Photo : Ant Rozetsky

L’océan qui recouvre 71 % de notre planète ne se résume pas à d’immenses étendues d'eau salée. Au-delà de sa majesté indéniable et de sa nature mystérieuse, il constitue l’écosystème le plus vaste et essentiel pour la survie sur Terre. Plongée dans le silence de cet univers complexe pour en découvrir les trésors insoupçonnés.



L’océan fournit une multitude de services vitaux, connus sous le nom de services écosystémiques. Ce sont les nombreux bénéfices que l’Humanité retire des écosystèmes marins en bonne santé sans devoir y contribuer d’aucune manière. La typologie de l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (MEA) distingue quatre catégories de services écosystémiques : la régulation environnementale, l’approvisionnement en ressources, le maintien de la biodiversité et du cycle de vie, et les services socioculturels. Selon la plateforme Océans & Climat, la valeur totale des services fournis chaque année par les écosystèmes marins et côtiers s’élèverait à plus de 20 mille milliards de dollars.

Régulateur de notre Climat

L’océan joue un rôle crucial dans la régulation du climat mondial, agissant comme de gigantesques réservoirs assurant la séquestration et le stockage du dioxyde de carbone (CO2), ainsi que la production de l'oxygène et la modération des phénomènes météorologiques extrêmes. Selon les estimations, il a déjà absorbé entre 20 % et 30 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique et environ 90 % de la chaleur générée par les activités humaines, contribuant ainsi à réguler les températures à l'échelle planétaire. L’absorption du carbone s’effectue grâce au phénomène physicochimique de la dissolution de gaz dans l’eau de mer et à la circulation océanique (pompe physique), mais aussi par le processus biologique de la photosynthèse grâce notamment aux algues marines et au phytoplancton qui fixent du CO2 (pompe biologique) et dégagent de l’oxygène. Ainsi, l’océan est responsable d’environ 50 % de l’oxygène produit sur la planète.

Pompe à carbone physique
Pompe à carbone biologique
Source : ocean-climate.org

Les grands fonds marins, où retombent notamment les restes du phytoplancton, constituent un puissant puits de carbone où ce dernier reste stocké sous forme minérale, solidement piégé dans les couches de sédiments. Les récifs coralliens jouent également un rôle très important dans la régulation du climat en stockant du carbone dans leurs structures calcaires, réduisant ainsi la concentration de CO2 dans l'atmosphère. Au total, on estime que l’océan contiendrait 50 fois plus de carbone que l’atmosphère avec laquelle il interagit en permanence en échangeant des gaz, des masses d’eau et de la chaleur. Les grands courants océaniques - chauds (ou de surface) à l’image du célèbre Gulf Stream en Atlantique Nord et froids (ou de profondeur) à l’instar du courant circumpolaire antarctique - redistribuent ensuite cette chaleur accumulée à travers le monde, influençant les climats régionaux.

Au-delà des océans entendus au sens strict, les écosystèmes côtiers jouent également un rôle clef dans la régulation du climat. En effet, ils tempèrent les événements météorologiques extrêmes tels que les tempêtes et les ouragans en créant des barrières naturelles qui protègent les terres, réduisant ainsi les dommages causés par ces phénomènes aux populations et aux infrastructures des zones côtières. En effet, les mangroves, les récifs coralliens, les marais salants et les herbiers marins, offrent une protection idéale contre les marées extrêmes en absorbant l'énergie des vagues et stabilisent ainsi le littoral contre l'érosion côtière. Les mangroves sont parmi les écosystèmes les plus efficaces pour la protection côtière, car leurs racines complexes se fixent dans le sol et préviennent sa désagrégation, tandis que leur dense feuillage agit comme un obstacle physique contre les tempêtes et les tsunamis.

Pourvoyeur de nos ressources

L’océan est une source vitale d’approvisionnement en éléments nutritifs pour des milliards d’êtres vivants sur Terre. Selon les estimations de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture), environ 17 % de la consommation mondiale de protéines animales provient des océans. Les nombreuses variétés de poissons, de crustacés et de mollusques, sont riches en sels minéraux, acides gras oméga 3 et oligoéléments essentiels tels que l’iode nécessaires à la survie de milliards de personnes à travers le monde, leur permettant de maintenir un régime alimentaire sain et équilibré. La pêche commerciale et artisanale, l’aquaculture ainsi que la production de sel marin, dépendent largement de la santé des écosystèmes pour assurer la durabilité des ressources et garantir la sécurité alimentaire pour les communautés côtières et au-delà.

