MISS REPRESENTATION, un documentaire de Jennifer Siebel Newsom qui dresse un état des lieux de la représentation des femmes dans la société américaine.

« Un débat public dominé par des voix masculines »


INTERVIEW


Sustainability MAG : Vous avez publié une étude intitulée « La parité des sources expertes citées par les médias britanniques en ligne » plus tôt cette année, qui alerte sur la place des femmes dans les médias. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Laura Jones : L’étude a été réalisée par le Centre pour l’Etude des Médias, de la Communication et du Pouvoir, pour le compte du Global Institute for Women’s Leadership. L’étude a examiné la parité des sources expertes utilisées par un échantillon de médias britanniques à travers huit types de couverture média, révélant la sous-représentation considérable des femmes. Au regard de ces catégories, la moyenne de l’égalité homme-femme nous donne une répartition de 77% d’hommes par rapport à 23% de femmes.

Sous représentation des femmes dans les médias britanniques (par catégorie)


Hommes  Femmes
Business/Finance 86% 14%
Tech 76% 24%
Politique intérieure  69% 31%
Actualités étrangères 78% 22%
Politiques étrangères 87% 13%
Politique sociale  52% 48%
Science/Santé 71% 29%
Nature/Environnement 73% 27%


Source :  The gender balance of expert sources quoted by UK news outlet online, Juillet 2018

Sous représentation des femmes dans les médias britanniques (par catégorie)


Hommes  Femmes
Business/Finance 86% 14%
Tech 76% 24%
Politique intérieure  69% 31%
Actualités étrangères 78% 22%
Politiques étrangères 87% 13%
Politique sociale  52% 48%
Science/Santé 71% 29%
Nature/Environnement 73% 27%


Source :  The gender balance of expert sources quoted by UK news outlet online, Juillet 2018

Comment les médias généralistes contribuent-ils à la sous-représentation des femmes à des postes influents ?

Il est évidemment difficile de déduire une cause à effet directe de la relation entre la représentation de femmes expertes dans les médias et leur sous-représentation à des postes dirigeants. Cependant nous savons qu’il y a un écart de perception important sur le leadership et la fiabilité que l’on soit un homme ou une femme. Il y a certains domaines que notre société a codifié comme « masculins » - la politique, les sciences, le leadership- et donc le fait de trouver des femmes dans ces secteurs dérange et nous mène à faire des évaluations biaisées, et à sous-estimer les compétences des femmes.

Il existe un ensemble de recherches expérimentales qui démontre l’existence de ces biais. Que ce soit dans des tweets politiques, des articles sportifs ou des résumés pour des articles scientifiques, il a été prouvé que le simple fait de changer le nom sur l’information affecte le jugement des répondants en ce qui concerne la qualité, la compétence ou l’expertise du contenu. Mais ces biais, et les stéréotypes y reliés, ne sont pas innés. Ils sont formés par l’environnement social dans lequel nous évoluons, au sein duquel les médias jouent un rôle important.

Quels sont les stéréotypes qui sont par conséquent véhiculés ?

Lorsque le débat public est dominé par des interventions masculines, cela crée un cercle vicieux où les hommes sont considérées comme plus crédibles et les femmes mises de côté. Ceci diminue la possibilité pour les femmes et les filles de se sentir représentées dans ces domaines importants de la vie publique. Elles sont ainsi moins susceptibles de poursuivre ces sujets et professions qui leur permettent précisément d’acquérir ce type d’expertise et auront moins confiance lorsqu’elle le feront, alimentant ainsi le cycle de la sous-représentation.

« Le simple fait de changer le nom de l'auteur d'une information affecte le jugement des répondants en ce qui concerne la qualité, la compétence ou l'expertise du contenu »

Dans ce contexte, quelle importance attribuez-vous aux modèles ?

A mon avis les modèles peuvent revêtir un rôle très important, cependant je dirai que c’est encore plus important de normaliser la représentation des femmes plutôt que de célébrer les quelques femmes exceptionnelles. Bien que ces femmes doivent être saluées, le problème en se concentrant sur elles est que tout en étant une inspiration pour certaines, cela peut aussi envoyer le message aux femmes et aux filles, qu’elles doivent être exceptionnelles pour y arriver, pour diriger, pour faire entendre leur voix dans la vie publique. Donc oui, les modèles sont importants, mais c’est important qu’il y en ait beaucoup, et qu’ils permettent de s’y identifier.

