Saviez-vous qu’acheminer 1 kilo de sucre de canne dans nos rayons représente une distance de 11 000 km parcourue supplémentaire par rapport à du sucre produit localement ? Ou encore que la consommation d’un ananas du Ghana en Europe représente 5 kg de CO2 rejetés dans l’atmosphère ? C’est ce que révèle l’Observatoire Bruxellois de la Consommation Durable en s’intéressant aux kilomètres dans notre assiette. Et l’organisation n’est pas la seule à se pencher sur les répercussions de la mondialisation... De plus en plus de questions émergent quant à notre consommation de denrées issues de transports longue distance.



Quels sont les impacts nutritionnels, sociaux et environnementaux de notre alimentation ? Sur l’économie régionale ? Pour la sécurité alimentaire en cas de crises, de pénuries, de catastrophes, de bouleversements politiques ? Le bruit court qu’un mouvement prend de l’ampleur pour un changement d’échelle du système alimentaire… C’est le retour retentissant du local !

Demain, tous locavores ?

Vous êtes-vous déjà demandé à quoi bon importer des pommes de Nouvelle-Zélande, des haricots du Kenya ou des pommes de terre d’Israël, alors que nous pouvons cultiver, facilement, tous ces produits chez nous ? Si oui, cette réflexion était sûrement le fruit du locavore qui sommeille en vous. Loca quoi ?

Né à San Francisco il y a 15 ans, le mouvement locavore prône la consommation de denrées alimentaires produites à l’échelle locale. Pour certains, cela signifie dans un rayon maximum de 100 kilomètres autour du domicile. D’autres élargissent le périmètre jusqu’à 250 kilomètres. Au-delà d’un rayon kilométrique précis ou des frontières, le locavorisme, c’est au départ l’idée de privilégier des aliments dont le transport, plus court, engendre moins de pollution. À cela s’ajoutent davantage de traçabilité, des marges intermédiaires réduites, un accès facilité à des produits frais, sains et de saison ou encore le soutien aux producteurs régionaux. De nombreuses raisons qui motivent ainsi les individus à adopter ce régime locavore. Le résultat : un mouvement vecteur de lien social et de dynamisation de l’économie locale, permettant d’agir concrètement pour des modes de consommation plus durables près de chez soi. Alors demain, tous locavores ?

Des marques qui misent sur la proximité

Pour répondre aux prises de conscience des mouvements locavores, des entreprises ambitieuses font le choix de se réinventer. Ainsi, à travers des offres qui se relocalisent, il semblerait bien que pour les entreprises visionnaires, la tendance soit à la proximité alimentaire.

C’est dans cette optique que le patron de Danone décrète, l’année dernière, la faillite du système alimentaire standardisé. Avec cette déclaration, il dévoile la mue du géant de l’alimentation vers une multiplication des marques locales. Une nouvelle stratégie pour le groupe, désireux de devenir « l’entreprise globale la plus locale », garante d’une agriculture durable. Le dirigeant parle d’une « révolution de l’alimentation » pour un modèle réconciliant la sécurité alimentaire et la planète. Dans son élan, en juin dernier, Emmanuel Faber convainc 99,4 % des actionnaires de transformer le statut du groupe en entreprise à mission. Selon lui, « les marques doivent devenir une bannière de ralliement d'une vision du monde et d'une posture, mais pour cela, il faut qu'elles en apportent les preuves. Les gens ne se satisfont plus de ce qui est sur l'étagère, ils regardent le produit pour savoir d'où il vient, comment il est fabriqué et qui est derrière ».

La souveraineté alimentaire

Depuis quelque temps, le concept de souveraineté alimentaire fait également beaucoup parler de lui. Pour 2020, cette montée en puissance peut notamment s’expliquer par une prise de conscience renforcée par la crise sanitaire et le confinement. Au cours de ces temps particuliers, les questions liées à la dépendance alimentaire se sont accentuées... Ce, tout particulièrement au Luxembourg. 

Et pour cause, le Grand-Duché est actuellement très subordonné aux importations pour nourrir sa population. C’est le cas notamment des légumes-feuilles et des légumes-fruits, essentiels pour un régime sain, dont les importations actuelles avoisinent, selon Trademap, les 97 %. Avec de tels chiffres, bien que les frontières ne représentent pas forcément un aspect discriminant pour consommer local, le pays dispose d’une marge d’amélioration considérable pour apporter sa pierre à l’édifice de l’alimentation durable. 

D’autant plus qu’en 2018, le Ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable estimait à environ 925 tonnes les émissions de CO2 liées aux importations de nourriture au Grand-Duché. Un chiffre énorme pour la taille du territoire puisqu'une tonne de CO2 à elle seule représente l’équivalent d’un road trip aller-retour de Luxembourg à Moscou !

La réduction des intermédiaires et des distances parcourues pour l’acheminement des aliments de nos assiettes permettrait de faire chuter considérablement ces émissions et semble nécessaire pour un avenir plus sobre en carbone.

