Illustration : Aurélien Mayer

Le leadership a-t-il un genre ? L’ambition ne serait-elle que masculine ? Combat d’arrière-garde diront certains, et pourtant… le problème est bien réel et très ancré. Aujourd’hui l’égalité homme-femme s’avère une douce illusion et semble encore difficile à atteindre dans bien des domaines, et notamment professionnel. Une injustice qui vise tout de même la moitié de la population globale… Et si ceci était avant tout une histoire d’image ? Si les trajectoires des femmes étaient en réalité fortement induites par les clichés qui leur sont affublés ?



Se pose ici la question des mentalités et des stéréotypes de genre qui attribuent des caractéristiques morales, sociales et/ou fonctionnelles aux uns et aux autres. Ces idées reçues qui dépeignent les hommes comme des leaders, ambitieux et forts et les femmes comme douces, attentionnées, empathiques et faibles, imprègnent nos représentations de façon systémique. Construites souvent dès l’enfance, elles perdurent dans le milieu professionnel... Il y a une coresponsabilité dans leur existence et une coresponsabilité pour les corriger.

La femme au pouvoir

L’image de la femme au pouvoir, carriériste, revêt bien trop souvent des connotations dépréciatives, qui peuvent être un agent d’autocensure pour beaucoup . Si elles n’adoptent pas ces caractéristiques, elles subissent très rapidement un procès en incompétence. Rappelons-nous le fameux « She doesn’t have the look, she doesn’t have the stamina to be President. » (Elle n’a pas le physique, elle n’a pas l’endurance pour être Présidente) de Donald Trump à l’égard d’Hilary Clinton en pleine campagne présidentielle. Ce type de remarques se décline bien souvent dans le monde professionnel. L’autolimitation qui en découle peut empêcher l’émergence de rôles modèles féminins qui sont en proie à un plafond de verre tenace. Et si les images reçues très masculinisées des femmes leaders n’étaient que l’illustration d’une tentative de compenser elles-mêmes la sous-valorisation sociale de la féminité en s’appropriant les codes masculins ?

Difficile ainsi de voir émerger des leaders du dit « sexe faible »…Les femmes sont aujourd’hui représentées à 41,19% dans des organes de prise de décision au Luxembourg (source: Gouvernement.lu). Malgré un alignement des entreprises sur la législation et l’intégration d’une politique d’égalité de genre dans leurs politiques RSE - selon le Baromètre « Diversité & Entreprise » 2018  d’IMS Luxembourg, 85% des signataires de la Charte de la Diversité Lëtzebuerg sont actifs sur ce sujet - les femmes peinent toujours à accéder aux postes à responsabilités (voir encart ci-dessous). Cette inégalité professionnelle peut s’expliquer par l’insuffisance de dispositifs permettant de concilier vies privée et professionnelle, par des écarts de rémunération toujours persistants - l’écart salarial entre hommes et femmes est de 5,4% au Luxembourg et de 16% en moyenne au sein des pays membres de l’Union européenne -, mais aussi par un sentiment de devoir davantage démontrer ses compétences afin de percer le plafond de verre. L’ensemble de ces causalités reposant sur un socle de perceptions ultra stéréotypées.

Crédit : Éducation Nationale française

Les stéréotypes ont la peau dure ! Exemple lors de cette campagne de recrutement de l’Éducation Nationale française.

Image dépréciée et sexisme latent

La femme en entreprise est trop souvent affublée de caractéristiques extrêmement stéréotypées. À l’écoute, organisée, bavarde et superficielle, moins versée dans les technologies, moins stratégique ou ambitieuse…. la sphère du foyer lui est inlassablement attachée et son physique y est bien souvent commenté tant il est associé à sa valeur perçue (voir à ce propos l’interview de Raphaël Liogier sur la place centrale du corps). Une imagerie qui la cantonne facilement à des rôles limités. Une perception aussi qui induit des différences de traitements, mais aussi parfois des écarts de langage ou de comportement. Elle se trouve alors confrontée au sexisme sous toutes ses variantes : du sexisme ordinaire qui s’immisce parfois sournoisement dans des tournures de phrase sans intention de nuire, au sexisme hostile, voire au harcèlement. Or, il est du ressort de l’entreprise d’assurer la protection de ses salariés, les principes d'égalité de traitement et de non-discrimination comme stipulé aux articles L.241-1 et L.251-1 du Code du Travail ; elle doit donc mettre en place l’ensemble des pare-feux nécessaires.