Les médias semblent avoir du mal à associer le terme « expertise » avec les femmes. En mettant en avant principalement des hommes, quel est l’impact de leur potentielle influence sur notre société (que les femmes n’ont par conséquent pas) ?

Il est important qu’un large éventail de voix contribue au débat public. Dans la plupart des cas, les experts ne présentent pas impartialement des faits, mais mettent en avant leur analyse de ces faits. Or, ces analyses sont basées sur la décision du poids qui est attribué à certains facteurs, qui découle de l’expérience. Une étude fascinante réalisée plus tôt cette année illustre parfaitement ce point. Après avoir sondé plus de 1000 économistes issus de 18 pays, les chercheurs ont constaté que les économistes femmes avaient nettement plus tendance que les hommes à préférer des interventions étatiques à des solutions de marché. Elles étaient plus susceptibles à être en faveur d’une protection accrue de l’environnement, à penser que les politiques relatives au marché du travail étaient inégalitaires, et étaient légèrement plus susceptibles de désapprouver l’austérité. Ceci ne signifie pas que les différences de politique économique sont codées dans les chromosomes X et Y – mais la réalité des vies de beaucoup de femmes – les secteurs différents dans lesquels elles travaillent actuellement, leur part disproportionnée dans les prestations de soins, signifie que les politiques économiques affectent les femmes et les hommes différemment.

Un autre exemple est le débat autour du Brexit au Royaume-Uni. Des analyses réalisées par l’Université de Loughborough ont constaté que le référendum sur l’appartenance à l’UE a été couvert à 91% dans les journaux et à 84% dans les médias audiovisuels par des hommes. Ceci signifie qu’il n’y a presque pas eu de discussion sur l’impact du Brexit sur les femmes. Or, beaucoup de politiques relatives au marché du travail qui protègent les droits des femmes – comme par exemple les lois sur le travail à temps partiel- proviennent de l’UE.

« C’est encore plus important de normaliser la représentation des femmes plutôt que de célébrer les quelques femmes exceptionnelles »

Quelle est la responsabilité des médias généralistes quant aux images qu’ils véhiculent ? Peuvent-ils être neutres ?

C’est une question difficile, ne fût-ce que parce qu’il est presque impossible de définir ce qu’on entend par “neutre”. Il existe des lignes directrices générales que les médias devraient suivre en ce qui concerne leur manière de couvrir les violences sexuelles – trop souvent les médias se concentrent sur le choix des vêtements de la victime. Mais au-delà de ça, les journalistes ont aussi une responsabilité supplémentaire qui est celle d’identifier des voix diverses, plutôt que de brandir un miroir « neutre » devant la société. Les personnes que nous voyons expliquer le monde qui nous entoure envoient un signe symbolique fort sur les points de vue que nous valorisons et sur les possibilités pour différents groupes de personnes. S’il y a une chose qui permettra de changer les biais qui nous mènent à identifier certaines choses comme « masculines » et d’autres comme « féminines », c’est bien le fait de laisser plus de femmes s’exprimer sur ces sujets dans les médias et de normaliser la représentation et les opinions des femmes dans la vie publique.

Comment les médias peuvent-ils garantir une meilleure représentation des femmes ?

Demandez-leur! J’ai travaillé dans des médias, donc je comprends que souvent les personnes sont pressées par le temps et que par conséquent c’est toujours tentant de ne parler que avec des personnes avec lesquelles vous avez déjà collaboré, mais cela alimente le cycle de la sous-représentation des femmes. Le journaliste Ed Yong a écrit un super article sur comment il a corrigé l’équilibre entre hommes et femmes dans les sources qu’il citait en y mettant un peu plus d’effort et d’autocontrôle. Il y a aussi de super ressources, comme « Women also know stuff » (les femmes aussi savent des choses), qui peuvent aider. Si les femmes sont réticentes à vous parler ou à apparaître, il est aussi important de vous demander quelle peut en être la raison. Est-ce que vous leur demandez de faire quelque chose en dernière minute alors qu’elles ont probablement d’autres responsabilités ? Y a-t-il quelque chose que vous puissiez faire pour leur faciliter la tâche ?

Laura Jones
est associée de recherche au Global Institute for Women’s Leadership. Ses études se concentrent autour de l’évolution des femmes sur le lieu de travail. Elle a également travaillé comme productrice et journaliste d'investigation, collaborant avec la BBC et l’ITN sur des programmes comme « Panorama » et « Dispatches ».