Photo : Alexis Rosenfeld

L’océan joue un rôle crucial dans la régulation du climat, la conservation de la biodiversité et l’approvisionnement en ressources de l'économie mondiale. Sa protection est donc une priorité incontournable, surtout à l'heure où les pressions anthropiques s'intensifient et mettent en péril la santé des écosystèmes marins. Les menaces qui pèsent aujourd’hui sur cette biosphère en font une véritable bombe à retardement. Il devient impératif de davantage comprendre ces phénomènes afin de pouvoir mieux protéger nos océans.



Des océans menacés de toutes parts

La biodiversité marine est en danger et les rapports se multiplient pour sonner l’alarme. La plateforme intergouvernementale sur la biodiversité (IPBES) a ainsi classé 66 % des écosystèmes marins en état de forte dégradation. Les Nations unies ont déclaré en février dernier près de la moitié des espèces migratrices en déclin et plus de 20 % d’entre elles en voie d’extinction. Dans cet état des lieux édifiant, la menace la plus préoccupante est celle qui pèse sur les poissons migrateurs, avec 97 % des espèces au bord de l'extinction. Cette chute de la biodiversité signe un constat sans appel: le milieu dans lequel évoluent ces espèces subit des mutations inédites qui le placent au seuil de l’effondrement.

Premier constat, l’important réchauffement de l’océan. Rappelons que les écosystèmes marins absorbent plus de 90 % de l’excès de chaleur lié à l’effet de serre. En conséquence, la température moyenne de l’océan de surface - entre 0 et 75 m de profondeur - a augmenté depuis les années 1970 de 0,11°C par décennie. Et le rythme s’accélère : depuis 1990, le taux de réchauffement des océans a plus que doublé selon le GIEC. Le phénomène est particulièrement important en Arctique où la température de l’air à la surface augmente environ deux fois plus vite que la moyenne mondiale, accélérant le processus de montée du niveau de la mer. Constat préoccupant, les jours de vagues de chaleur marine ont augmenté de 54 % en un siècle. Ces épisodes favorisent la survenance des événements extrêmes, mais aussi constituent de véritables points de bascule, entraînant une mortalité de masse chez de nombreuses espèces marines comme les coraux ou les forêts de laminaires.

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Le réchauffement des océans favorise le développement d’espèces invasives telles que les algues ou encore les méduses.

Dans les processus océaniques, l’importance du rôle joué par les courants dans la régulation de la température et de la prolifération du carbone est cruciale. Toutefois, le changement climatique vient perturber ces processus et favorise une stratification des océans ainsi qu’une perte en oxygène. (Voir à ce propos notre interview du grand spécialiste des océans et du climat, le professeur Hans-Otto Pörtner).

Le milieu marin est à l’origine de la moitié de la production d’oxygène sur la planète, mais, en 50 ans, le taux global d’oxygène y a diminué de près de 2 %. Selon une étude de l’université de Shanghai, les signaux de désoxygénation pourraient apparaître dans 72 % des zones océaniques mondiales d'ici 2080 (Hongjing Gong, Chao Li, Yuntao Zhou, 2021). Ce phénomène d’hypoxie est renforcé par les apports excessifs d’azote et de phosphore, provenant des stations d’épuration ou des entrants agricoles, autrement désignés sous le terme d’eutrophisation. Aujourd’hui, les scientifiques redoutent que la désoxygénation puisse engendrer une modification du cycle de l’azote, avec pour conséquence l’émission de protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre dont l’impact potentiel est 300 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone. Une véritable bombe à retardement...

Un autre phénomène est l’acidification des océans. Celle-ci a augmenté de 26 % par rapport à l’ère pré-industrielle et certains modèles prédisent une augmentation de 150 % de l’acidité d’ici à 2100. En effet, les océans constituent une puissante pompe à carbone et la dissolution du CO2 dans l’eau de mer provoque une baisse du pH, à savoir une acidification du milieu. Celle-ci, couplée à une diminution de la quantité d’ions carbonates, est particulièrement dommageable pour les plantes et animaux marins à squelettes ou coquilles et autres structures calcaires. Aussi, plusieurs études montrent qu’avec la chimie altérée des océans, leur fonction de puits de carbone serait à terme amoindrie, conduisant à de potentielles rétroactions dans le système climat-cycle du carbone, et ainsi à accélérer le changement climatique.

