Portrait de femme
Jana Messer dirige l’aciérie du site sidérurgique de Differdange. Cette germanoluxembourgeoise de 49 ans anime chez ArcelorMittal une équipe de 230 personnes réparties sur les secteurs de la production de la maintenance et de l’ingénierie. Sa mission consiste à réaliser la production, d’un million de tonnes d’acier par an tout en veillant aux coûts de production mais aussi à assurer la sécurité et la prévention des accidents de travail. Rencontre avec une femme leader évoluant en univers masculin.
Chimiste de formation et dotée d’une spécialisation nucléaire, Jana a fait ses études en Allemagne de l’Est. À l’université, sa classe était composée pour moitié d’hommes et de femmes. « En RDA chaque femme travaillait, personne ne restait à la maison donc la répartition hommes-femmes était très homogène, même en sidérurgie », se souvient-elle. En arrivant au Luxembourg, ce fut une grande surprise lorsqu’elle découvrit qu’elle était l’unique femme de l'équipe.
Aujourd’hui encore, seulement trois femmes de son équipe sont rattachées au service production. Comment expliquer cette supériorité numérique masculine ? Pour Jana, le problème est double. Du côté de l’offre, les recruteurs n’embauchent pas assez de femmes estimant qu’elles n’ont pas les épaules assez larges pour supporter les conditions difficiles. C’est pourquoi ils cherchent souvent à les orienter vers de postes d’achat, de finance ou de secrétariat mais rarement des postes liés directement à la production de l’usine. En outre, du côté des candidates, les femmes elles-mêmes en viennent à douter de leurs compétences et s’autocensurent : « Moi-même lorsque j’ai décroché ce poste de chef de production, j’ai d’abord cru que je n’étais pas à la hauteur. J’ai donc fait passer un questionnaire à tous les niveaux de la hiérarchie pour recevoir un feedback de mon travail. Ce fut un réel cadeau et soulagement lorsque les retours positifs m’ont fait prendre conscience de ma légitimité. »
Une autre cause, peu souvent mise en avant, est l’inégale répartition des tâches domestiques. Les horaires de postes sont mal adaptés à un équilibre vie professionnelle/vie privée. Dans beaucoup de foyers, c’est encore la femme qui s’occupe des enfants, de la cuisine, du ménage … C’est sur un ton ironique mais authentique que Jana affirme : « mes collègues ingénieurs rentrent très tard le soir mais moi je ne peux pas me le permettre car je n’ai pas de chemise repassée qui m’attende en rentrant. Fort heureusement, ce n’est pas le cas dans toutes les familles, j’ai une collègue qui tire au sort avec son mari les tâches domestiques et ce système fonctionne très bien ». Il est intéressant de noter toutefois que si les regards évoluent sensiblement sur le lieu de travail, il reste bien du chemin à parcourir dans la sphère domestique.
Le parcours de Jana a souvent été semé d’embûches. Sur d’autres sites, les supérieurs ont maintes fois essayé de l’orienter vers des postes de qualité mais jamais de production car… « c’est une femme ». Mais elle ne s’est jamais laissée décourager. Pour tenter d’affronter les stéréotypes, Jana utilisait des codes masculins pour se faire respecter en début de carrière, mais sans succès : « j’avais beau faire tous les efforts du monde, je n’étais pas un homme alors pourquoi l’imiter ? Il fallait que je trouve mon propre style, être moi-même ». C’est donc plutôt dans sa manière de communiquer que Jana a dû changer quelques détails en adaptant ses messages.
Au cours de sa carrière, Jana a remarqué une évolution des regards : « Mon autorité est désormais très bien perçue, je n’ai plus de remarques désobligeantes et j’apprécie beaucoup de pouvoir travailler main dans la main avec des hommes. Cependant nous ne sommes pas encore assez de femmes, j’essaie de développer les embauches car la diversité est un énorme gain pour n’importe quelle entreprise. Une confrontation des points de vue permet d’aboutir aux meilleures solutions. L’égalité homme-femme n’est cependant qu’un aspect de la diversité, il y en a bien d’autres tout aussi importants ! »
Jana donne un conseil à toutes les femmes qui souhaiteraient gravir les échelons. « Chaque femme devrait essayer de se créer un réseau, se chercher un mentor si possible le plus haut placé dans la hiérarchie qui puisse à un moment donné la soutenir comme moi on m’a soutenue pour ce poste à Differdange. Je ne parle pas de délégué des femmes, mais d’une tutrice ou d’un tuteur unique que chaque femme essaierait de se chercher pour construire sa propre carrière. Car clairement, personne ne va venir nous voir pour nous demander quel poste on vise. »
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