Des solutions poussent en ville, littéralement. Elles sont une partie de la réponse à des défis multiples : urbanisation galopante avec 70% de citadins à l'horizon 2050, enjeux environnementaux toujours plus pressants, recul structurel de l’emploi mais aussi résilience alimentaire. Elles prennent la forme de jardins et potagers urbains, conjuguent circuits courts, implication citoyenne, ou technologie de dernier cri… L’idée centrale est la même : sortir d’une conception binaire opposant campagnes productrices et villes consommatrices, relocaliser la production en zone urbaine en rapprochant le producteur du consommateur. Mais comment les entreprises peuvent-elles jouer leur partition dans cette nouvelle vague verte ? Bien-être des collaborateurs, économies d’énergie ou même source de revenus additionnels, les bénéfices du corporate gardening sont multiples. Invitation à l’exploration verte.
Des fermes en pleine ville, des fruits et des légumes qui poussent sur les toits des entreprises... Voilà des projets qui se mettent réellement en place et qui dépassent le stade de l'idée utopique.
Bottes et gants de jardinage pour les salariés. Vers des bureaux fertiles ?
Timberland a son Victory Garden, Google, Facebook, SEB, EDF ont créé leurs espaces potagers. Aux quatre coins du monde, l’idée fleurit. Le Luxembourg commence aussi à s’y mettre avec des installations à Bettembourg dans la société IFSB, à Bertrange chez AG2R La Mondiale ou encore chez Pall Center à Oberpallen…
À l’heure où le stress chronique devient une préoccupation majeure des entreprises, elles se mettent au jardinage, et ce, pour le grand bonheur de leurs salariés. L’entreprise nippone Pasona, pionnière en la matière, fait figure de modèle avec sa véritable ferme urbaine en plein cœur de Tokyo ! Et ce sont les salariés qui prennent part à la récolte et profitent des fruits de leur travail une fois à table. Un tel cadre s’avère propice à la productivité et favorise la concentration et la créativité. Selon The Economics of Biophilla, un environnement de travail connecté à la nature améliore la performance du salarié et réduit jusqu'à 10% l'absentéisme. Plus, il crée du lien entre collègues quelle que soit la position hiérarchique et invite au collaboratif. Une innovation organisationnelle donc. Ne vous étonnez alors pas de voir figurer le jardinage à l’agenda des responsables de ressources humaines tant le bien-être est devenu une question centrale en entreprise !
Face à une demande croissante, les solutions émergent : les potagers sont tantôt intérieurs, tantôt extérieurs, et ce sont même parfois des espaces de bureaux entiers qui s’implantent alfresco. Ces lieux de travail sont en vogue, ils portent un nom, ce sont les « bureaux fertiles.».
Du traditionnel au high-tech
Pelle et sécateur, ou serre connectée ? L’éventail des méthodes est très large en fonction de l’objectif même de l’espace potager. Des petits bacs à jardiner favorisant la bonne atmosphère entre collègues aux fermes verticales urbaines, il y a tout un monde. Dès 2012 à Singapour, le très innovant projet Sky Greens a ainsi ouvert la voie à des solutions automatisées avec des rendements au mètre carré aujourd’hui affichés 10 fois supérieurs à un système classique de culture. Une ambition qui a été reprise en environnement de bureaux. Dans la même veine en effet, la tour Plantagon a été imaginée en Suède, un bâtiment multifonctionnel et totalement automatisé abritant 17 étages dédiés pour moitié à la culture vivrière. L’objectif affiché ? Nourrir 5 000 personnes grâce à ce concept mi-ferme mi-bureau.
Si le high-tech permet à l’agriculture de potentiellement renouer de façon massive avec les villes, il se décline également en version réduite. Il est en effet aussi la solution à des petites installations distribuées, automatisées, à portée de tous, et offre la possibilité d’une latéralité du système de production agricole urbain. Ces innovations font généralement appel à des procédés de culture moins consommateurs de ressources, tels l’hydroponie, l’aquaponie ou encore l’aéroponie.