À ces menaces, toutes reconnues d’origine anthropiques, s’ajoutent des pollutions plus directement signées de la main de l’Homme et qui mettent les océans sous pression inédite. Eaux usées, pesticides, métaux lourds, antibiotiques, hydrocarbures... la liste est longue des polluants déversés dans le milieu marin. La pollution plastique compte sans doute parmi les plus visibles, avec jusqu’à 17 millions de tonnes qui finissent en mer en une année. C’est plus d’une tonne de ces déchets qui se déverse dans les océans toutes les trois secondes. Les plastiques représentent l’essentiel des déchets océaniques, à savoir 85 % du total.

Régions où se sont produits les événements extrêmes en lien avec les changements affectant l’océan.

Selon l’organisation Sea Cleaners, plus d’1,5 million d’animaux marins en meurent chaque année et 90 % des espèces marines sont impactées par cette pollution, des cétacés jusqu’au plancton. Rappelons qu’à ce jour encore 32 % des plastiques fabriqués finissent dans la nature, et en particulier dans l’océan.

Au-delà de la pollution chimique des océans, les nuisances sonores et lumineuses sont aussi pointées du doigt. Ainsi, les bruits liés essentiellement au transport maritime, mais aussi aux forages ou autres explorations des fonds marins interfèrent avec les sons naturels. Les cétacés qui communiquent sur le même type de fréquences pour s’orienter, se nourrir, ou se reproduire sont notamment impactés. Selon une étude, la portée du chant de la baleine bleue est aujourd’hui réduite de 90 %.

Une autre pression anthropique particulièrement impactante est l'extraction des ressources océaniques, des métaux rares au sable, en passant par les ressources vivantes avec bien sûr la surpêche. Selon la FAO, 34,2 % des stocks mondiaux de poissons sont épuisés ou surexploités, 43 % dans l’Atlantique Nord-Est et 83 % en Méditerranée. Cet effondrement des ressources halieutiques pose une question de sécurité alimentaire dans de nombreuses régions du globe. Les pratiques des bateaux usines sont particulièrement en cause. Les méga-chalutiers pélagiques, véritables titans des mers mesurant jusqu’à 145 mètres de long, peuvent capturer jusqu’à 400 tonnes de poissons par jour, soit l’équivalent de 1 000 navires de pêche artisanale.

Enfin, le tourisme côtier et maritime exerce une pression considérable sur les écosystèmes marins déjà substantiellement fragilisés. La surfréquentation des sites touristiques, les déversements de déchets résiduels et les dommages causés par les activités nautiques menacent la biodiversité marine et les écosystèmes littoraux. Pour atténuer ces impacts, une sensibilisation accrue des touristes est essentielle pour encourager le respect de la faune et de la flore marines, protéger les sites sensibles et promouvoir un tourisme responsable.

Photo : Alexis Rosenfeld

La surexploitation du sable

Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, 50 milliards de tonnes de sable et de graviers – soit un million de camions de 15 tonnes par jour – sont extraites chaque année dans le monde. Utilisé dans la construction, les matériaux numériques, ou encore dans la production du verre, le sable est ainsi la deuxième ressource utilisée après l’eau. Les opérations de dragage conduisent à la destruction des habitats de biodiversité, à l’érosion du littoral, et à la salinisation des aquifères, menaçant ainsi les nappes phréatiques. L’ONU alerte sur ce phénomène et invite les industries à mettre en place des procédés circulaires pour éviter la surexploitation de cette ressource stratégique.

Mieux comprendre

Comme le rappelle l’UNESCO, « pour faire face aux problèmes globaux et garantir l'utilisation durable des ressources marines, la recherche fondée sur les données, la conservation et la gestion des océans sont essentielles. » Mieux comprendre les immensités bleues, c’est aussi l’ambition du projet d’exploration scientifique « 1 OCEAN » fondé par l’organisation internationale et le photographe des profondeurs Alexis Rosenfeld. L’objectif visé est de répertorier la richesse océanique, d’explorer le milieu et de le comprendre par la science (phénomènes, écosystèmes, espèces) mais aussi de créer une émotion en émerveillant le plus grand nombre afin d’inciter chacun à préserver ce trésor mal connu.