Le mythe du manque d’estime de soi

Dans la panoplie des attributs de la femme type, il n’est pas rare d’entendre qu’elle pâtit d’un déficit de confiance en soi chronique et que cela constituerait un obstacle majeur à sa progression professionnelle. Certes, des études ont mis en évidence le phénomène problématique de l’autocensure chez les femmes, lié au jeu des stéréotypes (voir notre interview d’Inès Dauvergne). Mais comme le souligne Patrick Scharnitzky qui a collaboré sur ces recherches, « Manque de confiance en soi et autocensure, ce n’est pas la même chose. Dans un cas, on met en cause le tempérament et la maturité de la personne, dans l’autre, on pose la question du comportement en contexte » (Eve, 2016). « Nous avons effectivement découvert que les femmes cadres ont une estime d’elle-même aussi bonne que celle des hommes », confirme-t-il.

Le saviez-vous ?

Selon le spécialiste P. Scharnitzky, une femme aura environ 4 ans de carrière en moins que les hommes en raison des tâches domestiques qui les occupent en moyenne 1h40/j de plus. 

(Données France)

Toutes des superwomen

Dans un tel contexte, bien trop souvent, des femmes s’imposent de surperformer dans toutes les activités. Pour répondre à l’image de la « femme parfaite », il s’agit d’exceller sur tous les plans telle une acrobate du multitasking: mère modèle, grande organisatrice du quotidien familial, épouse de rêve et bien sûr professionnelle irréprochable. Ce que l’autrice Marie Donzel a baptisé lors d’un article paru dans Eve, le « complexe de superwoman ». Conséquence ? Un sentiment culpabilisant d’être tiraillée entre des univers différents, de manquer à ses obligations et de ne faire les choses qu’à moitié. S’en déduisent une charge mentale et une tendance au perfectionnisme qui ne sont pas sans effets sur le bien-être, mais aussi bien évidemment sur leurs parcours personnel et destinée professionnelle, souvent moins ambitieux face à la gestion des banalités du quotidien. Marie Donzel lance un pavé dans la mare : « À observer ce que la "superwoman" contemporaine suscite de fascination admirative ou bien réaction agressive, il est permis de se demander si la « femme parfaite » n’est pas avant tout une figuration utile au contrôle social des femmes par les femmes elles-mêmes. » « Le mythe de la superhéroïne tel que nous l’interprétons aujourd’hui tend à ramener la féminité à des trivialités tout en alimentant un regard méfiant voire critique sur les femmes qui réussissent » ajoute-elle appelant à une acceptation plus diverse de la féminité. Le mythe de superwoman répand ainsi paradoxalement les ingrédients d’une certaine autocensure. En question donc aussi, le regard des femmes porté sur elles-mêmes et notamment nourri par l’imagerie féminine diffusée à l’envi dans les media.

Le rôle central des media

Malheureusement beaucoup de canaux d’informations transmettent encore trop de vues peu nuancées de nos jours. L’enjeu principal consiste dès lors à renforcer la prise de conscience de l’influence des média ainsi que leur volonté de vouloir renforcer leur propre responsabilité envers des messages plus transparents et plus diversifiés. Au Luxembourg, une étude réalisée par le CID Fraen an Gender et le Conseil National des Femmes du Luxembourg dans le cadre d’une campagne internationale (Global Media Monitoring Project ), révèle que les femmes ne représentent que 24% des personnes évoquées dans les informations des média luxembourgeois en 2015, tout format confondu. Compte tenu de leur participation croissante à la vie économique et politique, ce taux ne peut être satisfaisant. Les canaux d’informations sont supposés se faire le miroir de la réalité et faire entendre une diversité de voix; par conséquent, ceux-ci jouent un rôle déterminant pour atteindre l’objectif de l’égalité entre les sexes (voir à ce sujet l’interview de Laura Jones).