Photo : Chanvity / Pixabay

Les océans ne sont pas uniquement nos nourrisseurs, mais aussi des fournisseurs de nombreuses matières prometteuses. Des matériaux de construction aux diverses molécules utiles pour la science, les océans recèlent des trésors encore largement insondés dont il faudra prendre soin en assurant leur exploitation raisonnée et durable.

Autre service majeur, les océans constituent des voies de transport cruciales, reliant les continents et facilitant le commerce mondial. En l’absence de connexions terrestres, les routes maritimes parcourues par les ferries ou grands navires cargo sont les artères vitales de l'économie mondiale, transportant des marchandises et des personnes d'un continent à l'autre. En effet, on estime qu’entre 80 % et 90 % des marchandises nous arrivent par la mer. Les ports maritimes, tels que Rotterdam, Singapour ou Shanghai et les compagnies de transport maritime sont devenus respectivement des centres névralgiques et des véhicules synaptiques du fret mondial.

Protecteur de notre biodiversité

L’océan est le berceau de la vie sur Terre et abrite une biodiversité exceptionnelle, allant de créatures microscopiques mesurant entre quelques millimètres et quelques centimètres à peine – telle l’espèce minuscule Paedocypris progenetica – le plus petit poisson vertébré au monde, endémique des îles indonésiennes de Sumatra et de Bintan - jusqu’aux grands mammifères marins pouvant atteindre jusqu’à 30 mètres de long – nous avons tous en tête l’animal le plus grand de la planète, la baleine bleue.

Paedocypris progenetica, le plus petit poisson vertébré au monde.

Les récifs coralliens sont parmi les écosystèmes les plus diversifiés de la planète et servent de nurseries naturelles pour une multitude d'espèces marines, offrant un habitat précieux à de nombreux poissons, mollusques, crustacés et autres organismes.

Les forêts de varech jouent également un rôle important en fournissant des habitats essentiels et en soutenant la chaîne alimentaire complexe à la base de la biodiversité marine. Les herbiers de Posidonie qui recouvrent entre 20 % et 50 % des fonds marins (ou plus de 2 millions d’hectares) en Méditerranée sont un autre exemple d’écosystème qui rend plusieurs services fondamentaux pour la faune et la flore, notamment en tant que lieu de vie, de reproduction ou de refuge pour plusieurs espèces marines, ainsi qu’amortisseur de la houle, source de nourriture, d’oxygénation de l’eau et de puits de carbone. Les écosystèmes marins jouent aussi un rôle crucial dans la régulation de la qualité de l'eau, agissant comme des filtres naturels, absorbant certains polluants qui pourraient autrement contaminer les océans et les zones côtières.

Illustration créée dans le cadre du projet Life Marha financé à hauteur de 60% par l’Union Européenne.

Services écosystémiques rendus par l’herbier de Posidonie.

Globalement, les océans représentent plus de 90 % du volume habitable disponible pour le monde vivant et abritent autour de 80 % de la vie dans le monde. Selon les estimations de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le nombre total d’espèces qui peuplent les océans avoisinerait plusieurs millions (ou même plusieurs milliards si on considère le monde microbien) et seulement 250 000 environ seraient aujourd’hui répertoriés. Moins de 25 % des océans ont été cartographiés jusqu’à présent et cette proportion baisse à seulement 5 % pour les grands fonds marins, tels que les zones bathypélagiques (situées entre 1 000 et 3 000 mètres de profondeur) et les plaines abyssales (situés entre 3000 et 6000 mètres de profondeur), encore largement méconnues car difficiles d’accès.

On estime également que 95 % de la masse vivante océanique est composée de micro-organismes comme le phytoplancton ou le zooplancton qui sont à l’origine de la plupart des chaînes alimentaires marines. Pourtant, on ne connaitrait qu’entre 20 % à 30 % des organismes planctoniques et presque rien sur les bactéries et les virus marins.