La compréhension des océans dans sa globalité reste complexe. Pourtant, mieux décrypter ces mécanismes permettrait une meilleure anticipation des variations climatiques et une évaluation plus précise des impacts anthropiques. C’est la raison pour laquelle Mercator Ocean International développe des modèles numériques d’analyse et de prévision océaniques depuis plus de vingt ans. Son nouvel objectif : développer le jumeau numérique de l’océan. Il s’agit selon l’organisation de « fournir une description virtuelle cohérente, à haute résolution, multidimensionnelle et en temps quasi réel de l'océan. Cela inclut ses dimensions physiques,
chimiques, biologiques et socio-économiques. » Cet outil d’aide à la décision permettra de dresser un diagnostic précis et d’identifier les meilleures pratiques et solutions, grâce à l’utilisation de données satellitaires, de milliers de capteurs, et avec le support de l’intelligence artificielle.

Vers une protection systémique ?

Afin de protéger les écosystèmes océaniques et les processus atmosphériques sous pressions anthropiques, il existe des cadres internationaux. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) datant de 1982 constitue le socle juridique du droit relatif aux océans. L’Objectif de Développement Durable 14 des Nations unies, adopté en 2015, rappelle quant à lui l’ambition de « Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable ». Le but est de placer la gouvernance des océans au centre du dialogue.

De plus, l’organisation internationale a proclamé la décennie pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030) afin de préserver le domaine marin. Plus récemment, en juin 2023, après 18 années de négociations, les 193 États membres ont adopté un accord historique : le traité international de protection de la haute mer. Son objectif est de protéger l’environnement marin allant au-delà des frontières nationales initialement couvertes par la convention des Nations unies sur le droit de la mer. Ce traité est l’occasion de concrétiser les ambitions de l’Accord de Kunming - Montréal en créant un outil pour atteindre les objectifs de conservation visant à protéger au moins 30 % de notre planète d’ici 2030 (l’objectif 30X30). Cependant, ces avancées déclaratives doivent être mises en oeuvre sur le terrain et de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer des aires marines protégées (AMP) très théoriques. « Sur les quelque 10 000 aires marines protégées existantes au niveau mondial, nombreuses le sont seulement sur le papier », rappelle la plateforme Océan & Climat. « Une des principales difficultés dans le fonctionnement d’un réseau d’AMP est leur gouvernance et leur cogestion entre les acteurs publics, les secteurs professionnels et les usagers de la mer. » Une étude publiée en 2024 par l’association de défense des océans Bloom interpelle sur l’efficacité des AMP et établit que la pêche au chalut est pratiquée dans 60 % de ces zones supposées sous protection en Europe. La troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan, se tiendra à Nice en juin 2025, conjointement organisée par les gouvernements de la France et du Costa Rica.

Photo : Alexis Rosenfeld
Le saviez-vous ?

Sous l’effet de la chasse intensive, de l’exploitation pétrolière, des pollutions chimiques et sonores ou encore de la pêche intensive du krill – sa principale source de nourriture –, ce sont en tout 70 % des populations de baleines bleues qui se sont éteintes en l’espace d’une dizaine d’années seulement. Elle est encore chassée en Norvège, au Japon et en Islande.

Source : Conservation Nature

Elle sera l’occasion pour les États de clarifier la protection qu’ils entendent donner aux océans et notamment aux notions de protection stricte des aires marines protégées. Au-delà des États, la protection des écosystèmes océaniques passe par une refonte de notre modèle économique dans une optique de préservation des ressources marines : non épuisement des stocks, principe de précaution vis-à-vis des fonds, économie circulaire pour limiter les déchets, réduction des émissions... autant de voies à suivre par les entreprises pour aller vers une économie bleue durable (voir à ce propos notre article page 36).

Aussi, l'implication citoyenne peut véritablement faire la différence dans la protection de l'océan à travers notamment la réduction de notre consommation de plastique, le choix de consommer une pêche responsable, la participation à des nettoyages de plages ou le soutien des organisations environnementales. Le mouvement citoyen et les initiatives communautaires sont de puissants leviers pour sensibiliser et mobiliser la population.

En s'engageant collectivement pour préserver ces écosystèmes vitaux, il devient possible d’influencer les décideurs politiques et industriels. La protection de l'océan est un défi urgent et complexe requérant une approche holistique et collaborative. Que nous habitions sur le littoral ou en pays enclavé, chacun de nous a un rôle crucial à jouer dans la préservation de ces trésors marins. Seul un effort concerté et déterminé permettra de garantir un avenir durable pour l'océan et les générations futures.