obligation de se conformer aux exigences des lois régissant la prévention du risque psychosocial.

Nous avons encore souvent cette idée faussée que le burn-out est un signe d’incompétence, de fragilité psychologique, alors qu’il est révélateur d’un dérèglement de l’organisation. Certaines entreprises s’attaquent à ce sujet avec des bénéfices chiffrables et tangibles : qualité de la performance, niveau d’engagement et du bien-être, diminution des coûts relatifs à l’absentéisme, attractivité et fidélisation des employés. Les organisations qui osent affronter le burn-out de face sont des organisations qui en sortent grandies.

Patrick Mesters

Patrick Mesters est médecin, neuropsychiatre, fondateur et directeur de l’Institut Européen de Recherche sur le Burn-Out, maître d’enseignement à l’Université Libre de Bruxelles et co-auteur de Vaincre l’épuisement professionnel. L’Institut, composé d’un réseau de coaches et de consultants européens, intervient en Europe depuis 2006 à travers des enquêtes sur le bien-être et les risques psychosociaux, la mise en place de plans d’actions et de politiques de prévention ainsi que de la prévention avec des coaching individuels et d’équipe.

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