Les bureaux verts de Pasona en plein cœur de Tokyo.
Des impacts positifs multiples sur l’environnement
Les villes sont plus vulnérables au réchauffement climatique que leurs voisines les campagnes. À horizon 2100, on prévoit qu’elles seront plus chaudes de 8°C en moyenne. Des microclimats artificiels s’y sont créés sous l’effet combiné d’une intensification de l’activité humaine et de revêtements de sols modifiés absorbant davantage les calories solaires. Ces îlots de chaleur urbains nécessitent des stratégies d’adaptation. Il s’agit désormais de bio-climatiser les villes en jouant sur deux variables clefs : l’albédo et l’évapotranspiration. Les potagers urbains s’inscrivent clairement dans cette approche. Le Secrétaire d’État Camille Gira l’a d’ailleurs rappelé lors de la conférence organisée par IMS sur le sujet : “Le Corporate Gardening est une part intégrante de la mitigation des changements climatiques. Nous devons nous éloigner du jardinage décoratif et promouvoir le jardinage utile ».
Grâce aux plantations, une meilleure absorption des eaux de pluies limite de surcroît les risques d’inondations. Certains types d’installation permettent également la régulation thermique des bâtiments et récupèrent chaleur perdue et CO2 des immeubles pour alimenter les plantes dans un schéma circulaire sous serres.
Ces initiatives vertes en entreprise sont également des refuges urbains de biodiversité. Certaines y font pousser des légumes oubliés, d’autres y installent nichoirs et ruches. Ceci s’inscrit dans une dynamique en cours au Luxembourg. Le pays a réitéré le 13 janvier 2017 ses priorités et 28 mesures concernant la protection de la nature dans son Plan national 2017-2021. L’importance d’agir y est notamment soulignée : « cette biodiversité est en déclin depuis plus de quarante ans, au niveau des espèces, des habitats et des écosystèmes, et ce particulièrement au niveau des écosystèmes liés aux zones humides et au milieu agricole. De manière générale, la situation de la biodiversité et des écosystèmes n’est guère plus favorable au Luxembourg que celle des autres États membres de l’Union européenne. »
Enfin, à l’heure où un quart du fret routier mondial est imputé à l’agroalimentaire, les potagers urbains répondent au besoin de favoriser les circuits courts. Difficile d’imaginer plus court en effet que la salade cultivée sur le toit de l’entreprise et consommée quelques étages plus bas à la cantine. Une nécessité particulièrement criante pour le Luxembourg qui importe aujourd’hui 96% de ses fruits et légumes.
Vers un nouveau modèle économique ?
Le phénomène prend de l’ampleur et devient une opportunité à saisir pour les entreprises. L’idée ? Massifier la démarche, entrer dans une logique économique de production à même de renforcer la résilience des villes. Dès lors, c’est un nouveau regard qui est porté sur les bâtiments. Les toits plats et autres surfaces cultivables des entreprises, jusqu’alors largement ignorés, deviennent un capital potentiellement intéressant. Loin du cœur de métier des entreprises ? La parade a été trouvée ; des solutions de leasing sont désormais pensées et les installations seront exploitées par des professionnels. Mieux, les modèles sont inclusifs et prévoient au long cours d’embaucher et de former pour la maintenance des personnes en situation d’emploi précaire.
Vous avez dit des impacts environnementaux, sociaux et économiques positifs ? Cette convergence est la définition même du développement durable. Ce modèle a de l’avenir. Au Grand-Duché, les toits des entreprises pourraient couvrir jusqu’à 20 % des besoins en fruits et légumes feuilles du pays d’ici 10 à 15 ans ! Aujourd’hui, le Luxembourg fait le pari de cette manne inexploitée et vient de lancer une étude afin de définir une stratégie nationale d’urban gardening. Cette approche systématisée, si elle se traduit concrètement, pourrait bien positionner le pays comme pionnier en la matière. Une ambition dont on va suivre la croissance de près.
-Article publié le 1er juin 2018-
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