Seulement voilà… Le Ministère de l'Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural nous apprend qu’entre 1990 et 2015, le nombre total d’exploitations familiales au Luxembourg est passé de 3 768 à 1 880. Comme partout ailleurs en Europe, le nombre de surfaces agricoles et la part de la population paysanne sont en chute libre. Ainsi, dans le contexte actuel, la souveraineté alimentaire a encore l’allure d’une douce utopie. Et pourtant, elle est essentielle. Car en plus de représenter des risques considérables pour l’avenir du secteur, ce recul généralisé du monde paysan, vécu en l’espace d’une seule génération, marque aussi une distanciation de plus en plus importante entre le consommateur et son alimentation.

Le saviez-vous ?

Selon des estimations, 15 à 20 % de la production alimentaire mondiale est actuellement cultivée dans les villes et les communautés. 

(Étude stratégique « Troisième Révolution Industrielle Lëtzebuerg », 2016)

Quand local rime avec Grand-ducal

Vous l’aurez compris : c’est l’heure de réinventer la recette. Pour les consommateurs, on parle de favoriser l’achat de produits locaux. Quant aux entreprises, il s’agit d’envisager un décloisonnement et un développement collaboratif des secteurs économiques jusqu’alors organisés suivant une logique de silos verticaux. À l’échelle nationale et transrégionale, c'est l'idée de mettre en place une stratégie holistique, fédératrice et solidaire, pour atteindre la souveraineté alimentaire et promouvoir une consommation contiguë. On parle ici de produire, transformer, distribuer, consommer et recycler la nourriture, sur base d'une interdépendance salvatrice pour l’Homme et pour la planète. Bref, d’un système alimentaire résilient pour demain.

Les connaisseurs nous voient venir : c’est le concept de circuits courts. Et pour promouvoir ce mode de consommation, de nombreuses initiatives germent et grandissent au Luxembourg. 

Petits et grands peuvent, par exemple, devenir des producteurs-consommateurs. C’est-à-dire, s’investir au sein d’un jardin communautaire qu’ils trouveront près de chez eux grâce au portail des jardins potagers au Luxembourg « Eise Gaart »  ou créer leur propre plantation à la maison. Et puis, pourquoi ne pas également approfondir ses connaissances sur la permaculture à l’école ou en formation ? Pour ceux qui n’ont pas la main verte, pas d’inquiétude. Il est possible de devenir membre d’une coopérative comme AlterCoop ou de favoriser l’achat de produits locaux grâce au réseau d’agriculture solidaire Solawi, ou encore la plateforme Supermiro. Toutes ces initiatives font baisser le kilométrage alimentaire des produits : elles créent du lien social et diversifient les sources de production et les échanges.

Le saviez-vous ?

Le Luxembourg se fixe un objectif de production de 20 % de ses besoins alimentaires à l’horizon 2030. 

(Stratégie Nationale Urban Farming Luxembourg, 2019)

Moins d’emballages, moins d’émissions, moins de pertes alimentaires, plus de transparence, plus de confiance… Les acteurs économiques se mobilisent de plus en plus autour de ces questions. Et le paysage luxembourgeois commence à dessiner de nouvelles synergies pour des modèles alliant impacts socio-écologiques positifs et dynamisation économique. C’est le cas par exemple du Pall Center et de LuxAir qui favorisent les partenariats avec les fournisseurs locaux, ou encore de Sources Rosport qui choisit de ne pas exporter ses produits et sélectionne ses fournisseurs de matières premières sur base de leur proximité avec le site de production.

Côté politique, le Gouvernement luxembourgeois se veut, lui aussi, le promoteur d’une alimentation plus locavore. Il multiplie donc les démarches pour avancer dans ce sens. Pour en citer quelques-unes de manière rétrospective, il y a d’abord l’étude stratégique de la troisième révolution industrielle (TIR) menée en 2016 et comprenant un volet dédié au futur de l’alimentation pour le Grand-Duché, avec différentes mesures stratégiques ambitieuses sur le plan local. Deux ans plus tard, en janvier 2018, le pays a procédé à la refonte du programme d’aménagement du territoire (PDAT). Lorsque les citoyens ont été invités à participer au processus, leurs revendications étaient claires : alimentation de qualité, utilisation optimale des ressources et agriculture raisonnée. Plus récemment, en juin 2020, le ministre de l'Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, Romain Schneider, a présenté un plan de relance pour l'agriculture doté d'une enveloppe globale de 5 millions d'euros. Lors de son annonce, le ministre a alors rappelé que « la pandémie aura eu un effet positif : celui de faire prendre conscience du travail des agriculteurs dans la chaîne d'alimentation, de la vraie valeur qualitative de leurs produits, et des dangers d'une trop grande dépendance alimentaire vis-à-vis de l'étranger ». C’est avec cette prise de conscience que le plan de relance s’engage tout particulièrement à la diversification de produits agricoles locaux de qualité et distribués au sein de circuits courts.

Pour ce qui est des perspectives d’avenir sur le territoire, le Luxembourg semble aussi miser sur l’innovation puisqu'il est le premier à se doter d’un Food Council à l’échelle nationale et d’une stratégie d’Urban Farming visant à faire des villes luxembourgeoises de vraies contributrices alimentaires. Autant d’initiatives prometteuses pour répondre à un besoin accru de reconnexion à la terre nourricière et raccourcir les liens - et les kilomètres - qui existent de l’étable à la table.

Convaincus ou curieux de tester ?

Aussi bien pour les ménages que pour les chefs, SOS Faim a réalisé une cartographie des points de vente locaux à travers tout le Luxembourg.