Sustainability MAG : Quelle est l’ambition de la Fondation RUAF ?
Marielle Dubbeling : Nous sommes un réseau de plusieurs villes, instituts de recherche et ONG et nous pensons que c’est en combinant pratique, recherche et stratégies ensemble que l’on peut obtenir des résultats. Nous avons été fondé il y a 15 ans avec la mission de soutenir de meilleurs systèmes alimentaires urbains. Notre priorité est l’agriculture urbaine, que ce soit le jardinage communautaire ou en entreprise, ou encore les exploitations agricoles de plus grande taille au sein des villes. Au cœur de notre travail : l’innovation, comme le rôle de l’agriculture urbaine dans les plans locaux de réduction du changement et des catastrophes climatiques, les modèles commerciaux pour les circuits d’approvisionnement courts et la gestion des déchets organiques, le rôle du secteur privé dans les systèmes alimentaires locaux ou encore le rôle de la production locale dans la souveraineté alimentaire et la mise en œuvre des ODD.
Nous œuvrons dans le monde entier et soutenons environ 40 villes dans l’élaboration de nouveaux programmes et stratégies. Au départ, nous étions focalisés sur les pays en développement, mais depuis la crise des prix sur les produits alimentaires, nous sommes de plus en plus présents en Europe.
Pensez-vous que les marchés émergents soient plus soumis à une pression concernant la sécurité alimentaire que les pays plus riches, comme le Luxembourg ?
Les enjeux ne sont pas les mêmes. Dans l’hémisphère sud, il y a des situations où la production et la sécurité alimentaires sont réellement en jeu. Tandis que dans l’hémisphère nord, cela concerne plutôt des questions d’alimentation saine et de régime (1/3 de la population aux Pays-Bas est obèse). On y parle aussi du développement de nouvelles opportunités économiques et d’emplois « verts » pour les jeunes sans emploi. Les facteurs sont donc différents, mais en fin de compte, la stratégie est la même.
Quels sont le rôle et l’intérêt du secteur privé dans le développement de systèmes alimentaires résilients, en particulier si ce n’est pas lié à leur cœur de métier ?
Ces acteurs devraient y voir un double intérêt éthique et économique. D’abord, pour les entreprises, produire de la nourriture ou créer des opportunités d’emplois en protégeant l’environnement sont des opportunités tangibles d’aider à rendre le monde meilleur. Et il y a également une motivation économique : dans certains cas, les entreprises peuvent faire davantage de profit en offrant un produit qui cible un marché de niche, comme un hôtel qui offrirait des salades cultivées dans un jardin sur leur toit. Cela permet de se différencier et d’attirer de nouveaux clients. Il y a aussi des raisons économiques, des incitations financières directes. Par exemple, le jardinage sur les toits permet de réduire efficacement les températures intérieures. Il est aussi possible de recycler la chaleur perdue des industries dans des serres. Ces deux cas montrent que l’on peut servir à la fois des intérêts environnementaux et économiques.
Le jardinage en entreprise peut devenir un modèle commercial attirant, mais à la fondation RUAF, nous essayons de relever de nouveaux défis en permanence : pourquoi ne pas aller plus loin et faire en sorte que le modèle soit socialement inclusif. Par exemple, le groupe français Carrefour réfléchit actuellement à promouvoir des jardins sur leurs toits ou autour de leurs supermarchés. C’est très bien, mais qu’en est-t-il des agriculteurs locaux qui produisent et vendent les mêmes produits ? Pourquoi ne pas se spécialiser dans des cultures et variétés que les producteurs locaux ne cultivent justement pas ? Il faut penser à un modèle qui n’entre pas en concurrence avec les agriculteurs locaux. Penser complémentarité.
Quel type d’agriculture urbaine est le plus adapté aux entreprises ?
Il existe plusieurs modèles qui sont pertinents pour les entreprises. Les toits terrasse ou tout particulièrement les serres de toits qui recyclent la chaleur et le CO2 du bâtiment et créent des flux de déchets circulaires tout en contribuant à la production du restaurant d’entreprise.
Quel est le rôle des autorités publiques pour soutenir le secteur privé dans le développement des jardins d’entreprise ?
Les gouvernements peuvent encourager fortement les entreprises à prendre en compte l’aspect de l’inclusion sociale en adoptant de nouveaux règlements ou en proposant des avantages. Le gouvernement pourrait par exemple apporter son aide en prévoyant des réglementations qui autorisent le jardinage sur les toits.
Ils pourraient également avoir un rôle dans des expériences pilotes pendant la période d’incertitude des premiers stades de développement de modèles commerciaux. Cela pourrait se faire à travers des partenariats public-privé. Aux Pays-Bas, une autorité locale travaille actuellement sur un partenariat avec un hôpital afin de mettre en place un projet pilote. L’ambition affichée est de trouver comment produire des aliments frais et locaux dans les hôpitaux.
Comment accroître l’agriculture urbaine dans un pays comme le Luxembourg ?
Cela dépend toujours des besoins et de la pression ressentie par la population. La fondation RUAF travaille dans des camps de réfugiés de pays en guerre où il y a clairement de gros besoins en matière de production alimentaire, mais ils ont le désavantage d’avoir moins de ressources humaines et financières. Le Luxembourg détient les capacités financières, mais la population ne ressent pas encore ce besoin d’agriculture urbaine puisque tout est disponible à des prix modestes dans les supermarchés. Nous devons travailler sur la sensibilisation ; nous devons démontrer l’énorme impact que pourraient avoir ces projets sur la limitation du changement climatique et l’engagement citoyen.