Protéger les océans du monde et les communautés côtières vulnérables. Voici un commandement qui guide la communauté des surfeurs engagés. Témoins de la détérioration à marche rapide d’un écosystème fragile, ils sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à défendre leur terrain de glisse et prendre leur rôle d’ambassadeurs des océans très à coeur.
Derrière la polémique tahitienne
L’organisation de l’épreuve de surf des Jeux olympiques en Polynésie a été marquée par une vive controverse. L’objet du débat : la construction d’une tour en aluminium destinée à accueillir les juges de la compétition ainsi que les caméras de télévision. Écologistes et surfeurs locaux ont alerté sur les risques environnementaux associés, avec, parmi les figures de proue, Matahi Drollet, surfeur tahitien, faisant grand bruit sur les réseaux sociaux. Il y a dénoncé notamment le risque de dépeuplement de vastes étendues de récifs coraliens suite au forage et la possible propagation de la ciguatera, une maladie qui empoisonne les poissons et les rend immangeables, deux phénomènes déjà observés lors de constructions antérieures dans des environnements fragiles. Quant aux candidats des Jeux olympiques, l’un d’eux, le Polynésien Kauli Vaast, marque son inquiétude face à cette atteinte à l’environnement. En effet, bien que très heureux de faire partie des qualifiés, il se rappelle que les locaux disent que les vagues ont du « mana », une énergie spirituelle vitale qu’il faut respecter. « Si vous respectez l’océan, il vous respectera aussi ». Dans l’esprit surf entre donc une certaine relation à l’océan, faite d’humilité et de considération.
Vers un surf éco-conscient
Au-delà du retentissement médiatique des Jeux olympiques, nombreux sont les adeptes des vagues qui cherchent à améliorer l’empreinte qu’ils ont sur l’océan. Les déplacements d’abord. De plus en plus de surfeurs délaissent des spots très connus situés à l’autre bout du monde au profit de destinations locales, moins glamours mais plus respectueuses de l’environnement. C’est le cas notamment de sites comme Ostende ou Blankenberge sur la côte belge ou même encore certaines rivières en Angleterre. Tout est possible quand on a l’amour du surf !
Les équipements à faibles impacts font également leur entrée sur le marché. Ainsi, la start-up « Nomads Surfing », certifiée par le fameux label durable B Corp, promeut des accessoires à partir de polystyrène, de filets de pêche ou de bouchons de liège recyclés. Elle propose également des « traction pads », fabriqués à partir de tongs recyclées, qui remplacent la wax, traditionnellement utilisée par les surfeurs pour ne pas glisser mais néfaste pour l’environnement. En effet, au contact de l’eau, cette substance pétrochimique se dissout et libère des toxines. Un autre exemple inspirant nous vient de « The Old Shell », situé en Bretagne et qui se spécialise dans la vente de combinaisons de seconde main, dans la réparation ou encore dans l’upcycling en créant des trousses de toilette, des sacs bananes ou encore des coussins. Autant d’initiatives qui contribuent à l’espoir d’un surf se rapprochant de l’empreinte zéro. C’est à travers ces efforts de transition que les communautés de surfeurs peuvent s’aligner avec la tradition d’un sport qui, depuis le 18e siècle, incarne un art de vivre favorisant la reconnexion de l’Homme avec la nature.
Queensland, Australie, le 17 mars 2019, date clef dans l'histoire de l'activisme des surfeurs. Manifestation pacifique de masse contre des projets de forages.
Des communautés de surfeurs engagés
L’image est parlante : le 17 mars 2019, des centaines de surfs et paddles se donnent rendez-vous en mer pour protester pacifiquement contre les projets de forage d'une compagnie pétrolière internationale au large de la Gold Coast australienne. Cette date a été marquante dans l’histoire de l’activisme de cette communauté, car cette action a joué un rôle déterminant dans l'abandon des projets de forage à cet endroit.
Au-delà des actions coup-de-poing, de nombreux surfeurs se mobilisent au long cours autour d’organisations bien établies. Il y a la bien connue Surfrider Foundation, incontournable dans la communauté. Cette dernière, créée en 1990 par un groupe de surfeurs, incarne la mobilisation citoyenne en faveur de la protection de l’océan et du littoral. Sous son slogan « Ocean needs more friends », cette association à but non lucratif regroupe aujourd’hui plus de 13 000 adhérents et intervient sur 11 pays via ses antennes bénévoles. L’organisme joue notamment un important rôle de lobbying auprès des institutions européennes et intervient sur trois domaines depuis presque 30 ans : les déchets aquatiques et la qualité de l’eau, l’aménagement du littoral et le changement climatique.
« Save the Waves » pousse également son agenda militant avec succès. Cette organisation à but non lucratif a lancé le programme « World Surfing Reserves » qui préserve des zones de surf mythiques tout autour du globe. En reconnaissant un site comme étant une « réserve mondiale de surf », Save The Waves peut ainsi étendre ses actions directes sur le spot et ses alentours en partenariat avec les communautés locales. Déjà, 12 zones ont été classées sous protection parmi lesquelles le site mexicain de San Miguel, Playa Hermosa au Costa Rica ou encore Doughmore Beach en Irlande. Aussi, une étude réalisée par l’organisation révèle que près de 85% des meilleurs sites de surf du monde se trouvent dans des points critiques de biodiversité en termes de conservation marine, une invitation donc à créer de nouvelles zones protégées. (Voir carte page ci-contre : « Biodiversity Hotspot & Surf Ecosystems »). Afin d’impliquer un maximum de surfeurs et de citoyens dans sa démarche, Save the Waves, en collaboration avec la Commission Océanique Intergouvernementale UNESCO qui promeut le « Ocean Decade », a récemment développé une application permettant de signaler et de suivre les menaces côtières en temps réel.
Environ 85% des meilleurs spots de surf du monde se trouvent dans des points critiques de biodiversité marine.
Plus localement, en Angleterre, l’association Surfers Against Sewage a su mobiliser depuis plus de 30 ans une communauté engagée à travers des campagnes et des programmes éducatifs. Ensemble, ils s’attaquent aux problématiques des eaux usées, de la pollution plastique, de la restauration et protection des océans, et mènent un combat pour la qualité des eaux de baignade.
Outre les préoccupations environnementales, il est fréquent que les spots de surf connus se situent dans des régions où les communautés locales sont précaires. Dans cette optique, des initiatives de soutien à travers le surf se développent avec une approche solidaire, telle que la fondation Amigos del Mar qui, par l’intermédiaire de cours de surf gratuits, engage les jeunes à retourner sur les bancs de l’école.
D’autres adoptent une approche holistique qui ambitionne de réconcilier l’Homme et la nature à travers le surf. Ainsi, certaines organisations proposent des stages de surf respectueux de l’environnement tout en pratiquant l’humilité, l’ouverture d’esprit et en étant soucieux du bien-être physique et mental. C’est le cas de l’organisation « Vegan Surf Camp » située en France et au Portugal ; elle promeut le sport mais également le rapport au corps et à la nourriture durable… une sorte de militantisme doux.
Des initiatives prometteuses émergent ainsi au sein de la communauté des adeptes des vagues. Armés de simples planches, ces activistes luttent pour la préservation des océans, leur terrain de jeu exceptionnel et pourtant fragile. Passionnés de la mer, ils sont toujours davantage à se mobiliser pour tenter de lui redonner un peu de ce qu’elle leur apporte. C’est aussi ça la culture surf. Bien plus qu’un simple sport !
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