Les femmes font particulièrement défaut lors des couvertures médiatiques traitant de thèmes prestigieux en lien avec le pouvoir tels que la politique et l’économie. Il ressort également de cette étude qu’elles ne se trouvent au centre de l’information que dans 4% des cas et qu’en général les sujets tels que les droits des femmes, les inégalités de genre et la lutte contre les stéréotypes sont très peu couverts.

Crédit : PPS

En Afrique du Sud, une campagne de sensibilisation qui prend les stéréotypes à contre-pied.

« Changez de perspective »

Il s’imposerait ici de lutter contre les effets valorisants et dévalorisants des stéréotypes de genre, d’affirmer la singularité de chaque femme, de rendre visible la diversité de la féminité (et de la masculinité !), et in fine de questionner la vision collective du leadership. Il existe des leviers d’action et de nombreuses entreprises ont mis en place des dispositifs correctifs. 

C’est aussi à cet Everest que s’attaque le Ministère de l’Egalité des chances qui a lancé le programme Actions Positivesdont l’ambition est de soutenir une économie inclusive et une société égalitaire. Le 9 décembre 2020 la ministre de l’Egalité a ainsi félicité lors d’un cérémonie diffusée en direct les entreprises accompagnées par ce programme et qui ont développé sur ces deux à trois dernières années des actions concrètes pour l’égalité femme-homme au travail. 

S’il y a des avancées sur certains champs, l’égalité de genre est encore loin d’être acquise. C’est ce que souligne le rapport du Conseil de l’Europe pour la nouvelle stratégie d’égalité entre les femmes et les hommes 2018-2023. « Bien que l’on constate des progrès et que le statut juridique des femmes en Europe se soit incontestablement amélioré ces dernières décennies, l’égalité effective entre les femmes et les hommes est encore loin d’être une réalité ». On le voit, les inégalités persistantes reposent sur des structures culturelles et cognitives très ancrées. Afin de faire bouger les lignes, c’est à la question des représentations qu’il est nécessaire de s’attaquer afin d’accepter une pluralité d’identités féminines et masculines non normées. Parvenir à plus d’équité en la matière, c’est donc s’atteler à un travail de fond et sur tous les fronts, dans les diverses sphères publiques, privées et notamment au sein des entreprises où les questions liées au pouvoir et au leadership sont particulièrement vivantes.

Vous avez dit actions positives ?

Au Luxembourg, le gouvernement s’est doté d’un Plan d'action national d’égalité des femmes et des hommes en 2006, prévoyant des mesures d’encouragement concrètes telles que les actions positives qui couvrent trois thèmes prioritaires, à savoir :

  • l’égalité de traitement des femmes et des hommes (recrutement ; formation et qualification ; rémunération ; culture d’entreprise ; harcèlement sexuel et moral)
  • l’égalité des femmes et des hommes dans la prise de décision (formation et promotion professionnelles ; participation égale à la prise de décision)
  • l’égalité des femmes et des hommes dans la conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée (organisation du travail ; réintégration professionnelle ; conciliation d’une fonction dirigeante et de la vie privée).
Le saviez-vous ?

#NoWomenNoPanel : La promesse d’Equilibre

Le think thank sur la complémentarité des genres a lancé, en avril dernier, l’initiative MyPledge. Les entreprises, intervenants et participants sont appelés à s’engager à défendre la mixité lors de panels de discussion et d’événements publics, afin d’assurer une représentation des genres qui reflète la réalité économique. Le manque de diversité lors de tels événements peut limiter la qualité des échanges et de leurs conclusions. Les leaders politiques et dirigeants d’entreprises s’engagent ainsi à sensibiliser les organisateurs à la question de parité. IMS Luxembourg s’est joint à MyPledge afin de promouvoir une meilleure représentativité des femmes sur les panels.

Le Baromètre « Diversité & Entreprise », dont la prochaine édition est prévue pour novembre 2021,  est publié tous les trois ans par IMS Luxembourg. Il rend compte des démarches mises en œuvre par les signataires de la Charte de la Diversité Lëtzebuerg en termes de gestion de la diversité.

  • Il y a en moyenne 34% de femmes à un poste de responsabilité élevé au sein des organisations signataires de la Charte (alors qu’elles représentent 52% des effectifs)
  • Les Conseils d’Administration sont globalement composés à 69% d’hommes et 31% de femmes
  • 23% des Conseils d’Administration sont composés de plus de femmes que d’hommes