Cela témoigne de l’immense diversité biologique qui existe en haute mer et dans les grands fonds marins et qui est nécessaire pour soutenir le cycle des nutriments essentiels comme l'azote et le phosphore qui favorisent la vie pour la faune et la flore. En effet, les processus biogéochimiques marins, tels que la fixation d'azote et le recyclage des nutriments par les micro-organismes lanctoniques, sont vitaux pour le maintien de la stabilité globale des écosystèmes. Cette diversité génétique renferme également un potentiel énorme en termes de recherche et de développement (R&D) et promet des bienfaits insoupçonnés pour la science, notamment en termes de bioprospection (avec de nouvelles molécules valorisables comme base de médicaments, compléments alimentaires ou produits cosmétiques) et aussi de biomimétisme - une approche qui imite les propriétés des organismes vivants et permet de concevoir des structures et des matériaux innovants.

Selon ses promoteurs, le biomimétisme offre également l’avantage de ne pas simplement exploiter la nature en se servant de ses propriétés biologiques, ce qui conduira inévitablement à la disparition d’espèces, mais bien de l’imiter et d’obtenir ainsi des solutions plus durables et respectueuses de l'environnement. Après tout, la nature a juste quelque 3,8 milliards d’années d’avance d’expérience en R&D sur nous, selon les propos de Janine Benyus, biologiste et auteure ayant popularisé le terme de biomimétisme dès 1997. Parmi les applications explorées dans ce pan de recherche, il y a notamment les productions de céramiques inspirées de la nacre, les revêtements (textile ou peinture) hydrodynamiques calqués sur la microstructure des peaux de requins, ou encore l’optimisation globale de réseaux de neurones artificiels suivant l’algorithme de programmation dynamique empruntée des récifs de corail.

Les marchés flottants d'Asie du Sud Est font partie du patrimoine culturel mondial. Ici, le marché Lok Baintan en Indonésie.

Garant de notre bien-être

L’océan revêt une importance culturelle profonde pour de nombreuses sociétés humaines à travers le monde, inspirant les créations d'art visuel, la musique, la littérature, les sports et même la spiritualité. Ces services culturels sont des bienfaits non matériels qui sont souvent négligés dans la prise en compte de la valeur de l’océan car très difficiles à évaluer. Pourtant, des peuples autochtones, tels que les Polynésiens et les Inuits, entretiennent depuis toujours des liens très étroits avec les mers et les océans, les considérant comme des ensembles vivants à part entière et non seulement dans une vision utilitariste comme source de nourriture, de matériaux ou de transport. De tout temps, nous nourrissons une fascination pour ces vastes étendues bleues. Leur immensité et leur beauté si particulières transparaissent dans la mythologie grecque et les contes anciens, mais aussi aujourd’hui dans une multitude de créations artistiques ou de rituels. Par exemple, la cérémonie Ong Chun en Chine et en Malaisie, inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO depuis 2020, ou les rituels de purification des villages et offrandes à la mer – appelés Bersih desa et Petik laut – pratiqués sur l’île de Java célèbrent l'héritage maritime en rendant hommage à l'océan et soulignent son importance dans notre vie quotidienne, symbolisant notre lien profond avec la nature. Aussi, les marchés flottants de l’Asie du Sud-Est, comme celui de Damnoen Saduak en Thailande ou celui de Phong Dien au Vietnam, font désormais partie du patrimoine culturel.

Sans oublier les bénéfices en termes de plaisirs esthétiques et de loisirs qu’offrent les plages de sable et les zones côtières qui attirent des millions de touristes chaque année, offrant des opportunités de détente et de découverte et contribuant au développement économique des régions côtières. Le littoral joue ainsi un rôle important dans notre bien-être mental et physique. 

Dans le silence de leur immensité, les étendues océaniques offrent ainsi une gamme diversifiée de services écosystémiques, souvent vitaux. Ils sont un maillon essentiel de la santé planétaire et il devient urgent aujourd’hui d’en protéger le bon état. Veiller à la santé des océans, c’est veiller à la santé de l’humanité.